L'éthique du don de soi
Vu du Donbass
Il y a bien des années que j'ai largué les amarres de ma destinée française, délaissant les belles carrières professionnelles et les oasis de tranquillité qui m'ouvraient leurs portes dorées. Pourquoi ? pour mille raisons que je ne connais pas encore toutes et qui surgissent aux détours de mes choix comme les échos d'un appel du coeur que j'ai décidé de suivre.
Officier, indépendantiste breton, guide amazonien et aujourd'hui séparatiste dans le Donbass, et qui plus est "pro-russe" ! Autant dire que je suis aux yeux de certains qui m'ont connu officier des unités de recherche humaine aéroportées, tournées à l'époque vers le Pacte de Varsovie, un renégat, un fou, voire un traitre... car je sui passé "à l'Est" !
Et pourtant depuis 30 ans, dans les tourbillons de mes engagements passionnels, je sais avoir gardé le même cap, celui du combat contre ceux qui veulent aliéner les peuples à la dictature de cette pensée unique libérale marchandisant le Monde.
Mais de cette France militaire, j'ai gardé en héritage, malgré mes séparatismes divers, une certaine éthique, notamment celle de ses héros d'autrefois, chevaliers des temps médiévaux ou paras des temps modernes et dont les exemples survivant dans ma mémoire m'ont aidé jusqu'à aujourd'hui à surmonter les sacrifices, les bosses et les plaies, les trahisons et les calomnies, à ne jamais renoncer et même d'être et d'assumer pleinement, dans ce monde à la dérive, ma condition de paria.
A un vieil ami qui me demandais ce que j'avais gardé de ma période d'officier français, je lui ai répondu "l'héritage des anciens", car même si je serai toujours dans l'ombre de leur ombre (et je n'ai pas d'autre ambition que cet Honneur), ils resteront par leurs actes et leurs pensées, les feux humains forgeant une éthique à suivre, à n'importe quel prix et jusqu'au dernier souffle.
Parmi les nombreuses étoiles qui brillent dans mon héritage mémoriel de France, il y a le colonel Jeanpierre qui, à l'instar du monumental lion de sa ville natale incarne le style, la bravoure et l'humilité du vrai soldat de terrain.
L'exemple de cet officier légion recueilli comme une flamme sacrée par le jeune lieutenant que mon miroir a aujourd'hui oublié, est resté comme un filigrane dans ma mémoire aux côtés de ceux du père, de Marc Aurèle, Antara, Cervantés, Gautier, Jünger, Apollinaire, Degrelle, Saint Exupéry, Denoix de Saint Marc, Guevara et tant d'autres âmes, parfois perdues dans les vents mauvais de l'Histoire, dont les pensées écorchées m'ont accompagné dans ma "queste" d'absolu pour m'aider à combattre les impostures, les injustices autant que mes faiblesses.
Le colonel Jean Pierre, indicatif "Soleil", mort au combat dans le djebel Mermera en 1958 à la tête de son 1er Régiment Étranger Parachutiste, est justement un de ses feux humains de la mémoire que jamais mortel tel que moi ne pourra atteindre mais qui, tel un phare guide l'âme dans les tempêtes de l'engagement....
Voici une de ses pensées écrites peu de temps avant sa mort, et qui, dans le chaos actuel secouant le monde, résonne avec encore plus de force
Erwan Castel
"Soldat,
Tu vivras comme un chien...
Tu risqueras ta vie, tu peineras dans le djebel et la rizière. On te fera perdre des batailles. On t’obligera à la perdre. On portera atteinte à ton honneur. Et on t’accusera, toi seul, de la défaite.
On te traînera dans la boue. Tu seras délaissé, oublié, renié. On te crachera dessus, on flétrira ton œuvre. On s’amusera tandis que tu souffriras, loin des tiens, des tiens, des tiens ingrats.
Un jour, ceux là qui te soutenaient, te glorifiaient, ceux-là aussi te laisseront dans l’abandon. Car ils trouvaient quelque chose qui leur déplaît en toi ; ta justice, ta droiture, ta discipline, ta hiérarchie et même ton courage. Ce jour-là sera bien mauvais.
Ce sera la désagrégation ; mais toi tu seras grand, même si tu meurs. Et toi, tu te fous de tout cela ; tu te fous des mensonges et des perfidies, des trahisons. Car tu es plus haut. Tu n’es pas de la même race.
Tu es seigneur de la guerre. Sur le piton qui domine la vallée, tu ne penses pas aux autres hommes. Ils sont si petits en bas, si vilains...
Et si tu perds une bataille, tu seras quand même gagnant car tu t’es battu. Tu as essayé, tu as tenté. Et qu’est ce que la victoire ou la défaite, sinon le fait de s’être battu ? Et là est l’essentiel. Et si on perd ce que tu as gagné, qu’importe encore ? Toi, tu as tenté.
Dommage que ton pays, jadis si grand, se complaise dans la honte et l’abandon. Tant pis pour toi. Qu’est ce que cela peut foutre, si toi tu es grand ; est ce ta faute si d’autres n’ont pas compris, si toi tu as compris ?
Qu’importe la trahison, la fourberie, qu’importe l’amour d’une femme, qu’importe l’admiration. C’est si éphémère.
Toi tu portes ton amour en toi, toi tu sais et tu n’as pas besoin des autres. Cela ne regarde pas les autres hommes, cela regarde Dieu et toi. Toi tu es soldat, tu es pur : et Dieu te comprend.
Et si ton ami tombe, qu’importe encore : c’est la plus belle victoire, et tu auras la tienne un jour...
et si tu comprends cela, le reste est facile.
Et tu seras seigneur."
Lieutenant-colonel Jeanpierre