L'ultimatum de la Russie à l'OTAN
Depuis le 17 décembre 2021, la diplomatie russe est passé à l'offensive pour défendre les "lignes rouges" sécuritaires face à l'expansion obstinée et menaçante de l'OTAN jusqu'à ses frontières occidentales derrière lesquelles sont immédiatement les principaux centres névralgiques et de commandement de la Fédération (voir ici le rappel chronologique)
Le fait est que les négociations, comme c'était malheureusement à craindre, ont échoué à cause de l'hypocrisie d'une Maison Blanche croyant dominer le Monde et qui, dans le domaine des zones d'influence sécuritaire légitimes, refuse aux autres dans une fuite arrogante irresponsable ce qu'elle exige pourtant autour de son propre territoire national.
La réponse écrite en forme de fin de non recevoir collectif de l'administration Biden et de l'OTAN aux propositions russes de sécurité collective a eu au moins l'avantage d'acter noir sur blanc les intentions hégémoniques de Washington en Europe, ce à quoi Sergeï Lavrov a répondu ce 1er février par une lettre claire et sans ambages envoyée, afin de mettre les chefs d'Etat occidentaux devant leurs responsabilités historiques, à chaque pays de l'OTAN:
"Vous n’êtes pas sans savoir que la Russie est sérieusement préoccupée par l’aggravation des tensions politico-militaires aux abords immédiats de ses frontières occidentales. Afin d’éviter toute nouvelle escalade, la partie russe a présenté le 15 décembre 2021 les projets de deux documents juridiques internationaux interconnectés – un Traité entre la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique sur les garanties de sécurité et un Accord sur des mesures visant à assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
Les réponses des États-Unis et de l’OTAN à nos propositions reçues le 26 janvier 2022 démontrent de sérieuses différences dans la compréhension du principe de sécurité égale et indivisible qui est fondamental pour l’ensemble de l’architecture de sécurité européenne. Nous pensons qu’il est nécessaire de clarifier immédiatement cette question, car elle déterminera les perspectives d’un dialogue futur.
La Charte de sécurité européenne signée lors du Sommet de l’OSCE à Istanbul en novembre 1999 énonçait les principaux droits et obligations des États participants de l’OSCE en matière d’indivisibilité de la sécurité. Elle a souligné le droit de chaque État participant d’être libre de choisir ou de modifier ses accords de sécurité, y compris les traités d’alliances, en fonction de leur évolution, ainsi que le droit de chaque État à la neutralité. Le même paragraphe de la Charte conditionne directement ces droits à l’obligation de chaque État de ne pas renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres États. Il précise en outre qu’aucun État, groupe d’États ou organisation ne peut avoir la responsabilité prééminente du maintien de la paix et de la stabilité dans l’espace de l’OSCE ou ne peut considérer aucune partie de l’espace de l’OSCE comme sa sphère d’influence.
Lors du Sommet de l’OSCE à Astana en décembre 2010, les dirigeants de nos nations ont approuvé une déclaration qui réaffirme cet ensemble complet d’obligations interconnectées.
Cependant, les pays occidentaux continuent à n’en retenir que les éléments qui leur conviennent, à savoir le droit des États à être libres de choisir des alliances pour assurer exclusivement leur propre sécurité. Les mots "en fonction de leur évolution" sont impudemment omis, car cette disposition faisait également partie intégrante de la compréhension de la "sécurité indivisible", et plus particulièrement dans le sens où les alliances militaires doivent abandonner leur fonction initiale de dissuasion et s’intégrer dans l’architecture paneuropéenne sur la base d’approches collectives plutôt qu’en groupes étroits. Le principe de sécurité indivisible est interprété de manière sélective comme une justification de la course en cours vers un élargissement irresponsable de l’OTAN.
Il est révélateur que les représentants occidentaux, tout en se déclarant prêts à engager un dialogue sur l’architecture de sécurité européenne, évitent délibérément de faire référence à la Charte de sécurité européenne et à la Déclaration d’Astana dans leurs commentaires. Ils ne mentionnent que des documents antérieurs de l’OSCE, particulièrement la Charte de Paris de 1990 pour une nouvelle Europe qui ne contient pas l’obligation de plus en plus "gênante" de ne pas renforcer sa propre sécurité au détriment de la sécurité des autres États. Les capitales occidentales tentent également d’ignorer un document clé de l’OSCE, le Code de conduite de 1994 sur les aspects politico-militaires de la sécurité, qui dit clairement que les États choisiront leurs arrangements de sécurité, y compris l’adhésion à des alliances, "en gardant à l’esprit les préoccupations légitimes de sécurité des autres États".
Cela ne fonctionnera pas de cette façon. L’essence même des accords sur la sécurité indivisible est que soit il y a sécurité pour tous, soit il n’y a de sécurité pour personne. La Charte d’Istanbul prévoit que chaque État participant de l’OSCE a un droit égal à la sécurité, et pas seulement les pays de l’OTAN qui interprètent ce droit comme un privilège exceptionnel d’appartenance au club « exclusif » de l’Atlantique Nord.
Je ne commenterai pas d’autres directives et actions de l’OTAN qui reflètent l’aspiration du bloc « défensif » à la suprématie militaire et à l’utilisation de la force en contournant les prérogatives du Conseil de sécurité de l’ONU. Qu’il suffise de dire que de telles actions contreviennent aux obligations fondamentales paneuropéennes, y compris les engagements pris en vertu des documents susmentionnés de ne maintenir que des capacités militaires proportionnées aux besoins de sécurité individuels ou collectifs, compte tenu des obligations découlant du droit international, ainsi que des intérêts légitimes de sécurité d’autres États.
Évoquant la situation actuelle en Europe, nos collègues des États-Unis, de l’OTAN et de l’Union européenne lancent des appels constants à la "désescalade" et appellent la Russie à "choisir la voie de la diplomatie". Nous tenons à rappeler que nous avançons sur cette voie depuis des décennies. Les étapes clés, telles que les documents des sommets d’Istanbul et d’Astana, sont exactement le résultat direct de la diplomatie. Le fait même que l’Occident essaie maintenant de réviser à son avantage ces réalisations diplomatiques des dirigeants de tous les pays de l’OSCE suscite de vives inquiétudes. La situation exige une franche clarification des positions.
Nous voulons recevoir une réponse claire à la question de savoir comment nos partenaires comprennent leur obligation de ne pas renforcer leur propre sécurité aux dépens de la sécurité des autres États sur la base de l’attachement au principe de sécurité indivisible.
Concrètement, comment votre gouvernement entend-il s’acquitter dans ses pratiques de cette obligation dans les circonstances actuelles? Si vous renoncez à cette obligation, nous vous demandons de l’indiquer clairement.
Sans une clarté totale sur cette question clé liée à l’interconnexion des droits et obligations approuvée au plus haut niveau, il est impossible d’assurer l’équilibre des intérêts incarnés dans les instruments des sommets d’Istanbul et d’Astana. Votre réponse permettra de mieux comprendre l’étendue de la capacité de nos partenaires à rester fidèles à leurs engagements, ainsi que les perspectives d’avancées communes vers la diminution des tensions et le renforcement de la sécurité européenne.
Nous nous réjouissons de votre réponse rapide. Elle ne doit pas tarder car il s’agit de clarifier l’accord sur la base duquel Votre Président/Premier Ministre a signé les obligations correspondantes.
Nous espérons également que la réponse à cette lettre sera donnée à titre national, car les engagements susmentionnés ont été pris par chacun de nos États individuellement et non au sein d’un bloc ou au nom de celui-ci."
Sergeï Lavrov, Ministre russe des Affaires Etrangères
Globalement, Washington ne reculera pas et préférera même, sans engager directement l'OTAN mais en raflant au passage un prétexte pour de nouvelles sanctions économiques contre la Russie, sacrifier l'Ukraine dans sa confrontation avec Moscou.
Ce qui en revanche risque de se passer avec cette lettre individuelle de Sergeï Lavrov c'est l'apparition de fissures dans le bloc atlantiste, lesquelles ont déjà commencé à apparaitre avec le refus de certains pays membres de livrer des armes à l'Ukraine et d'autres de ne pas déployer leurs troupes en Europe de l'Est en cas de conflit russo-ukrainien.
La ruse de la Fédération de Russie est de ne pas dévoiler les réactions concrètes qu'elle mettra en œuvre contre les pays qui refuseront formellement les garanties de proposition collective qu'elle propose. Et la première conséquence d'un refus écrit aux propositions russes est de trahir officiellement, moralement et même juridiquement, les engagements internationaux de "sécurité indivisible" signés et sur lesquels reposent l'architecture du droit international... Dès lors que le bloc occidental, par les réponses demandées ce 1er février par Lavrov, déchirera les principes même de sécurité collective du passé et du présent, cela autorisera la Russie à appliquer où bon lui semble la même stratégie de développement de ses alliances comme elle a déjà évoqué de le faire dans les Caraïbes et en Amérique du Sud par exemple. Et l'arrogance actuelle des USA leur reviendra alors en pleine gueule comme un boomerang lancé trop fort par un imbécile !
Personnellement je vois aussi dans cette demande de réponse individuelle exprimée par le Ministre russe des Affaires Etrangères une opportunité offerte aux pays européens de se libérer de la tutelle étasunienne et du carcan de l'OTAN et de réfléchir à leur propre schéma de sécurité collective européenne, en partenariat avec la Russie. Mais là je rêve car à part la Hongrie, et peut-être 2 ou 3 autres pays, les poids lourds de l'Union Européenne et de l'OTAN resteront fidèles à leur vassalisation par Washington...
Mais sans nul doute les laquais occidentaux se souviendront demain, en mangeant leur merde, de cette table d'hôte européenne que la Russie leur avait proposé de partager aujourd'hui. Alors peut-être ne referont ils pas deux fois la même erreur de persister dans cette servitude volontaire à l'Hégémon de la marchandise étasunienne, et trahissant une nouvelle fois leurs engagements internationaux... ils défendront cette fois la bonne cause et la souveraineté des peuples d'Europe !
Alors, à vouloir gagner l'Ukraine, les USA auront perdu l'Europe, mais malheureusement ce scénario probable n'est pas pour demain, ni sans souffrance, car face au poker menteur brutal étasunien, Moscou doit jouer une partie d'échecs longue mais résistante.
Erwan Castel