Promka

Sur le front du Donbass, entre Occident et Eurasie, entre ciel et terre, entre guerre des Tartares et guerre des tranchées, il est un lieu comme tant d'autres mais mais dont le nom résonne dans mon coeur comme un vent déchirant les brumes du temps sur la roche indestructible des souvenirs. C'est ici entre Avdeevka et Yasinovataya, au milieu des ruines fantomatiques d'une zone industrielle pulvérisée à 10 kilomètres au Nord de Donetsk que des hommes s'affrontent depuis 8 ans bientôt dans un champ de bataille enlisé dans un labyrinthe de tranchées et de casemates sans fin.

Lundi 14 février 2022

Il est toujours difficile de décrire ce lieu qui semble abandonné des dieux et des hommes mais où pourtant se glissent ici et là, furtifs et silencieux entre les amas de béton brisé et les sillons des tranchées, les ombres de bêtes sauvages restaurant leur royaume au milieu des fantômes de vies disparues ou écrasées, et des hommes toujours là courbés au dessus de leurs armes, dans la boue, la poussière ou la neige d'un labyrinthe où rôde dans les boyaux de la terre et les couloirs effondrés le minotaure d'une guerre sans fin.

Vidéo d'un drone ukrainien survolant la zone de Promka
entre Yasinovataya et Avdeevka, au Nord de Donetsk.

Et dans ce fatras de pierres, de briques, de tôles, de charpentes, toutes sculptées par l'acier des pelles et des obus et rouillées par les assauts du temps s'échappent depuis 8 ans des flots de conserves, de bouteilles plastiques et de boites diverses que les soldats dispersent soigneusement comme un tapis sonore complémentaire aux guetteurs, les alertant au moindre quadripède ou bipède s'aventurant dans les vers les récifs.de béton habités.


Dans ce monde à part, le temps est un accordéon qui s'étire ou s'accélère selon l'action ou l'inaction, le silence ou le vacarme des moments du front qui se succèdent irrégulièrement mais toujours avec la brutalité d'un coupret de guillotine .

Et dans le ventre des ruines et des boyaux creusés, la vie coule dans des torrents de gestes mille fois répétés, mais dont il ne faut jamais être lassé, car à portée de voix d'autres soldats font la même chose guettant dans la ligne de mire de leurs armes l'inattention fulgurante mais fatale d'un camarade dévoilant une épaule derrière l'embrasure d'une tranchée ou laissant son équipement accrocher un reflet de lumière.


Et dans ce décor dantesque, l'acier des balles, des grenades ou des obus empêche la monotonie de venir ramollir les esprits,  arrachant brutalement les corps endormi ou occupés vers les remparts qu'un ennemi pourrait atteindre en quelques minutes seulement.
Et parfois dans ces temples de la guerre se déroulent les noces barbares de la neige et du feu, de la mort et de la vie.

Puis dans ces réduits sombres aux odeurs de poudre et de sueur, un silence revient, brutal, comme une pierre tombale retombant sur les vivants.

Et les hommes s'en retournent reprendre des munitions, retrouver un thé encore tiède et ces gestes quotidiens que rythment les ronronnements d'un chat et le crépitement d'un feu faisant danser les ombres sur des murs lépreux....


Cette vie au milieu de nulle part ne laisse place ni au bonheur, ni à la peur, ni à l'ennui, ni au rêve, ni au mensonge,  ni au doute, ni à l'hésitation, ni à la vanité.... 

Seul le Devoir, l'expérience intérieure et la Mort peuvent côtoyer son étrange intensité...

Erwan Castel

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