1 an déjà !
274
"Rex" (à gauche) et "Zaets" pour l'hommage renouvelé d'un souvenir éternel |
Il est des souvenirs dans la mémoire qui ne cicatrisent jamais et ceux des camarades tombés au combat font partie de ceux qui des traces profondes qui balisent pour le sentier de la guerre et de la camaraderie.
Le 5 décembre 2017, "Pauk", un jeune homme de 26 ans tombait à nos côtés sur le front de Promka, fauché par un sniper ukrainien quelques heures seulement après la disparition de "Sever" un autre camarade, dont on allait retrouver le corps quelques jours plus tard.
Un an plus tard, avec les vétérans de l'époque nous sommes allés nous recueillir sur la tombe de notre camarade, accompagnant sa famille dont son père sous l'uniforme et qui a repris l'exact poste de son fils disparu au sein de la brigade Pitanashka.
Mercredi 5 décembre 2018
Ce matin, à peine achevé une mise à jour de l'article consacré aux tués du mois de novembre pour lequel de nouveaux visages apparaissent chaque jour à la surface des réseaux sociaux, nous sommes partis avec "Rex" vers un des cimetières de Makeevka, où reposent côte à côte ses deux fils fauchés par cette putain de guerre, que les gouvernements occidentaux refusent de regarder en face tant ses morts sont le miroir de leur criminelle complicité.
Nous avons étions une douzaine à accompagner silencieusement Rex et sa famille au milieu du labyrinthe gelé d'un cimetière parsemé de tombes fraîches aux portraits de jeunes portant l'uniforme de la République Populaire de Donetsk. Pendant cette lente progression dans la forêt des croix russes les souvenirs surgissaient sous nos pas, ceux des rires et des chants qui remplissaient la chambrée, ceux des longues gardes aux créneaux de Forteruine où chacun veillait sur l'autre, ceux des suées partagées sous la pioche et la pelle dans l'ombre des tranchées et enfin ceux du dernier jour lorsque nos mains crispées portaient le corps sans vie d'un ami vers son dernier voyage.
Au terme de cette traversée du champ de la douleur, nous retrouvons notre camarade pour le saluer dans nos mémoires et déposer sur son lit de terre gelée un linceul de fleurs couleur sang avant de lever un verre à son souvenir et cette parcelle de courage et d'honneur qu'il nous a laissé en héritage.
Au milieu de nos rangs apparaissaient aussi les fantômes d'autres camarades tombés également au cours de ces années de tourmente qui ont labouré aussi la terre des cimetières du Donbass, de Russie et d'ailleurs, autres sacrifices semant dans nos cœurs autant de promesses de victoire et de paix.
La dignité de la famille n'avait d'égale que son immense pudeur mais la buée salée des regards déposés sur les tombes des deux fils couchés côte à côte trahissait l'immense douleur d'une famille martyrisée par l'Histoire .
A cet instant c'est tout le Donbass réel qui était là à travers ces silhouettes immobiles et silencieuses dans le vent glacé, debout et serrées les unes contre les autres, sous un ciel chargé de souvenirs et d'espérances. Au loin les détonations sourdes s'échappaient d'un polygone de tirs où d'autres soldats s’entraînent pour poursuivre le combat et défendre la Liberté de leur terre.
A cours de ces cérémonies simples et fraternelles, la communauté retrouve toute la dimension sacrée qu'elle perpétue par des gestes symboliques certainement hérités d'une longue tradition traversant intacte les diverses expressions religieuses et culturelles successives. Ainsi de ce verre de vodka et de ce pain partagés par les vivants mais aussi offerts en offrande aux défunts (avec une cigarette allumée), où de ces trois cuillerées de riz mangées au début du repas qui suit l'hommage donné au cimetière. La vodka le pain et la cigarette ont probablement remplacé au fil des siècles une boisson sacrée, une galette gravée de symboles sacrées et de l'encens incandescent, mais les gestes sont restés et plus important la lumière qui inonde les cœurs des participants.
De retour à la caserne, je m'attelle au contrôle et à la préparation de mon barda, car demain je repars avec d'autres camarades snipers pour une nouvelle mission sur un front aux horizons chargés de nouveaux nuages d'acier menaçants.
Pour le soldat qui se respecte, la guerre n'autorise pas de poser ni le sac, ni le cœur, ni même la fatigue au pied d'une source calme et ensoleillée, mais au contraire, demande à ceux qui se sont engagés sur ses chemins de continuer jusqu'à la victoire car elle seule est en mesure d'honorer à leur juste valeur le souvenir des camarades disparus au combat.
Erwan Castel
"Celui qui est capable de mourir ne deviendra jamais un esclave.
Et nous ne parlons pas d’esclavage ethnique ou politique, mais surtout d’esclavage spirituel.
Si vous êtes prêt à mourir, vous ne pouvez pas devenir esclave de la peur, de la faiblesse, de la timidité.
En vous réconciliant avec la pensée de la mort,
vous obtiendrez la plus grande liberté que vous ne puissiez imaginer sur la terre."
Mircéa Eliade
Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front
Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front