Retour sur Oktyabrsky

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3 jours de repos cette fois m'attendaient à Oktyabrsky, autant dire un long "séjour" au milieu de mes amis et voisins, au cours duquel j'ai même eu l'occasion d'accompagner Svetlana  Kissileva de l'agence Novorossiya Today, qui accompagnait Alexandra une jeune fille de Donetsk, étudiante à Paris pour un reportage photo.

Les dernières grappes de raisin et des sourires d'enfants nous attendaient à l'ombre des ruines d'un quartier dévasté par la guerre, où le temps semble s'être arrêté en 2014.


Lundi 1er octobre 2018

Je parcours les rues d'Oktyabrsky à vélo passant par les jardins abandonnés et les tonnelles effondrées pour grappiller les perles sucrées blanches noires ou rosées des derniers raisins de la saison. Ici dans ce quartier les rues reprennent vie peu à peu et je découvre des nouvelles maisons revivant sous le retour de leurs habitants. Même dans la rue Stratanovtov, les exceptionnels résistants étant restés sous les tirs depuis 4 ans voient aujourd'hui des familles revenir en journée quelques heures entretenir et réparer leurs maisons endommagées. 

Autour de moi les déchets végétaux brûlés dans les jardins domestiques rejoignent dans le ciel les feux agricoles saisonniers et les fumées sombres dérivant sur les vents prolongent celles que la guerre continue de faire naître autour de cette zone aéroportuaire où les combats continuent à scander quotidiennement la roue du temps.




Tandis que la machine à laver, et les chats ronronnent tranquillement à coté des mes sacs devenus un temps de paix des jouets d'enfants, je pars vers la gare à la rencontre de Svetlana Kissileva et Alexandra, une jeune fille de Donetsk installée à Paris de puis 6 ans et étudiante à la Sorbonne.

"Sacha", qui n'est pas venue dans sa ville natale depuis la guerre et les bombardements veut réaliser un reportage photo ici au milieu des ruines de ce quartier d'Oktyabrsky pour témoigner des plaies de son pays et que tant de regards en Occident refusent de voir.

Nous partons donc vers le Nord et cette ligne de front que nous entendons respirer régulièrement en toussotant de ses mitrailleuses et mortiers jamais au repos. D'abord le secteur de la Mosquée où un habitant affable nous accompagne un moment et partage ses anecdotes de guerre. Ici les stigmates des bombardements disparaissent petit à petit vitres neuve après mur colmaté, mais les cénotaphes alignés devant les étals détruits du marché rappellent avec le regard des personnes rencontrées le feu dévorant d'une tragédie qui n'en finit pas depuis 4 ans.

En reliant au Nord la lisière de ce quartier nos regards palpent les destructions de plus en plus importantes qui signalent la proximité de la ligne de front et les rencontres se font de plus en plus rares au milieu de cette forêt de ruines tendant leurs moignons vers le ciel froid.


Puis c'est la rue Stratanovtov, cet axe routier bordant au Sud la zone aéroportuaire et reliant les villages de Peski à l'Ouest et Spartak à l'Est. A mi chemin nous effectuons un crochet, à l'odeur de pèlerinage au monastère d'Iversky, ce couvent détruit dès 2014 par les bombardements ukrainiens. A l'horizon la silhouette indomptable de l'aéroport porte le drapeau de ses libérateurs et défenseurs du bataillon Sparta.


La chute du soleil surprend les appareils photos gourmands et nous nous donnons rendez vous dimanche pour poursuivre notre moisson de vérité...

Le soir, je rejoins les rires des enfants et le sourire de leur mère tandis qu'un plov (plat traditionnel ouzbek à base de riz sauté légumes et viande) vit ses derniers instants de succomber sous l'assaut des cuillères. 

Au milieu de la nuit, 2 tirs de mortiers ukrainiens nous ont ramené à la réalité de la bête qui renifle toujours au bout de la rue au delà des derniers murs dentelés et arbres décapités...


Dimanche, je retrouve Svatlana et Alexandra pour continuer notre pérégrination au milieu des ruines. La rue Stratanovtov est notre guide qui nous conduit jusqu'au pont détruit de Putilovka aux portes de Donetsk.

Ici malgré un décor apocalyptique des familles s'accrochent à leur domaine, réparant une par une, avec la patience d'un immortel, les pierres et les tôles de leurs maisons bombardées. 





De ruines en rencontres, nous arrivons sur le pont effondré de Putilovka sur lequel la voie rapide de l'aéroport rejoignait le centre ville de Donetsk. Ici les bruits de la guerre sont plus proches, le front de Spartak commençant a quelques centaines de mètres à peine. Il semble qu'un géant ait écrasé le pont sous ses bottes d'acier, et il est difficile de croire au milieu de ce décor dévasté que nous ne sommes qu'à 15 minutes des vitrines rutilantes et des restaurants et hôtels de luxe du centre ville.


Le soir nous repartons chacun sur nos chemins, Svetalana vers Donetsk, Sacha vers Petrovsky au Sud de la ville et moi vers l'aéroport dans ce quartier où j'ai posé mes passions et mon amour pour cette terre aux confins de l'Eurasie et l'Occident et qui est devenue un oasis pour mon âme assoiffée.

Ce matin j'ai repris le chemin de la caserne en attendant de retourner sur le front cette semaine, plus motivé que jamais car le cœur débordant des sourires, des rires et des ronronnements que je défends désormais ici.

Erwan Castel


Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front

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