Partisan sur le front
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Sur le front de Gorlovka des détonations ukrainiennes viennent peu avant 18h00 réveiller les aboiements des chiens errants et chasser les hérons des étangs avoisinants, confirmant malheureusement l'escalade en cours qui s'est amorcée brutalement il y a deux jours avec la mort d'une dizaine de défenseurs républicains tombés lors d'une attaque sur ce secteur et de bombardements dans le Sud de la République de Donetsk. et ce soir un nouveau défenseur républicain paie de sa vie son amour pour cette république du Donbass.
Samedi 31 août 2019
Aujourd'hui j'avais un rendez improbable dans un restaurant de Paris avec des membres du réseau de soutien au Donbass, lequel a pu se réaliser grâce à la magie des réseaux internet qui peuvent raccourcir le monde à l'intérieur de nos horizons individuels, Et ces retrouvailles ont été l'occasion pour moi, dans la langue de Voltaire (mais pas forcément dans sa pensée), d'évoquer nombre de sujets divers et variés, légers ou graves, russes, français ou internationaux mais toujours sous l'égide d'un sens commun au service de la cause des peuples luttant contre l'hégémonie d'un mondialisme libéral esclavagiste.
Emporté par la passion des sujets et le plaisir de revoir des connaissances éloignées, j'en ai oublié cette course du soleil au dessus des arbres où nous avons niché notre position pour cette nouvelle mission sur le front Nord de Gorlovka. Et lorsque la fenêtre virtuelle s'éteint j'ai juste eu le temps de revenir vers la fumée filtrée de notre petit feu de camp avant que la "volée" quotidienne de moustiques annoncent l'arrivée du crépuscule.
La guerre aiguisant les sens dans leur définition la plus survivaliste, les détails, même les plus anodins de la vie prennent souvent une dimension particulière et unique et renvoient comme un écho la juste place de nos petites personnes trop souvent déformées par les miroirs de nos vanités et orgueils humains.
La petite forêt où nous sommes déployés donne à notre mission un air de guerre de partisans car nous évoluons au milieu des arbres et des passées d'animaux que parfois, lorsque le silence nous enveloppe, il nous arrive de voir ou d'entendre furetant autour notre campement, attirés par les déchets de nos repas ou soumis à la dynamique perpétuelle des représentants de la faune sauvage, tantôt prédateurs, tantôt proies dans le cycle souverain de la vie et de la mort...
Et au milieu de ce monde naturel à la fois intime et étranger, des hommes évoluent, prédateurs d'eux mêmes, courant, rampant ou creusant cette steppe où se sont levés à nouveau des vents de l'Histoire imposant au regard des yeux et des âmes un avenir et un silence inconnus que les gueules d'acier de leurs armes viennent parfois rompre d'un aboiement sec et lugubre.
18h40, les détonations éloignées qui martelaient notre horizon depuis plus d'une demi heure s'estompent dans le déclin occidental du soleil, alors reviennent au premier plan de nos sens les chants des batraciens et les vrombissements des insectes, le crépitement du feu et les craquements des brindilles sous les pas des sentinelles...
Et je m'équipe pour mon premier service nocturne, enveloppant mon corps de cet harnachement de plaques, de chargeurs et de sacoches, aux sangles multiples à serrer et rejoint la lisière armé de mon fusil et de cette citation d'Alexandre Zakharchenko offerte aux combattants de la Liberté par son exemple resté vivant dans nos coeurs :
"Je suis le petit-fils de mon grand-père.
Je suis aussi l’arrière-petit-fils de mon arrière-grand-père.
Chez moi sont leurs récompenses. Je monte souvent les regarder et je comprends -
si mes grands-pères et mes arrière-grands-pères pouvaient le faire,
alors je le peux aussi.
Et quand j'arriverai à eux, je n'aurai pas la honte d'avoir déshonoré le nom de ma famille.
On va se lever avec eux .
Mais je ne serai pas parmi eux, comme un enfant,
je serai un homme.
Ils vont évaluer mon chemin de vie.
J'ai probablement fait beaucoup d'erreurs.
Mais seul ne se trompe pas, celui qui ne fait rien."
Les feuillages caressés par le vent font clignoter les étoiles au dessus de moi, tandis que les ombres des dieux anciens se glissent entre des troncs griffés par l'acier...
Puis les hommes les bêtes et les arbres se noient progressivement dans l'encre silencieuse de la nuit et des pensées vagabondes.
Puis les hommes les bêtes et les arbres se noient progressivement dans l'encre silencieuse de la nuit et des pensées vagabondes.
Erwan Castel