On pourrait croire que dans le Donbass, à l'initiative des forces de Kiev, se déroule une énième escalade militaire à l'image de toutes celles qui agitent depuis 7 ans les 480 km de ligne front entre Mariupol au Sud et Lugansk au Nord de ce volcan situé sur la nouvelle faille Est-Ouest européenne.
Cependant, si les bombardements militaires et les mouvements des troupes ukrainiens ont un air de "déjà vu", la situation dans laquelle se déroule cette nouvelle exacerbation du front est nettement différente des précédentes, tant sur le plan militaire, diplomatique qu'international.
Primo : L'armée ukrainienne opte pour une stratégie offensive
Depuis 2016, les forces ukrainiennes dans le Donbass limitaient leurs actions à des bombardements à distance et des gesticulations à l'arrière du front. Certes, on a assisté à un grignotage en règle par les "ukrops" des territoires situés à l'intérieur de la "zone grise" (zone démilitarisée en théorie de 2km de large minimum située entre les belligérants), et à des tirs sur la ligne de front, mais jamais un retour à une dynamique offensive comme celle ouverte fin octobre avec notamment la capture d'un village de 180 habitants (dont 37 citoyens russes), le bombardement d'une localité éloignée du front (Telmanovo à 10 km) et une attaque aérienne avec un drone de combat Bayraktiar TB2.
Secundo: Les accords de Minsk appartiennent au passé
Lorsque le président français Macron, en cherchant visiblement à emmener sa promotion électorale présidentielle sur une tribune internationale, propose à Sergeî Lavrov le Ministre russe des Affaires Etrangères de faire une nouvelle réunion du "Format Normandie" (présidents russe, francais, allemand et ukrainien) au chevet du Donbass, ce dernier lui rétorque qu'au vu des sempiternelles violations ukrainiennes du traité de paix, "il est temps d'arrêter les simagrées des accords de Minsk qui consistent a se faire des selfies pour prétendre que le processus diplomatique est toujours vivant".
Tertio : Une situation internationale de plus en plus tendue et réactive
Les origines du conflit du Donbass, tout comme le Maidan sont indissociables des enjeux et menaces que représente le contrôle de cette région pontique dont la clef de voûte est la péninsule de Crimée qui abrite la base stratégique russe de Sébastopol et sa flotte de la Mer Noire qui sont vitales à la défense occidentale de la Russie, et le Donbass est devenu le détonateur de ce conflit entre l'OTAN et la Russie, qui pour le moment n'a pas explosé . Ainsi, à chaque fois que les forces ukrainiennes bombardent violemment les républiques de Donetsk et Lugansk ou menacent de réactiver une guerre de mouvement, on assiste comme dans un écho à des gesticulations diplomatiques et militaires de l'OTAN et la Russie et qui ressemblent de plus en plus au bras de fer d'une nouvelle guerre froide.
"Préparez vous !"
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Dmitro Iarosh, du mouvement néo nazi ukrainien "Secteur Droit", leader politique des volontaires nationalistes dans le Donbass et conseiller spécial du chef d'Etat Major des armées ukrainiennes. |
Le président ukrainien Zelensky, lors d'une réunion spéciale du Comité de Défense et de Sécurité Nationale concernant la situation sur le front du Donbass a demandé aux différents chefs militaires et politiques en charge de la guerre "Préparez vous !" Dans l'hypothèse d'une tentative de coup coup de force ukrainien sur le front (vraisemblablement la capture d'une localité secondaire type Telmanovo), les forces ukrainiennes devront compter sur la motivation des troupes qui seront en première ligne et celles qui devront "normaliser" les populations éventuellement capturées. Lorsque le 26 octobre le petit village de Staromarivka a été capturé dans la zone grise (neutre), on a vu rapidement les soldats de la 93e Brigade d'infanterie ukrainienne être relevés par des unités spéciales dont les insignes de bras néonazis ne laissent aucun doute sur leur motivation idéologique. Ces ukropithèques sont depuis sous le feu permanent des républicains lorsqu'ils s'éloignent du village et sont en charge de la "filtration" de sa population (180 personnes dont 37 nouveaux citoyens russes).
C'est donc ici que rentre en scène Dmitro Iarosh, un des leaders des paramilitaires bandéristes et qui vient d'être nommé "conseiller spécial" auprès du Chef d'Etat major des forces ukrainiennes, tout en revendiquant rester le chef des DUK (volontaires ukrainiens nationalistes)
"Il est possible que dans un avenir proche, votre expérience et votre potentiel militaire,
de combat, organisationnel et humain, votre forte motivation et votre position d'État
soient à nouveau nécessaires à l'Ukraine" Dmitro Iarosh, le 10 novembre 2021.
Du côté de la Mer Noire
Dans le secteur de la Mer Noire, qui est au coeur de l'affrontement stratégique Est-Ouest depuis la fin du XVIIIE siècle, la répercussion de l'escalade observée dans le Donbass est cette fois immédiate, radicale et triple :
- Sur mer, les USA ont déployé un groupe naval de l'OTAN sous commandement de la 6e flotte étasunienne. Ce groupe naval comprend entre autres navires de combat le navire amiral Mount Whitney, le destroyer Porter et le ravitailleur John Lenthall de l'US Navy, surveillés par le croiseur lance-missiles Moskva et la frégate Admiral Essen russes.
- Dans les airs, (voir en marge 3 exemples parmi la dizaine d'aéronefs de surveillance de l'OTAN repérés ces derniers jours). Les missions de reconnaissance de l'OTAN au large de la Crimée et des autres régions frontalières russes ont atteint un niveau quasiment jamais inégalé. A noter surtout la présence de bombardiers stratégiques B1 B de l'US Air Force qui apportent une dimension agressive aux missions d'observations.
- Vers une nouvelle provocation ukrainienne en Mer d'Azov, cette petite mer intérieure prolongeant la Mer Noire etbordant le Donbass au Sud. En effet Kiev a décidé de déployer une flottille (de petites unités a faible tirant d'eau pour cette mer peu profonde) via le port de Berdyansk, une base navale située à l'Ouest de Mariupol. Et cette stratégie maritime ukrainienne est soutenue bien sûr par Washington qui envoie en complément 2 bateaux de type Island sous les noms "Sumy" et "Fastov" à bord d'un camion maritime de Baltimore vers l'Ukraine (photo ci dessous)
Sur le front du Donbass
Dans ce contexte international qui leur est favorable, Kiev n'a pas vraiment de raison de s'arrêter en chemin, d'autant plus que la Russie, pour le moment, n'a pas franchi le Rubicon militaire, intervenant essentiellement dans les domaines diplomatiques et surtout économiques avec notamment la cessation des livraisons de charbon vers l'Ukraine, ce qui accélère son effondrement tout en la faisant lorgner encore plus du côté du Donbass...
Ainsi, l'escalade militaire ukrainienne continue sa pression sur les défenseurs et populations des républiques de Donetsk et Lugansk, et de nombreux analystes s'accordent à dire que Kiev pourrait tenter une offensive (générale ou localisée) avant l'arrivée des grands froids hivernaux (février).
11 novembre 21, bombardement ukrainien sur la
périphérie Sud-Ouest de Donetsk, à Trudovsky
(district de Petrovsky) au mortier de 120mm.
Si la journée du 10 novembre a connue une relative accalmie avec seulement quelques bombardements et accrochages erratiques, en revanche, ce 11 novembre 2021 dans de nombreux secteurs militaires et résidentiels républicains du Donbass sont depuis l'aube sous le feu des artilleurs ukrainiens...
Erwan Castel