La République en danger / 4

Depuis l'assassinat du Président Zakharchenko et les remaniements brutaux organisés par le Président par intérim Denis Pushilin (qui en profite pour verrouiller sa pole position pour les élections du 11 novembre prochain), nombre d'interrogations et même d'inquiétudes circulent entre le front quotidiennement bombardé et la bulle spatio-temporelle du centre ville de Donetsk.

Après avoir remanié nombre de ministères (en écorchant au passage l'administration précédente) le tandem Surkhov / Pushilin, sur fond de course électorale présidentielle tient un discours populiste et démagogue où la réalité d'une République en guerre est expurgée pour laisser la place à une vision économico-centrée que beaucoup craignent plus pacifiste et calculatrice que pacifique mais intransigeante.

Je ne cherche pas ici depuis le fond de ma tranchée de Yasinovataya à juger un homme qui vient à peine d'endosser l'habit du pouvoir, mais je préférerai tant que tonnent les canons ukrainiens à l'horizon que ce dernier soit plutôt un treillis de combat qu'un costard cravate à col blanc !

Karien Bechet Golovko, à l'occasion du bombardement ukrainien meurtrier du 13 octobre sous lequel une mère et sa fille ont été tuées souligne ce "décalage" entre les discours politiques et la réalité militaire du Donbass, et je partage malheureusement son amertume et inquiétude 

Erwan Castel

Source de l'article : Russie Politics

Billet d'humeur:
combien de sang le Donbass doit-il verser
pour que les Etats retrouvent leur dignité ?

Nastia, tuée samedi par un obus ukrainien
Karine Bechet Golovko

Si les Hommes doivent préserver leur droit à l'indignation, ils ont le devoir de l'utiliser. Non pas le laisser en réserve pour des jours moins périlleux, prendre la poussière derrière une pile d'invitations, car tout d'abord il faut faire carrière, de faire réélire, soulever un sourcil en choeur et dans les règles, bref donner des garanties sociales. S'indigner est le premier et dernier cri de l'âme. Lorsque les hommes vont trop loin. Lorsqu'ils cessent d'être des Hommes. Lorsque les Etats les oublient, détournent le regard, s'occupent d'affaires plus pressantes - et plus rentables, protègent leurs inféodations diverses et variées. Combien de sang le Donbass doit-il verser pour que les hommes et les Etats retrouvent leur dignité?

Egor, 18 ans (13 octobre): "Les tirs ont duré toute la journée. Mais les explosions étaient lointaines. L'armée ukrainienne est positionnée dans les champs à côté de la ville de Zolotoe. Ca provenait de là-bas. Avec Nastia, nous étions chez moi, à la maison et ensuite elle a décidé de rentrer chez sa mère. Justement ça avait arrêté de tirer. Je l'ai accompagnée. Tout le long de la route, on n'a pas entendu un seul tir. Nous sommes arrivés dans sa cour. Je suis sorti fumer: j'étais à peu près à 15 mètres. Et là j'ai entendu une explosion, de la fumée. Ca m'a jeté à terre. Je me suis dégagé et j'ai couru dans la cour. Ils ont pris un obus. De 80 mm certainement. Nastia était à côté de sa mère. Sa mère était morte, mais Nastia respirait encore. Le sang coulait. Elle avait les jambes déchiquetées et les doigts des mains. J'ai essayé d'arrêter le sang. On a appelé les urgences, mais ils ne venaient pas dans les zones de tir. Je la tenais à la tête, sur la blessure à la nuque. Elle est restée en vie encore 20 minutes."

Le Président Poroshenko, en violation totale des moribonds accords de Minsk, reprenant la rhétorique de l'OTAN expliquant avoir bombardé Belgrade pour sauver la population, a ordonné lui aussi de tirer à vue dans le Donbass "pour sauver des vies". Il faut dire que l'Ukraine s'est déjà bien préparée, car selon les données de la représentation du Centre de surveillance et de coordination du cessez-le-feu, l'armée ukrainienne a déplacé la semaine dernière au-delà de la ligne autorisée, 9 tanks, 36 systèmes de lance-missiles, 1 pièce d'artillerie. Tout cela a également été fixé par l'OSCE, qui comme un gendarme d'opérette peut bien confirmer qu'un crime a été commis, devant ses yeux, mais il regarde le criminel s'éloigner.

Nastia et sa mère ne sont plus là pour apprécier ni l'ironie ni l'absurdité de la situation. Nastia est née en 2001, elle a vécu 4 années de guerre. En une semaine, il y a eu à DNR 10 blessés et 5 morts. Mais leur vie à eux ne doit pas compter. Il ne s'agit manifestement pas de ces vies à sauver, car elles furent volées, détruites. La terre du Donbass intéresse l'Ukraine, pas ses habitants. C'est d'ailleurs bien ce qu'a déclaré devant caméras l'ancienne vice-gouverneur d'Odessa lorsqu'elle a affirmé que ce qui a arrêté la révolte à Odessa c'est le massacre dans la Maison des Syndicats, qui fut un moyen efficace. D'ailleurs, elle regrette que cela n'ait pas été employé à Lugansk et Donetsk, ce qui aurait évité ce conflit.

Dans ce contexte quelque peu tendu, il devient difficile de comprendre la politique mise en place à l'intérieur de Donetsk, après l'attentat qui a coûté la vie à Zakhartchenko. Le candidat de Sourkov, Pouchiline, tient un discours pour le moins décalé de la réalité quotidienne et un conflit latent commence à émerger avec les forces militaires. D'un côté, une opération de comm visant à discréditer le mandat de Zakhartchenko, opération qui avant touchait son entourage et maintenant s'attaque à lui directement. Ainsi, il n'aurait pas eu la "gestion' d'un parfait petit "manager" et donc aurait trompé Moscou, qui ne savait rien. D'ailleurs, pour preuve, les pensions sont basses et les salaires aussi, et les gens finalement vivent mieux du côté Ukrainien que Donbassien. Et un cafouillage de comm, avec Pouchiline qui déclare d'un côté que Sourkov a promis d'aider à remonter les salaires, déclaration que Peskov, porte-parole du Kremlin, affirme entendre pour la première fois. 

Donc, pas d'achat de la paix sociale en vue? Le business, Deus ex Machina de cette triste fable, en période de guerre, doit permettre de compenser un blocus humanitaire, une situation de conflit chaud, développer des liens commerciaux, peut-être aussi régulièrement reconstruire les usines bombardées par l'Ukraine, les entreprises bombardées par l'Ukraine; le budget sans faire pression sur le business (souvenez-vous des accusations contre Timofeev qui avait le mauvais goût de récolter des impôts) doit financer les pensions qui ne sont pas versées par l'Ukraine, reconstruire les hôpitaux bombardés par l'Ukraine, les écoles bombardées par l'Ukraine, l'infrastructure civile bombardée par l'Ukraine.

Non, vraiment, sérieusement, on ne peut faire tranquillement du fric? A quoi sert cette guerre, vraiment on se le demande ...

Manifestement ces dérives aussi mercantiles que stupides, ne sont pas du goût de tous. Et pour la première fois l'Ombudsman de DNR, qui n'est pas un blogueur indépendant mais un organe officiel, publie les pertes militaires. Juste histoire de rappeler que chaque jour des hommes meurent ou sont blessés. Pour protéger la population du Donbass d'un massacre géant, d'une orgie odessite sanglante. Et pas pour qu'un Pouchiline en col blanc puisse, sous protection, organiser le business de certains. 

Combien de sang devra encore couler pour que l'Occident ouvre les yeux sur le massacre qui se déroule en toute impunité dans le Donbass? Combien de sang devra couler pour que la Russie comprenne qu'elle risque d'être emportée par la vague de violences qui déferle sur ces hommes et ces terres?

Combien de sang le Donbass doit-il encore verser pour que les hommes et les Etats retrouvent leur dignité?

Karine Bechet-Golovko

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