Le jeu fourbe de l'ottoman Erdogan

Le président turc Erdogan tente depuis plusieurs années de restaurer une zone néo-ottomane sur un grand échiquier géopolitique agité. Cherchant à "tirer les marrons du feu" d'un chaos grandissant on a pu voir ainsi la Turquie intervenir et s'imposer dans le Nord de la Syrie, en Libye ou plus récemment en Azerbaïdjan dans la guerre menée dans le Haut Karabagh. Située au carrefour de plusieurs "imperiums" (Russie, Occident, Iran, Levant) par lequel passe de nombreuses routes commerciales internationales, la Turquie entretient des alliances multiples avec des "partenaires" qui aujourd'hui s'affrontent gravement. 

La tectonique pontique qui s'est réveillée depuis 2014 autour des enjeux géostratégiques de la Mer Noire révèle ici la stratégie de plus en plus trouble et perverse de la Turquie qui, au lieu de jouer la neutralité et même la médiation, se laisse entrainer par la mégalomanie d'un néo-sultan obsédé par l'impérialisme ottoman, opérant une radicalisation de son soutien au régime de Kiev, laquelle est certainement négociée avec l'OTAN dont elle est membre. 

Lors d'une récente rencontre avec son homologue ukrainien Zelensky, le président turc Erdogan a déclaré ce 10 avril :

« Notre principal objectif est d’assurer que la mer Noire puisse demeurer une mer de paix et de coopération. Nous ne voulons pas une hausse de tensions dans notre région commune. (...) Nous pensons que la crise actuelle doit être réglée par des moyens pacifiques, sur la base du droit international et du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine »

"Pas de hausse de tensions... des moyens pacifiques"... Or, depuis plusieurs semaines, ce que nous observons c'est un partenariat économique entre Kiev et Ankara qui ressemble de plus en plus à une alliance militaire et qui risque de faire rapidement dégénérer les relations entre la Turquie et la Russie. 

Quelques exemples de cette radicalisation du soutien turc au régime de Kiev depuis le Donbass jusqu'au Bosphore :

Des combattant turcs repérés sur le front du Donbass


En premier cette information très récente et très importante faisant état d'une présence de combattants turcs à Mariupol (de l'effectif d'une compagnie, entre 100 et 150 hommes), place forte Sud de la ligne de front ukrainienne du Donbass  et qui contredit magistralement dans les actes les déclarations pacifiques du sultan ou les récentes promesses de neutralité dans le conflit du Donbass faites par son Ministre des Affaires étrangères :

Le 15 avril des habitants de Mariupol (où de nombreux personnels anglophones sont déjà repérés au sein du dispositif militaire ukrainien) ont signalé l'arrivée d'une compagnie de combattants turcs dans la ville, avec des équipements individuels modernes habituellement en dotation dans les forces spéciales.

Qui sont- ils ? 

Trop nombreux pour être des conseillers militaires, trop équipés pour être des équipages de drones, ces combattants turcs qui appartiennent à une unité régulière ou une société militaire privée turque, ne sont pas venus faire du tourisme dans la Donbass. 

Pour quelle missions ?

Ces combattants turcs sont destinés probablement:
  • soit à des opérations spéciales sur le front (renseignement, sabotage, provocations, opérations sous faux drapeau),
  • soit pour encadrer des mercenaires djihadistes pro-turcs de Syrie et qui ont déjà été engagés dans le Haut Karabagh contre les arméniens à l'automne 2020.
Cette information est à suivre avec acuité tant comme indicateur militaire de ce secteur du front que comme indicateur politique de l'engagement russophobe turc.

Le drone d'attaque Bayraktar TB2...

La Turquie produit le "Bayraktar TB2", un drone d'attaque très performant et relativement peu coûteux, et dont l'efficacité a été démontrée lors de l'offensive azérie contre la république de l'Artsakh dans le Haut Karabagh à l'automne 2020 où seulement 12 appareils turcs engagés ont joué un rôle décisif dans la victoire de Bakou, réalisant au passage leur plus belle opération commerciale. (fiche technique du TB2: ici)

Or Ankara et Kiev ont signé un contrat d'armement fin 2018 pour équiper l'armée ukrainienne avec ce drone d'attaque dans une programmation de livraison, de formation des pilotes et techniciens (achevé depuis 2020) et de ravitaillement logistique des pièces détachées et missiles.  

Kiev dispose donc depuis 2020 de 4 unités opérationnelles de Bayraktar TB2 (1 station et 3 drones par unité) et Ankara a livré récemment 200 autres missiles à Kiev et peut-être un deuxième lot de drones (pour les drones, à confirmer). Au final, le parc aérien ukrainien devrait comporter une cinquantaine de drones turcs.

Et très récemment les "Bayraktar TB2" viennent de faire leur apparition dans le ciel du Donbass pour des vols de reconnaissance sur le front, préparant des éventuelles futures missions de combat.


La Crimée...


Il ne faut pas oublier que la péninsule de Crimée déjà convoitée par la Grèce antique et Byzance a toujours fait partie des ambitions impériales des ottomans qui vont d'ailleurs la dominer de la fin du XVe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe siècle pour y développé notamment le commerce de l'esclavage des populations slaves de la région, et la Turquie y a conservé par la suite des relations étroites principalement via la communauté tatare musulmane qui y est restée.

Aussi, lorsqu'en mars 2014, la population de Crimée (dont la grande majorité de la communauté tatare) se prononce par référendum pour le retour de la péninsule au sein de la Russie (qu'elle avait quitté pour l'Ukraine que depuis 1954, sur l'arbitraire de Kroutchev), la Turquie dans un alignement servile et logique refuse de reconnaitre son rattachement russe.

San surprise, compte tenu de son rêve ottoman et de la réalité de l'appartenance turque à l'OTAN, Erdogan a renouvelé son soutien inconditionnel à Kiev au sujet de la Crimée ce 10 avril dernier lors d'une visite du président ukrainien Zelensky à Ankara. Le néo-sultan a non seulement confirmé qu'il ne reconnaitrait jamais la réunification de la Crimée, mais qu'il défendrait la volonté ukrainienne de reprendre la péninsule à la Russie. 

Par ailleurs Erdogan, dont on connait ses affinités avec les mouvances radicales musulmanes, a déclaré apporter son soutien aux tatars de Crimée pro-ukrainiens qui sont en fait la minorité de la minorité tatare dont les plus radicaux ont rejoint l'Ukraine en 2014 et qui sont affiliés au groupe terroriste islamiste Hizb ut-Tahrir.

Cette vision partielle et partiale du président Erdogan  de la communauté tatare de Crimée à été fustigée par la majorité des tatars restés en Crimée et qui soutiennent le retour de la péninsule en Russie.

La Mer Noire...

La Mer Noire est un enjeu majeur pour l'économie d'exportation (réseau des voies fluviales et maritimes) et la stratégie de défense russes (rayon d'action des armements stratégiques et de guerre électronique) avec la Crimée comme clef de voûte vitale. Aussi, depuis le XIXème siècles les puissances occidentales, turques et russes tentent de prendre, développer ou garder le contrôle de cette mer pontique écartelée par leurs zones d'influence et, de la guerre de Crimée britto-franco-sardo-turque contre la Russie (1854) à l'intégration référendaire de la péninsule en Russie (2014) en passant par l'intégration dans l'OTAN de la Turquie (1952) la les enjeux ou menaces de cette dimension stratégique de la Mer Noire ont sans conteste influencés les décisions politiques internationales.

Conscientes de la nécessité, pour la paix dans le Monde, de stabiliser cette région sensible, les nations ont signé en 1936 un accord international réglementant les circulations maritimes, civiles et militaires dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles. 

Or cet accord appelé "Convention de Montreux" qui entre autres limite la durée et le tonnage cumulé des navires de guerre étrangers en Mer Noire est aujourd'hui menacé par la Turquie. Erdogan a en effet lancé le projet du "Canal d'Istanbul" (une jonction de 45km entre la Mer Noire et la mer de Marmara méditerranéenne), officiellement pour désengorger le Bosphore mais qui selon certains opposants (y compris nombre d'amiraux turcs) permettrait de contourner les contraintes de Montreux qui s'appliquent aux détroits naturels.

De là à voir dans ce "canal d'Istanbul" une porte ouverte aux flottes militaires de l'OTAN, il n'y a qu'un petit pas que le contexte actuel permet de faire aisément...

C'est également le point de vue du général de division Yuri Vladimirov qui juge que ce contournement du Bodphore et par conséquent de la convention de Montreux "conduira à la transformation de la mer Noire en une zone avec présence importante et permanente de la marine américaine ce qui modifiera l'équilibre des pouvoirs dans la région et conduira par conséquent à une grande guerre".


En conclusion :

Avec toutes les actions bellicistes turques observées sur ce volcan pontique qui menace d'exploser dans le Donbass, il faudra que le sultan Erdogan explique ce qu'il entend par une "mer Noire pacifique" pour laquelle il prétend œuvrer. 

Personnellement je ne suis pas sûr que défier la Russie soit le meilleur chemin pour restaurer un impérium turc, que ce soit au Levant (tensions en Syrie) dans le Caucase (soutien aux azéris) ou encore moins dans le Pontus en soutenant l'effort de guerre de Kiev.

Et Moscou, par le voix de Sergeï Lavrov, son Ministre des affaires étrangères, de préciser à l'adresse du néo-sultan au sujet de l'Ukraine :

«Je dirai immédiatement et recommandons fortement à tous les pays responsables avec lesquels nous communiquons, et la Turquie est l'un d'entre eux, d'analyser la situation, les éternelles déclarations militantes du régime de Kiev et de les mettre en garde contre le fait d'alimenter ses sentiments militaristes.".

Et au lendemain de la rencontre entre Erdogan et Zelensky, la Russie sans vouloir envenimer les relations d'annoncer une diminution drastique de ses vols en direction de la Turquie.... pour cause du Coronavirus qui ici aussi à bon dos mais pas pour les même raisons ! 

A suivre...

Erwan Castel

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