Russie / USA, 1er round
Ce 10 janvier se sont donc déroulées à Genève les premières discussions entre Moscou et Washington au sujet des graves tensions les opposant en Europe et dont l'Ukraine, depuis 2014, constitue l'épicentre croissant d'une tectonique dépassant en dangerosité celle de la précédente guerre froide.
Les discussions à huis clos entre les deux délégations russe et étasunienne, emmenées par Sergueï Ryabkov, le Vice-ministre russe des Affaires étrangères et Wendy R Shermann, la Sous secrétaire d'Etat à la Maison Blanche, ont duré 7h30, prenant fin à 16h32 et suivies en soirée par des conférences de presse séparées.
Ce qui ressort de cette première journée de "négociations" sur la sécurité collective en Europe confirme ce que l'on savait déjà, à savoir qu'aucun résultat décisif n'a été enregistré malgré des échanges qualifiés de constructifs par le chef de la délégation russe.
1 / Washington cherche à gagner du temps
Lorsqu'il est question des armements stratégiques étasuniens déployés le long des frontières occidentales russes, la délégation étasunienne renvoie la question à des négociations à réaliser ultérieurement au niveau mondial (traité INF), et lorsqu'il est question de l'arrêt de l'élargissement de l'OTAN, alors elle déclare, une fois n'est pas coutume, que la présence des pays européens est nécessaire pour aborder cette question.
2 / Washington cherche à intimider par la menace
La délégation russe a également relevé noté que l'Occident continue d'utiliser dans les discussions l'arme du chantage et des menaces de sanctions économiques en cas d'action russe en Ukraine ou même d'échec des négociations. Sergei Ryabkov a souligné que "l'Occident préfère parler sous forme d'ultimatums" pour essayer d'intimider la Russie "avec de graves conséquences si elle fait comme ci ou ne fait pas comme ça".
En effet, les étasuniens ont évoqué à plusieurs reprises leur intention d'engager des sanctions économiques contre la Russie (lesquelles visiblement n'ont pas besoin, ni de délais, ni de concertation européenne) en cas de nouvelle escalade militaire dans le Donbass (dans un conflit où la Russie n'est même pas partie prenante!)
3 / Washington cherche à mettre la Russie sous embargo
On l'a bien compris: depuis 2014, les USA ont misé sur la guerre économique à outrance pour essayer de mettre à genoux la Fédération de Russie et ses alliés, et à cette fin tout devient prétexte pour déclencher des vagues ininterrompues de sanctions économiques dans une rhétorique d'inversions accusatoires et de mensonges de plus en plus délirants (référendum de Crimée, conflit dans le Donbass, Navalny...).
Or pour passer au stade supérieur et faire accepter à ses alliés et laquais occidentaux des dommages collatéraux encore plus importants, Washington a besoin d'un "casus belli" de taille, comme par exemple une intervention militaire russe dans le Donbass en réaction à une offensive ukrainienne contre Donetsk et Lugansk mais qui sera présentée comme selon les filtres de la propagande de guerre occidentale comme une "invasion russe de l'Ukraine".
Wendy Sherman a déclaré à l'issue des discussions de Genève à ce sujet: "Nous sommes très prêts, en coordination avec nos partenaires et alliés, à percevoir ce prix sévère… Le prix comprendra des sanctions financières" Il a été précisé que ces sanctions affecteront les principales institutions financières, notamment les contrôles des exportations qui ciblent les industries clés mais aussi déclencheront le déploiement de forces supplémentaires de l'OTAN sur le territoire des pays de l'alliance et la constitution d'une assistance défensive à l'Ukraine.
Les USA ont montré lors de cette première journée de discussions une hypocrisie arrogante coutumière fondée sur la menace qui est leur seule rhétorique et la dérobade qui est leur seul argument pour ne rien accepter des propositions russes. Cela ne fait que confirmer que Washington qui pourtant ne cesse d'invoquer à tout bout de champ "un ordre international fondé sur des règles" n'accepte en réalité de droit international que celui qui est définit par lui-même et exclusivement autour de ses intérêts nationaux, comme le rappelle avec justesse KJ Noh dans un article consacré à la vision égocentrique étasunienne du droit international.
Cet impérialisme étasunien fait que Washington refuse de signer et ratifier les traités internationaux stratégiques dont il est n'est pas l'auteur comme par exemple :
- le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI),
- la CEDAW (la Convention contre toute discrimination à l'égard des femmes),
- l'ICESCR (le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels),
- le CRC (la Convention relative aux droits de l'enfant),
- l'UNCLOS (la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer),
- le PAROS (la prévention d'une course aux armements dans l'espace),
- le Traité d'Ottawa (la Convention sur les mines antipersonnel)
- la majorité des conventions du travail de l'OIT (Organisation internationale du travail).
- Etc.
- Plan d'action global conjoint (JCPOA) avec l'Iran,
- le Cadre agréé et les pourparlers à six avec la Corée du Nord,
- les Conventions de Genève,
- le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF),
- Etc.
- le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) récemment violé par l'accord AUKUS
- la Convention sur les armes chimiques ,
- la Convention sur les armes biologiques ,
- les traités des Nations Unies interdisant la torture les enlèvements,
- les traités interdisant la guerre d'agression , qualifiée de "crime international suprême"
- Etc.
Alors imaginez lorsque c'est un traité qui de surcroit est présenté par la Russie, comme celui qui est au centre des discussions actuelles !
On comprend mieux dès lors la remarque de Sergueï Ryabkov au sortir de cette première journée de Genève : "La Russie n'a aucune confiance dans le fait que les États-Unis respecteront les accords de sécurité juridiquement contraignants même si les pays concluent un accord."
Ce que l'on peut conclure de ce premier round des négociations russo-étasuniennes sur la sécurité collective en Europe, c'est qu'il a de facto défini les positions incompatibles des uns et des autres, tout en s'efforçant de maintenir un dialogue diplomatique en gardant encore quelques cartes en main.
Cette première journée n'est effectivement sur le menu des discussions que l'entrée, le plat de résistance (dans tous les sens du terme) devant être servi le 12 janvier lors du deuxième round avec les représentants de l'OTAN qui est au coeur de la polémique sécuritaire Est-Ouest.
Ces discussions représentent "un ensemble de questions très complexe" d'où pour le moment "il est difficile de déduire le vecteur général de ces négociations" a déclaré Sergei Ryabkov confirmant que l'orientation de leur "mouvement" sera démontrée par la réunion avec les représentants de l'OTAN. "Il n'y a pas eu de telle réunion avec des représentants de l'OTAN depuis 2019. Il faudra évaluer s'il y a une perspective pour une étape supplémentaire. Mais cela ne devra pas être retardé, et transformé en un processus qui prend des mois et des années".
"Dans les prochains jours, il deviendra clair si le prochain tour aura lieu, où il aura lieu, quand il aura lieu" a conclu Sergueï Ryabkov.
Cependant, malgré une rhétorique diplomatique russe qui se veut encore consensuelle, l'optimisme est loin d'apparaître à l'horizon de Bruxelles où doit se tenir la deuxième journée des négociations car à Genève, lorsque la délégation russe a évoqué des garanties concrètes que l'Ukraine et la Géorgie ne deviendront jamais membres de l'OTAN la délégation étasunienne a sèchement répliqué que "le principe de la "porte ouverte" de l'OTAN n'est pas négociable".
Ce positionnement de l'OTAN, qui est inacceptable pour la Russie a été confirmé plusieurs fois:
- par le secrétaire adjoint Mircea Joana qui a jugé qu' "un certain nombre de propositions de la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité sont inacceptables" car elles contiennent des dispositions qui "contredisent les principes et valeurs fondamentaux de l'OTAN, et que de telles tentatives de pays tiers d'interférer dans les politiques étrangères et de sécurité de pays souverains sont inacceptables"
- par le secrétaire général Stoltenberg qui en rappelant que "seules l'Ukraine et l'OTAN décident d'adhérer ou non à l'alliance" a annoncé "qu'un plus grand soutien devrait être fourni à Kiev". notamment "la mise en œuvre de réformes qui aident Kiev à se rapprocher de l'adhésion. Il n'a pas oublié de répéter
Il fallait oser, venant de la part de représentants d'une organisation militaire qui depuis 30 ans ne cesse de semer le chaos à travers le Monde et de menacer la sécurité des "pays non alignés" et de subordonner la souveraineté des pays membres ou alliés aux intérêts étasuniens, invoquant le droit d'intervenir dans ses "zones d'influence" (ex Cuba, Vénézuela), mais tout en refusant le même droit aux autres. Voilà bien l'hypocrisie arrogante et hégémonique, typiquement occidentale et qui donne raison à François de la Rochefoucauld lorsqu'il constatait que "L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu".
Je laisserai la conclusion à Sergueï Ryabkov, convaincu qu'aujourd'hui, malheureusement, seule la force peut rendre la raison aux européens et les libérer de cette folie occidentale qui depuis des siècles creuse un gouffre sous leur avenir.
"Du côté américain, de l'Union européenne, on entend constamment parler d'un certain prix élevé que la Russie devra payer si elle fait ou ne fait pas quelque chose que ces gens veulent ou ne veulent pas. Comme si l'histoire et l'expérience des temps récents ne leur apprenaient rien. Une telle conversation est, en principe, inacceptable pour nous et ne donnera pas les résultats souhaités pour eux. Il s'agit d'un ultimatum et d'une tentative de chantage. Hormis les sanctions et le chantage, il reste peu de choses dans l'arsenal de la politique étrangère occidentale moderne. Même l'habileté à négocier est perdue. Mais rien, on va essayer de le restaurer. Et si nécessaire, nous inculquerons cette compétence"
Sergueï Ryabkov, Vice-ministre russe des Affaires étrangère
La suite donc le 12 janvier à Bruxelles...
Erwan Castel