Soldats de l'empire
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Quelque part sur le front de Gorlovka au Nord de la République Populaire de Donetsk, je profite de l'accalmie du front pour tenter de progresser dans le labyrinthe de mes pensées éclairées autant par les événements environnants que l'immuable course du soleil invaincu au dessus de nos microscopiques vies éphémères.
Lundi 26 août 2019
Ce matin avant le salut au Soleil, de nouvelles détonations ont retenti dans notre secteur, rappelant par leurs gerbes d'acier frappant nos postions près de Zaitsevo, que la guerre dans le Donbass ne dort que d'un œil...
Puis le calme est revenu comme ces derniers jours, laissant les soldats dans une attente longue et silencieuse et qui ouvre parfois les chemins de quêtes herméneutiques inconnues entre les ravins des regrets et des lassitudes vers travers les forêts de la nostalgie et de l'espérance. Autour de moi les silhouettes des camarades s'affairent les uns à réanimer le feu les autres à prendre une garde ou boire un café, ou simplement se reposer enfin.
Beaucoup sont du Donbass, et même de Gorlovka où nous sommes déployés depuis 10 jours, d'autres viennent de Russie, d'Italie ou d'Ukraine, et sur d'autres positions sont des tatars, des abkhazes, des serbes ou des ossètes... Beaucoup sont orthodoxes, d'autres musulmans, certains juifs, polythéistes ou athées; les yeux sont ronds ou en amandes et les peaux plus ou moins mates...
Lorsque l'OTAN porte l'hégémonie occidentale aux portes de la Russie, en Géorgie ou en Ukraine par exemple, les peuples agressés se voient aidés instinctivement par des volontaires extérieurs mais dont la majorité témoignent de la survivance identitaire de cet Empire historique dans les coeurs des peuples de la "Grande Russie" qu'elle soit impériale ou soviétique.
Et les révolutions, les guerres asymétriques modernes ou les conflits intérieurs comme celui du Donbass sont les meilleurs terreaux d'où surgissent spontanément ces armées populaires hétéroclites issues de volontariats hétérogènes. On pourrait s'étendre pendant des chapitres et des volumes sur ce qui caractérisent ces milices populaires, ce qui les unit à travers leurs déclinaisons passées ou contemporaines, mais selon moi le plus intéressant est de voir ce qui les différencient d'avec les armées régulières des Etats modernes, et non pas dans les apparences superficielles de leurs uniformités mais dans l'essence même de leur existence et la fonction politique de leur force.
Dans l'antiquité les soldats, qu'ils soient ceux des clans ou des empires étaient dépositaires de la fonction guerrière qui dominait les décisions lorsque les armes prenaient le relais d'une diplomatie inefficace. Ces armées étaient le sang versé mais aussi le sang alimentant le coeur et de ce sens commun qui anime spontanément les citoyens lorsque sonne l'alarme. Ce sens commun est la véritable identité nationale des peuples.
Puis il a eu les pouvoirs centralisés et hégémoniques, mythifiant l'extension de leurs frontières artificielles où les peuples conquis étaient méprisés dans leurs identités étrangères, et les soldats de ces Etats nations devinrent au fil de l'Histoire plus des objets de conquêtes au service des intérêts des élites gouvernantes qu'une armée populaire et volontaire défendant la nation et ses valeur. Au fur et à mesure que l'absolutisme du pouvoir grandit et impose l'hégémonie de sa pensée unique, l'armée perd la fonction ontologique des guerriers pour n'être plus qu'une troupe de mercenaires politiques, de gamellards et de chair à canon.
Il y a cependant des exceptions, fort heureusement, comme par exemple les armées révolutionnaires, les milices populaires d'autodéfense et les armées impériales...
Or dans le Donbass, en 2014 s'est levée une force combattante qui présente ces 3 caractéristiques révolutionnaire, populaire et impériale. En effet:
- Alors que le Maïdan n'était qu'un coup d'Etat organisé par les services occidentaux avec l'aide des paramilitaires néo nazis, la vraie révolution se passe en Crimée et dans le Donbass quand les populations dans leur immense majorité descendent dans la rue et, refusant la mise en esclavage occidentale de l'Ukraine, réclament leur retour dans un monde russe dont elles sont issues.
- Lorsque les premiers blindés ukrainiens arrivent aux portes du Donbass, et que les bataillons spéciaux massacrent des manifestants pro-russes (comme à Mariupol par exemple), des groupes d'autodéfense disparates s'organisent spontanément dans les villes pour protéger les barrages et les bâtiments administratifs où s'organise le référendum d'autodétermination.
- Dès les premières semaines de la résistance du Donbass, des volontaires affluent pour aider bénévolement la résistance des milices populaires, venant principalement des différentes régions de la Russie, dans anciennes républiques socialistes soviétiques,de Serbie mais aussi de pays étrangers à l'Empire ou au monde slave, comme la France, l'Espagne, le Brésil etc.
Cette dynamique militaire populaire continue aujourd'hui, malgré la professionnalisation des forces de défense républicaines et la morosité d'une guerre de tranchée très peu intéressante. Et sur ce front du Donbass nous sommes quelques 20 000 volontaires, hommes et femmes à défendre plus de 400 kilomètres de tranchées, casemates et bocks post, face à une armée ukrainienne qui continue, malgré les trêves sans cesse répétées dans les gesticulations stériles de Minsk, à exercer quotidiennement une pression meurtrière sur nos lignes.
Mais cette force de volontaires - à laquelle se rajoutent les effectifs encore plus nombreux des vétérans du Donbass constituant une force de réserve prête à retourner sur le front - au delà de sa fonction combattante vitale, incarne dans sa dimension populaire la fonction sociétale guerrière et métapolitique du Soldat qui est l'un des piliers fondamentaux de toute communauté de l'Être, qu'elle soit dumézilienne (avec le clergé et les artisans) ou jüngérienne (avec le travailleur, le penseur libre (anarque) et le rebelle).
Tant que cette armée du Donbass restera animée autant par le sens de l'Empire que celui de la Liberté et des Traditions quelle défend, elle sera invincible et gardienne des valeurs qui l'ont fait naître, protégeant les républiques des agressions militaires extérieures autant que des tentations politiques libérales d'une dictature de la marchandise protéiforme qui essaye par tous les moyens d'étouffer le soleil du Printemps russe.
Erwan Castel, volontaire breton dans le Donbass