Le temps de la diplomatie s'achève

Depuis 7 ans les accords de paix signés à Minsk entre Ukraine, Russie, France et Allemagne n'ont pas réussi à éteindre le conflit dans le Donbass, tout au plus à l'enliser dans un réseau 480 kilomètres de tranchées et bunkers d'une ligne de front de plus en plus mince et fragile.

Près de 20 000 morts plus tard (officiellement 13 000) la situation s'est brutalement empirée, les espoirs de trouver une issue pacifique au conflit ayant vu toutes les cartes diplomatiques brulées par l'Ukraine dans des provocations militaires quotidiennes et des sabotages politiques systématiques des réunions chargées de mettre en œuvre le processus de paix. Tout au plus, des accords a t-il été possible (et non sans difficulté) de réaliser quelques échanges de prisonniers et de maintenir un semblant de dialogue mais de plus en plus chaotique. 

Cette année 2021 s'est caractérisée par une stratégie ukrainienne encore plus agressive et globale car accompagnée à distance de plus en plus rapprochée par l'OTAN, à la fois à l'encontre des républiques populaires de Donetsk et Lugansk mais aussi vis à vis de la Russie, contraignant celle ci à radicaliser aussi sa stratégie politique, économique et militaire de protection des populations russes du Donbass, sans toutefois rentrer dans le jeu des provocations de Kiev et engager ses forces sur le front ou renverser la table des négociations.

Car l'objectif évident de cette stratégie ukro-atlantiste est de chercher un "casus belli" imputable à la Russie et qui sera le prétexte de nouvelles sanctions économiques voire d'embargos contre Moscou et d'une accélération de la militarisation de l'Ukraine, même si pour cela cette dernière doit, dans sa soumission totale à Washington, y sacrifier quelques centaines de soldats.

Carte du Donbass, avec la ligne de front et ses principaux secteurs bombardés. A l'Ouest et au Nord
du front les territoires des républiques de Donetsk et Lugansk occupés par les forces ukrainiennes.

Voyons quelques exemples concrets et récents de ce crescendo de provocations ukrainiennes:

Printemps 2021: 1ère escalade militaire majeure 

  • Au lendemain de l'investiture de Joe Biden à la présidence des Etats Unis, les forces ukrainiennes, à partir de la mi janvier, initient de nouvelles campagnes de bombardements lourds (avec des calibres supérieur à 100mm) et surtout, accumulent sur le front de nombreux renforts blindés et d'artillerie dans un dispositif d'assaut sur les républiques du Donbass.
  • En février, la Fédération de Russie répond symétriquement avec des mouvements importants de troupes vers les frontières avec l'Ukraine, depuis les régions continentales (Voronej Rostov notamment), la péninsules de Crimée, mais aussi le Belarus et la Transnistrie, mais, sans toutefois se déployer dans le Donbass.
La conséquence concrète de cette escalade majeure est l'augmentation importante à la fois des effectifs ukrainiens dans le Donbass qui pour beaucoup vont rester sur le front même lorsque l'accalmie intervient en avril 2021, et des aides de l'OTAN et engagements de l'OTAN en Ukraine : livraisons logistiques, formation, normalisation des forces armées mais aussi missions quasi quotidiennes des ressources de renseignement stratégique de l'alliance  le long de la ligne de front, de la Crimée et des frontières russes occidentales.


Automne 2021: 2ème escalade militaire majeure, en cours... 

Comme pour les escalades précédentes qu'elles ont initié, les forces ukrainiennes depuis mi octobre ont engagé de nouvelles campagnes de bombardements sur les territoires de Donetsk et Lugansk, mais où réapparaissent sensiblement l'emploi de l'artillerie lourde (152mm) et des bombardements dans la profondeur. 

Ce qui cependant caractérise cette escalade d'automne c'est notamment :

1 / Une capture de territoire habité

  • Mi-octobre 2021, les forces ukrainiennes engagent de nouvelles campagnes de bombardements lourds sur les territoires du Donbass, mais surtout, le 26 octobre capturent Staromarievka, un petit village agricole situé dans le zone grise du front, 60 kilomètres au Sud de Donetsk, bombardent le secteur de Telmanovo pourtant à 10 km en arrière du front et utilisent dans une mission de bombardement un drone d'attaque Bayraktar TB2 de fabrication turque.
Alimentant l'intention provocatrice, un drapeau du mouvement néo nazi "Secteur Droit" est
planté par les forces ukrainiennes sur les berges de la Kalmius en face de Staromarievka
A noter que le pont ici est celui qui avait été détruit par les forces ukrainiennes lors de leur
retraite en 2014 à l'issue du chaudron d'Iliovaïsk. Les tentatives de franchissement du génie
de combat ukrainien ont été réalisées sur la rivière au nord de cette route coupée depuis 7 ans.
 
Revenons ici sur la situation du village de Staromarievka pour mesurer le type de provocation nouvelle que constitue sa capture par les ukrops, et qui rappellent les méthodes pratiquées par Kiev lors de sa première offensive dans le Donbass en 2014 dans de nombreux villages, comme par exemple Travnevoe qui se sont retrouvés sur les lignes de contact entre ukrainiens et séparatistes:

1/ Sur le plan militaire, cette opération ukrainienne sur Staromrienka si elle s'inscrit dans la continuité des bonds successifs observés depuis 2016 pour grignoter progressivement la "zone grise" (neutre) théoriquement de 2 km de large, cette capture est nettement plus grave car elle franchit la rivière Kalmius qui dans ce secteur du front constitue la ligne de front, faisant de Staromarievka une tête de pont potentielle pour une offensive de Kiev ultérieure. D'ailleurs les ukrainiens mènent depuis des opératins de génie pour permettre un franchissement de la Kalmius par leurs véhicules de combat (aujourd'hui barge en béton après la destruction d'un pont flottant détruit par l'artillerie républicaine)

2/ Sur le plan psychologique, les forces ukrainiennes, en arrivant dans Staromarievka ont terrorisé sa population de 180 personnes, avec des unités de radicaux nationalistes qui ont bousculé, fouillé les habitations, interrogé et molesté les habitants dont beaucoup ont la citoyenneté de la République Populaire de Donetsk et, pour 36 d'entre eux, celle de la Fédération de Russie. Plusieurs civils ont été contraint de quitter leur village, d'autres qui n'ont pas d'autre choix que d'y rester vivent dans la peur des forces ukrainiennes et des combats qui peuvent éclater à tout moment dans leur secteur.

3/ Du côté des forces républicaines, elles sont dans l'impossibilité de réduire les positions ukrainiennes aménagées dans le village du fait de la présence de civils dans les maisons voisines, ce que le président Pushilin a rappelé. Seuls les activités des forces ukrainiennes sur les abords de Staromarievka ont pu être ciblées par les forces de défense du secteur de Telmanovo, notamment les travaux du génie de combat tentant d'installer des moyens de franchissement de la rivière Kalmius pour renforcer leur tête de pont sur sa rive gauche. Ainsi un pont flottant a pu être détruit par l'artillerie républicaine avant que d'être remplacé par une barge en béton.

Parmi les répercussions militaires et psychologiques de cette opération menée sur Staromarievka, on observe d'autres reconnaissances offensives ukrainiennes comme par exemple dans le secteur de Dokuchaievsk (fortement bombardé depuis 2 mois), situé à 30 km plus au Nord entre Telmanovo et Donetsk au Nord et dont les habitants de Yasnoe craignent que leur village ne subisse le même sort, car les "ukrops" sont désormais arrivés à une centaine de mètres de ses premières habitations. 

Réaction de la Russie : 

Moscou engage des protestations diplomatiques sur cette nouvelle violation ukrainienne flagrante des accords de Minsk et une procédure pénale internationale par rapport aux maltraitances subies par les résidentsde Staromarievka de citoyenneté russe  pris en otage par les forces de Kiev.

 

2 / Une intensification des attaques aériennes

  • Dans le cadre de cette nouvelle escalade militaire et escalade nouvelle, les forces ukrainiennes ont radicalement rouvert au conflit sa dimension aérienne laquelle avait disparu depuis 7 ans suite d'une part aux pertes importantes subies par l'aviation de Kiev en 2014 et d'autre part l'interdiction de survol signifié par les accords de Minsk. Drones tactiques et drones de fabrication turc Bayraktar TB2 sont désormais quotidiennement engagés sur le front dans des missions d'observations et de frappes, mais il a été observé à 3 reprises également des violations de l'aviation ukrainienne de la zone d'exclusion aérienne.
Les attaques ukrainiennes par des drones tactiques sont de plus 
en plus fréquentes et meurtrières comme par exemple ici avec le
largage d'une RKG 1600 sur le front de Lugansk ce 8 décembre.

Réaction de la Russie : 

Moscou, sans toutefois déployer des moyens militaires directement sur les territoires des Républiques de Donetsk et Lugansk a déployé le long de ses frontières avec elles des moyens radars et de guerre électronique capables de prévenir efficacement de nouvelles attaques aériennes de Kiev

 

3 / Une accumulation sans précédent de forces ukrainiennes sur le front

  • Alors que tous les propagandistes occidentaux fantasment sur les mouvements des troupes russes sur leur territoire national, pas un mot de leur part concernant les renforts ukrainiens qui arrivent quotidiennement sur le front vers un dispositif offensif et qui ont incité Moscou à faire préventivement de même. Différentes données des services de renseignement estiment à plus de 120 000 hommes les effectifs ukrainiens accumulés sur le front du Donbass, soit 50 % des effectifs combattants des forces armées de Kiev.

1 / Parmi les renforts ukrainiens en matériels arrivant sur le front, en plus des avions de combat qui sont redéployés sur les aérodromes du Donbass occupé par Kiev, on peut noter d'importants effectifs de chars de combat, d'obusiers lourds, de lance roquettes multiples et même de missiles tactiques "Tochka U". Sur certains secteurs comme le front de Avdeevka/Yasinovataya, les forces ukrainiennes ont doublé de 1 à 2 brigades.

2 /  Parmi les renforts ukrainiens en personnels, à côté des effectifs arrivant en renforts, d'autres, mieux entrainés ou équipés relèvent des unités sur le front, et on observe aussi le retour d'unités autonomes de DUK (organisation des volontaires nationalistes ukrainiens de Dmitry Iarosh) et bataillons spéciaux composés de militants nationalistes et néo-nazis, qui sont déployées sur des secteurs critiques comme ceux de Telmanovo et Dokuchaievsk sur le front Sud de la RPD.

3 / Pour la première fois depuis 2014, l'Etat Major des forces ukrainiennes dans le Donbass (ATO puis OOS) qui est basé sur l'aérodrome de Kramatorsk, à 100 km au Nord de Donetsk, a déployé vers l'avant un groupe de commandement opérationnel mobile dans le secteur de Artemvosk (à 15 km du milieu de la ligne de Front, au Nord de Gorlovka).

 Réaction de la Russie : 

Moscou, comme précédemment au printemps 2021, a décidé de répliquer symétriquement en augmentant sensiblement ses forces armées dans les régions russes frontalières de l'Ukraine et des républiques du Donbass (principalement les régions de Sébastopol, Rostov et Voronej).
 
 

4 / Une OSCE de plus en plus inutile et paralysée

  • Certes les observations de l'OSCE participent à prouver souvent les violations ukrainiennes du processus de paix et argumentent d'ailleurs les discussions engagées par le président Russe auprès de ses homologues étasuniens, allemands ou français par exemple pour décrire le comportement agressif de Kiev. Mais, force est de constater que la présence de l'OSCE est factuellement inutile par l'absence complice de moyens coercitifs pour contraindre l'Ukraine à respecter le cessez le feu que son gouvernement a signé à Minsk.

Un certain nombre d'actions ukrainiennes touchant l'OSCE ont été menées pendant cette escalade en cours, rendant encore plus inutile son déploiement sur le front du Donbass (environ 600 observateurs de chaque côté de la ligne de front, depuis 2014):

1 /  Les forces ukrainiennes interdisent aux observateurs internationaux l'accès à certains secteurs sensibles du front où s'opère le déploiement de leurs renforts, et quand elles ne tirent pas directement dessus, brouillent aussi leurs drones d'observation avec des stations de guerre électronique "Bukovel-AD" qui ont été repérées près des villages d'Orekhovo, Gorskoe, Zolotoe-4 et Rodina par exemple (front de Lugansk).

 2 / Le cas d'Andreï Kosiak, un observateur de l'OSCE, citoyen russe de Lugansk qui a été arrêté par les forces ukrainiennes le 13 octobre dans le secteur de Zolotoe 4 où il était en mission est révélateur de l'incapacité de l'OSCE a faire respecter les accords de Minsk, même pour ses propres personnels. Après avoir été enlevé et torturé par le SBU ukrainien, Andreï Kosiak a été condamné à 10 ans de prison pour activités séparatistes en 2014.

65 jours de détention illégale pour Andreï Kosiak

 "En plus de l'aggravation militaire avec nos militaires, l'Ukraine crée des provocations qui sont de dangereux précédents. Les pays garants et la mission de l'OSCE auraient dû y répondre plus activement", a déclaré Denis Pushilin, le président de la République Populaire de Donetsk.


5 / Une militarisation débridée de l'Ukraine par l'OTAN 

  • A l'exception de l'Allemagne qui, dans un positionnement défini par Angela Merkel refuse toujours d'aider militairement Kiev, tous les autres pays de l'OTAN sollicités par Kiev ou Washington participent avec les USA à l'effort de guerre ukrainien sur les frontières russes: 
- via des exercices interalliés de plus en plus importants,
- des livraisons de matériels, équipements et armes létales, de munitions,
- des conseillers techniques et formateurs,
- l'engagement opérationnel sur le front de leurs ressources de renseignement.
 
La conséquence factuelle de cet engagement militaire occidental aux côtés de Kiev, à défaut de voir l'Ukraine intégrer l'OTAN à court terme, c'est que cette dernière s'installe en Ukraine, via des bases de formation, des instructeurs, des aérodromes et quais logistiques, des postes de commandement et stations radars etc... Environ 8000 soldats de l'alliance sont ainsi déjà déployés en Ukraine.


Chaque jour désormais nous parviennent des informations concernant l'engagement physique des matériels et forces de l'OTAN en Ukraine, dans un crescendo de provocations évidentes vis à vis d'une Russie dont le président depuis des années répète avec une fermeté pourtant croissante que l'installation de bases de l'alliance atlantique constituerait le franchissement inacceptable d'une ligne rouge.

1 / Autorisée par le président Trump, le livraison d'armes létales étasuniennes s'accélère et leur déploiement sur le front du Donbass vient d'être autorisé par son successeur Biden, comme par exemple les missiles antichars "Javelin".

2 / Dans le cadre de la normalisation de l'armée ukrainienne, l'OTAN participe à la création de nouvelles bases militaires compatibles, de plus en plus près des frontières russes, et jusque dans les territoires du Donbass occupés par Kiev. 

3 / Les missions de reconnaissance des drones, avions et navires de l'OTAN sont quotidiennes et se rapprochent de plus en plus du Donbass comme par exemple avec cette première mission d'un Boeing "Rivet Joint" sur la ligne de front.

4 / les exercices interalliés de l'OTAN en Ukraine, qui sont des prétextes pour militariser le pays, eux aussi s'intensifient en nombre, durée et effectifs, le président Zelensky vient ainsi d'autoriser l'entrée de 11 000 soldats de l'alliance.

 

Réaction de la Russie : 

Moscou, qui avertit depuis des années l'inacceptabilité de voir l'OTAN s'installer plus encore près de ses frontières occidentales a restitué avec fermeté l'escalade militaire en cours en perspective de cette reptation des forces atlantistes vers ses frontières. Le président Poutine, tout en rappelant que la Russie n'avait pas l'intention d'envahir l'Ukraine, a rappelé sans concession à ses homologues étasunien britannique et français Biden, Johnson et Macron qu'il été hors de question de voir l'OTAN en Ukraine, ce qui constituerait un "casus belli" pour Moscou. Mais la demande russe a déjà reçu une fin de non recevoir de la part du "POTUS", qui politiquement commande l'Alliance.

 


En conclusion :

Ce à quoi nous assistons c'est une accélération des provocations occidentales qui souvent donnent procuration à leurs auxiliaires ukrainiens pour pousser la Russie à réagir et engager ensuite une séries d' "action-réaction" dont le but est de déclencher contre Moscou des sanctions économiques prévues "infernales" par Nuland (sous secrétaire d'Etat à la Maison Blanche), ainsi qu'une accélération de la militarisation de l'Ukraine par l'OTAN.

Dans ce jeu cynique occidental, le front du Donbass joue le rôle du détonateur de cette stratégie russophobe menée par Washington, et il est fortement probable que les provocations reprennent sur la ligne de front avec même comme il est coutumier chez les occidentaux des "false flags" meurtriers cherchant à en incriminer la responsabilité aux milices républicaines. 

Face à cette préparation militaire ukrainienne offensive le président de la DNR, Denis Pushilin, a confirmé que : "la situation sur la ligne de front est l'une des plus graves depuis 2014 en terme de nombre d'équipements et de personnels tirés par les Forces armées ukrainiennes vers le front".

Mais cette fois, les chances que cette escalade militaire retombe dans le le brouillard d'une situation figée d'une lente hémorragie "entre guerre et paix" sont nettement moins évidentes, car d'un côté l'administration étasunienne, qui a renoué avec ses objectifs du Maïdan, joue plus que jamais le mépris belliciste et que, de l'autre côté du nouveau rideau de fer, la diplomatie russe semble avoir tiré ses dernières cartouches pour la paix.

Aujourd'hui, tous les voyants sont au rouge !

Erwan Castel

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