Le point de non retour est-il franchi ?
Cela n'aurait pu être qu'une anecdote diplomatique comme en connaissent régulièrement les réunions internationales où des puissances plus concurrentes que partenaires échangent leurs points de vue mais, dans le contexte actuel de la crispation Est-Ouest se cristallisant à nouveau autour de l'Ukraine, le vif échange qui a eu lieu ce 1er décembre entre Sergeï Lavrov et Anthony Blinken, chefs des diplomaties russe et étasunienne, à l'occasion d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OSCE à Stockholm, révèle bien le niveau de tension critique réel existant entre Washington et Moscou.
- C'est l'agence Bloomberg qui a rapporté cet échange houleux entre les ministres russe et étasunien: "Des tensions verbales ont éclaté alors que les États-Unis et leurs alliés européens cherchaient des moyens, y compris d'éventuelles sanctions, de contrer la menace d'une invasion russe de l'Ukraine à la suite d'un renforcement des troupes du président Vladimir Poutine à la frontière du pays voisin".
- Tout d'abord Sergeï Lavrov a rappelé à son homologue étasunien que sur Maïdan avait été mené en 2014 un coup d'Etat (ce que le président Zelensky a lui-même reconnu dans sa dernière conférence de presse) suite auquel les putschistes ont réprimé la contestation avec les soutiens de l'UE et de l'OTAN qui ont blâmé et sanctionné la Russie.
- Anthony Blinken a alors rétorqué que la violence du Maïdan est le fait des "sympathisants du président Ianoukovitch" qui ont tiré sur la foule en tuant une centaine de personnes, accusation on ne peut plus mensongère car ceux que l'on a appelé les "snipers du Maïdan" ont tiré depuis le dernier étage de l'hôtel "Ukraina".... occupé par les manifestants, sabotant l'accord politique obtenu par Ianoukovitch.
- "L'OTAN accuse la Russie d'activités militaires dans les zones de contact. Mais de telles zones sont apparues précisément à la suite de l'élargissement de l'OTAN... L'alliance n'a apparemment pas d'autres problèmes. Le terrorisme, les menaces à la sécurité provenant d'autres régions n'ont pas la même signification que le danger prétendument émanant de la Russie".
- "Aujourd'hui, l'alliance atlantique essaie à nouveau de dépasser les limites de sa zone de responsabilité traditionnelle, d'étendre sa vision de l'ordre mondial à de nouvelles régions. Resserre les partenaires pour atteindre ces objectifs. L'OTAN propose toujours d'"être ami contre quelqu'un" ".
- "L'OTAN teste délibérément notre force en envoyant des navires de guerre et des avions dans des zones à proximité immédiate de nos frontières, forçant la Russie à réagir. Cela dit, notre réponse est adéquate, proportionnée et sobre. L'Alliance nous accuse de renforcer sa présence militaire en Ukraine, c'est-à-dire en République de Crimée. Rappelons que ce territoire fait partie de la Fédération de Russie et que nos forces armées y sont légalement. En outre, historiquement, non seulement la flotte de la mer Noire était stationnée en Crimée, mais également des unités de la marine, de la défense côtière, d'autres composants au sol, ainsi que de l'aviation".
De fait, Moscou est réellement préoccupé autant par cette nouvelle menace de voir le conflit du Donbass sortir de de ses tranchées que par l'attitude fermée et hautaine de l'équipe Biden qui depuis les balcons de la Maison Blanche croit pouvoir contrôler la destinée du Monde et son entière soumission à son impérialisme militaro-industriel.
Aujourd'hui il est limpide que le conflit du Donbass n'est pour les occidentaux que le prétexte idéal pour organiser un isolement maximum de la Russie via des embargos commerciaux, technologiques, bancaires, diplomatiques etc qui jusqu'ici étaient encore protégés par le droit international et celui du commerce (déjà égratignés par les sanctions économiques antirusses). Il faut, pour déclencher ce blocus occidental maximum de la Russie qu'un conflit dynamique éclate entre l'Ukraine et la Russie cette dernière étant bien entendu programmée dans la doxa occidentale pour être désignée comme l'agresseur initial, même si ce sont les chars de Kiev qui ouvrent les hostilités.
Par rapport aux précédentes menaces d'éruption du conflit, comme celle du printemps par exemple, l'agressivité affichée par Kiev est nettement supérieure, tant sur le plan des actions militaires que des discours politiques qui réveillent à l'occasion le dossier de la Crimée, mais surtout cette escalade russophobe ukrainienne est aujourd'hui soutenue ouvertement par ses alliés occidentaux et principalement Washington (qui l'a probablement commanditée).
Jusqu'à présent les occidentaux jouaient - certes hypocritement - le jeu de la diplomatie et de l'apaisement des tensions avec Moscou, mais force est de constater qu'avec l'administration Biden, qui avait insulté Poutine au début de son mandat en le qualifiant de "tueur", une ligne politique ouvertement agressive a été ouverte par la Maison Blanche (sans toutefois vouloir directement la concrétiser militairement). Et l'accrochage verbal entre Lavrov et Blinken le confirme.
Jo Biden et Anthony Blinken (qui selon moi sont bien plus des exécutants que des décideurs), en refusant l'un, l'existence de "lignes rouges" sécuritaires russes et l'autre un dialogue diplomatique concernant le Donbass poussent l'Ukraine a abandonner officiellement les accords de Minsk ce que Kiev a factuellement fait depuis longtemps sur le front militaire et celui des négociations.
La guerre est inévitable, cela est plus que jamais une évidence car tous les rouages de la diplomatie sont bloqués et la situation catastrophique de l'économie occidentale, qui ne réussit pas dans l'instrumentalisation de la pandémie à redémarrer son système, invite à une fuite en avant militaire.
La question est de savoir quand et quelle guerre va survenir en Ukraine et si elle va pouvoir être contrôlée par ceux qui ne veulent un conflit entre Kiev et Moscou que pour installer un blocus autour de la Russie, car pas plus que l'OTAN ne veut lâcher l'Ukraine dans laquelle elle a planter ses crocs, la Russie n'abandonnera pas les russes du Donbass et encore moins de Crimée où est en poste la sentinelle Sud de son front occidental (Sébastopol).
C'est sans nul doute la situation économique, qui entraine lentement mais surement Kiev vers la faillite malgré les perfusions occidentales, qui va pousser les ukro-occidentaux à faire jouer le joker militaire par les ukrops pour mener un plan de protection militaire et de sauvetage économique de leur colonie ukrainienne en parallèle d'un ensemble d'embargos contre la Russie. Et cela quitte en contrepartie à perdre en totalité et définitivement le Donbass et quelques milliers de chairs à canon ukrainiennes.
Le problème dans cette aventure militaire limitée souhaitée par Washington c'est que Kiev, qui a déjà compris que l'OTAN n'irait pas au feu contre la Russie pour Donetsk et Lugansk mais tout en refusant d'abandonner l'Ukraine, ne voudra probablement pas "être le dindon de la farce" et sous la pression de ses factions nationalistes sera tenter de jouer "le tout pour le tout" en lançant alors des attaques désespérées et suicidaires contre la Crimée et les villes russes frontalières pour que le conflit déborde du théâtre d'opération actuel et force l'OTAN à intervenir quand même.
C'est certainement dans cet esprit de va tout que l'ancien chef de la direction de la sécurité nationale et de la défense du bureau du président ukrainien, le colonel Ivan Aparshin, a déclaré récemment que l'Ukraine devrait lancer des frappes préventives contre la Russie officiellement "afin d'empêcher l'expansion de "l'agression"" alors qu'en réalité n'importe qui peut comprendre qu'au contraire cela pousserait Moscou à réagir et pour le coup jusqu'à Kiev provoquant malgré elle un effet domino où l'OTAN s'engagera plus directement pour "défendre l'intégrité territoriale de l'Ukraine" comme l'a promis Stoltenberg (zone d'exclusion aérienne et terrestre, casques bleus, et bien sûr envoi massif de moyens militaires, mercenaires et contractons avant de se déployer éventuellement elle même)
Ce 7 décembre aura lieu une rencontre virtuelle entre les présidents Poutine et Biden au sujet du volcan ukrainien. Interrogé sur cette discussion avec son homologue russe, le président étasunien, d'une voix de moribond a déclaré aux journalistes "avoir préparé un ensemble d'initiatives dissuasives qui rendront très, très difficile à Vladimir Poutine de faire ce que les gens craignent qu'il fasse". Et ça ne me surprendrait pas que les occidentaux déterrent la chimère des accords de Minsk que le Kremlin a fait l'erreur de signer (acceptant ainsi l'idée que Donetsk et Lugansk sont territoires ukrainiens) pour enfermer à nouveaux les discussions dans une impasse diplomatique et militaire. De toute évidence cette discussion où aucun enjeu ne sera sacrifié par l'un et l'autre, ne changera rien à la situation à part peut-être de retarder encore un peu l'éruption inévitable du volcan.
Erwan Castel