Fin de rotation sur Promka

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Finalement cette rotation n'aura pas vécue l'offensive ukrainienne espérée par les uns, mais aussi souvent les autres car en rompant enfin définitivement les digues sanglantes d'accords de Minsk jamais accomplis, elle terminerait, certes dans un accès de fureur meurtrière vraisemblable, cette guerre hémorragique qui n'en finit pas de martyriser le peuple du Donbass.

De notre côté, sous un manteau neigeux frais et épais, nous rentrons vers la base Pitanashka où nous attendent de pied ferme les services régimentaires et un régime d'alerte de combat qui n'a pas faibli tant la menace ukrainienne est toujours d'actualité.


Jeudi 27 décembre 2018

6h00, l'aube est encore loin et pourtant nous arrimons nos sacs à dos et matelassons nos treillis, car des rafales de vent froid nous apportent depuis une heure jusque dans le secret de "Forteruine" des paquets de neige fraîche et onctueuse .

Un "Vog" ukrainien, grenade à fusil autopropulsée, vient percuter en explosant le mur Ouest de notre position suspendant une seconde les mains affairées sur les sangles et les gilets tactiques alourdis de grenades et de chargeurs, de fusées éclairantes mais aussi de boue et d'humidité.
Le silence revient aussitôt pesant et palpable après une nuit agitée autour de provocations incessantes mais sans autre conséquence que de tuer le sommeil et charger encore plus les paupières de la fatigue d'une semaine de veille ininterrompue.

Enfin nous sortons à pas lents dans les sillons entremêlés de boue gelée, silencieusement espacés de plusieurs mètres dans une cordée lente où la tranchée nous sécurise et nous canalise de méandres en talus jusqu'au delà du cimetière des datchas où nous attend notre véhicule de liaison devant nous ramener à la base du bataillon. 


Dans le fond de la tranchée tapissée d'une neige salie par les journaliers du front, un sac de vivres troué porté par un gars nous ayant relevé a semé deci delà des pommes de terre, cailloux incongrus d'un petit poucet camouflé, suant et ployant sous les sacs et les armes et marquant malgré lui, s'il en était besoin, ce fil d’Ariane unique creusé au profond de la terre...

Quelques minutes plus tard nous voilà dans le véhicule cahotant et glissant sur le chemin environné d'un rideau de neige épaisse qui donnent d'un coup au paysage des terrils, habituellement morne et sombres, la magnificence éthérée d'un conte de noël russe. Et dans les échancrures des "Zilonkas", ces forêts linéaires bordant les parcelles où se jouait ce matin sur une piste immaculée la valse des flocons, je m'amusait à imaginer dans la forme des troncs couverts de neige la silhouette souriante de la Snégourouchka pour laver mon esprit de cette odeur de guerre qui étouffe l'enfant qui est toujours caché au fond de mon âme. 

Arrivés au terme de notre exfiltration, et avant de s'affaler sur le plancher de la camionnette de liaison, nous immortalisons en photo cette semaine des 4 de Piatnashka, drôles de mousquetaires des temps post-modernes, passée au fond des tranchée et des abris quelque part entre Yasinovataya et Avdeevka dans une espace tant de fois retourné par l'acier des pelles et des obus qu'il en est devenu presque extra-terrestre...

Sous les joues rongées par une barbe sale, le visage de chacun semble un miroir où se reflètent les cernes de ses camarades, sillons de fatigue surlignés par les noirceurs poussiéreuses de la terre et du charbon. Mais sous ces apparences de mendiants puants, les corps toujours droits affichent le profil aiguisé et noueux des reîtres intemporels, qu'ils soient aujourd'hui les lointains et pâles échos ou les dignes héritiers de leurs aïeux. Et ces volontaires, dont certains pourraient être les pères des autres, sertissent pareillement de leurs carcasses dégingandées des orbites ouvertes aux rêves éternels, où brillent le feu dévorant des amants d'une Liberté toujours à conquérir.

Arrivés dans les chambrées hautes, propres et éclairées de notre base, alors que nous terminons un nettoyage consciencieux de ces armes auxquelles nous confions souvent nos vies, la fatigue fait brutalement éruption dans nos yeux, rompant la digue nerveuse que la mission tenait ferme du matin au soir et du soir au matin; et sitôt la douche prise nous nous jetons dans les bras d'une Morphée impatiente et jalouse après avoir cependant dans un dernier élan consciencieux, défait puis refait avec de nouveaux équipements au pied du lit, nos sacs de combat pour un nouveau départ...

Demain est un autre jour !

Erwan Castel

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