Retour vers le front

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Après une semaine passée entre Oktyabrsky et les services à la caserne sur fond d'alerte comme toutes les unités de la milice, me voilà reparti pour une nouvelle rotation sur le front de Promka, la 29ème depuis mon affectation à la la Brigade Piatnashka il y a 13 mois aujourd'hui.

Les sacs sont lourdement chargés car si la météo est plutôt glaciale, en revanche la situation sur la ligne de front est plutôt chaude depuis que la menace d'une offensive ukrainienne pèse dans les secteurs de Mariupol et Gorlovka.

Hier soir, tandis que nous touchions notre solde mensuelle, des véhicules blindés montant sur le front passaient en colonne à proximité de la caserne. L'ambiance n'est pas vraiment celle de la "trêve des pâtissiers" traditionnelle qui couvre les fêtes de fin d'année et que d'ailleurs Kiev vient de rejeter lors de la dernière réunion du groupe de travail chargé de superviser le processus de Minsk -ou plutôt d'accompagner sa dépouille au cimetière !)


Jeudi 20 décembre 2018

Au réveil, je retrouve "Blin", qui maintenant est devenu un jeune chat, lové sur mon sac tendu par les vêtements et les munitions, la caserne est silencieuse à part les remuementstdiscrets du soldat de service dans le couloir et des camarades qui font partie de cette nouvelle rotation sur le front de Yasinovataya, au Nord de Donetsk.

Entre 25h45 et 05h00, le réseau téléphonique national 'Phoenix" a été coupé quasi totalement sur les secteurs de Donetsk et Makeevka et pour des raisons indépendantes de la volonté des services républicains, et dans le contexte actuel de la menace d'une offensive ukrainienne cela a provoqué la mise en alerte de combat du bataillon depuis le milieu de la nuit. avant le matin les services techniques ont pu rétablir la connexion.

Je regarde les dernières cartouches d'un calendrier 2018 qui s'est effeuillé à une vitesse vertigineuse, entraîné par le rythme soutenu des missions sur le front et des événements importants ayant bouleversé la "routine" de l'unité : mort au combat de plusieurs camarades et du commandant du bataillon, versement administratif de Piatnashka vers les forces spéciales du Ministère de l'Intérieur suite à l'assassinat du Président Alexandre Zakharchenko et les réformes entreprises par son successeur Denis Pushilin. 

La plupart des visages de l'unité qui étaient l'année dernière dans les tranchées à peine creusées de Promka ont disparu aujourd'hui, tués au combat, mutés, parfois virés tout ou simplement démissionnaires; et les "anciens" de la compagnie qui riaient ensemble à Noël 2018 ne sont plus aujourd'hui qu'une dizaine encore présents. 


Devant nous un froid sans neige et des bruits de guerre environnent un front toujours sous la menace d'une offensive ukrainienne majeure. Derrière nous, nous laissons une ville de Donetsk paisible, où la vie continue malgré la menace d'un front qui n'est qu'à 20 minutes de la place centrale de la cité illuminée par les décorations de Noël qui ici sera célébré dans la nuit du 6 au 7 janvier, selon le calendrier Julien en vigueur dans la religion orthodoxe. 

Cette image paisible de familles déambulant place Lénine à Donetsk, illustre bien la mentalité de ce peuple du Donbass, fidèle à ses traditions familiales séculaires et animé dune capacité de résilience exceptionnelle que j'ai maintes fois décrite depuis 2015 comme sa qualité première lui permettant de résister face à l'agression ukrainienne. Nul ne peut imaginer qu'à seulement quelques stations de bus de cet immense sapin décoré perpétuant les traditions païennes européennes, se trouvent des quartiers bombardés, plongés dans l'obscurité et le fracas des tirs qui n'ont jamais cessé depuis plus de 4 ans.


Le Donbass, un mental à toute épreuve !

Me concernant mon calendrier étant solaire je célébrerai "Yule" dans les tranchées, le solstice d'hiver étant dans 2 jours, le samedi 22 décembre. Entre la boue gelée des hommes et les étoiles chaudes des dieux j'attendrai dans la longue nuit noire le retour du Sol Invictus qui éclaire la destinée du monde vivant depuis que les dieux dans leur humanité mirent fin au chaos originel, ce "premier âge où il n’y avait rien". 
Malheureusement les Hommes dans leur immense majorité n'ont pas encore trouvé leur divinité et persistent à vouloir restaurer à leur manière le chaos sur Terre. 

A l'horizon, tandis que nous chargeons notre barda dans le véhicule les premières détonations de la journée brisent le silence de la nuit mourante. Blotti au fond d'une sacoche "Blin" ronronne, insouciant à la folie des clercs et des princes qui brûle depuis des millénaires l'espérance des peuples dans les brasiers de la haine et du pouvoir cette racine du mal dont Bakounine disait qu'elle n'est pas changer mais à détruire.

Erwan Castel


Je laisse en conclusion ce beau poème sur le solstice d'hiver, signé Jean Favre, glané sur les réseaux sociaux de Jean Jacques Vinamont que je remercie de cette trouvaille.

Demain sera plus long, le soleil reviendra.
C'est la grande fête de l'hiver, jour de joie, joie calme, pénétrée, que chacun trouve au plus profond de soi.
Devant la petite flamme qui décline dans le chandelier, chacun refait le chemin parcouru.
Inquiétude qui naît au cœur de l'homme s'il oublie les grandes lois de la vie.
Un grand silence, une grande force, comme un grande attente.
Devant la flamme qui maintenant scintille sur le chandelier de pierre, chacun retrouve la confiance dans sa force, joie triomphante de qui garde l'espèrance.
Le soleil triomphera .
Le père allume la buche de Noel et, dans ses yeux, il y aussi une grande flamme.
Le feu clair monte dans le foyer, la maison en est toute pleine de chaleur et de lumière.
Chacun pense, chacun se promet de garder sa foi en lui même, et en la vie.
En chacun monte une force nouvelle:
La vie triomphera.

Jean Favre

Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front

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