La tentation du diable

DONi News à la croisée des chemins
ou réflexions d'un Candide sur l'éthique du journalisme 


Il ne s'agit point ici de créer une polémique ou encore moins de remuer le couteau dans la plaie mais de coucher par écrit ma pensée qui déjà est déformée par des Torquemada venus malencontreusement s'échouer dans le Donbass, afin que puisse être entamé une réflexion constructive enfin débarrassée des orgueils épidermiques des uns et des autres...





Dans toute les conflits, les propagandes sont inévitables et même peuvent  être respectables lorsque, comme autrefois, leur principale mission est d'entretenir la flamme du patriotisme qui soude ensemble civils et militaires face aux souffrances de la guerre et stimule en eux des forces inépuisables garantissant la victoire. Mais depuis l'arrivée du libéralisme colonialiste, la propagande de guerre occidentale, pour protéger la vacuité de son système et cacher les intentions hégémoniques de sa politique, s'est entièrement consacrée a dénigrer l'ennemi, en le diabolisant de façon caricaturale. La société du spectacle superficielle quand à elle a pris le relais pour motiver les foules en limitant les anciennes consciences politiques aux seules ambitions matérielles individualistes des esclaves consuméristes et volontaires...

Lorsque le mouvement fédéraliste puis séparatiste s'est opposé au coup d'Etat du Maïdan, et à la politique russophobe consécutive, il s'est retrouvé dans la ligne de mire de la propagande de guerre occidentale qui l'a aussitôt diabolisé, ouvrant ainsi un front de l'information beaucoup plus grossier et violent que celui connu pendant la guerre froide et qui a dressé un nouveau mur au coeur de l'Europe.


En 2014, quand l' "opération spéciale antiterroriste", habillage cynique d'une guerre à caractère génocidaire est lancée contre les populations russes piégées dans les excroissances historiques et artificielles d'une Ukraine moderne, ces dernières décident alors de résister à l'hégémonie des armes mais aussi de la propagande occidentale.

Dans les bastions rebelles de Donetsk et Lugansk, plusieurs médias de "ré-information" se sont alors organisés pour tenter de donner la parole au peuple du Donbass, pro-russe incontestable mais que les pro-occidentaux ont aussitôt qualifié leurs défenseurs de "terroristes russes".

Afin de porter la vérité au delà de la ligne de front et tenter de la semer dans les consciences brûlées par le mainstream médiatique dominant, le projet d'une agence internationale a vu le jour en 2015 à Donetsk, porté par Janus Putkonen, "DONi news" venait de naître. 

Cette agence s'est rapidement imposée comme le média de réinformation idéal pour libérer la vérité au delà des frontières du monde russe car diffusant l'actualité du Donbass dans 11 langues différentes, et tout naturellement elle s'est vu honorée ce mois ci du titre d'agence internationale officielle de la République Populaire de Donetsk. 

Cette promotion, qui est largement méritée, apporte à l'agence des avantages évidents tant au niveau de la reconnaissance, que du soutien financier nécessaire à son développement, mais aussi malheureusement un risque de voir la liberté de sa politique éditoriale largement entravée par son assujettissement aux organismes d'état de la République de Donetsk...

Aussi j'attire ici respectueusement, l'attention sur 3 tendances observées chez de nombreux journalistes occidentaux mais aussi chez certains journalistes de DONi qui, cédant à des considérations personnelles, mettent en danger la déontologie de la profession qu'ils veulent représenter :


1 / Un narcissisme puéril parasitant l'information


La caricature extrême d'un narcissisme hystérique
La quasi totalité des journalistes de l'agence DONi sont des volontaires et souvent venus de pays étrangers (Finlande, Italie, France) ayant beaucoup sacrifié pour faire le saut dans le Donbass mais souvent aussi dans cette profession dont la maîtrise est aussi difficile que son abordage semble aisé depuis l'apparition d'internet.

Or, lorsqu'on se lance dans un nouveau domaine, consciemment ou inconsciemment, on est influencé par ses expressions diverses déjà existantes dans notre environnement natif et ce d'autant qu'aucune formation professionnelle nous a décortiqué les ficelles du métier. 

Ainsi, peut-on observer de plus en plus dans les médias d'information, une scénarisation du reportage où le journaliste devient un figurant de premier plan quand son sujet lui ne devient que le décor de son show narcissique. Ce style particulier du reportage ne correspond nullement à une évolution naturelle des comportements mais à une starisation forcée de l'information qui privilégie le contenant (en l’occurrence le journaliste) au contenu (le message). 
De plus, lorsqu'on travaille avec passion et sans compter, comme le fait quotidiennement l'équipe émérite de DONi, on est tenté, pour nourrir son énergie, de rechercher une reconnaissance. La possibilité de vouloir illustrer visuellement son travail en se mettant en scène dans le reportage est alors tentante...


2 / Une servitude volontaire bridant l'analyse




Chaque métier a sa déontologie et celui de journaliste est certainement l'un de ceux qui en a le plus besoin depuis que les médias se sont imposés comme le "4ème pouvoir" du monde moderne.

Parmi les nombreux griefs portés contre les journalistes pro-occidentaux contre lesquels nous luttons sur le front de l'information, leur allégeance au pouvoir politique qui les a acheté est certainement l'un des principaux, et il serait fort regrettable que DONi Press devienne à son tour un chien de garde d'un pouvoir politique fut-il le meilleur...


En effet, la charte de Munich qui en 1971 a défini l'éthique du journalisme demande bien en son 9ème point au journaliste de "Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs"


Personnellement, je ne crois pas à la neutralité du journaliste, qui reste un humain dont le regard est influencé par une sensibilité personnelle, culturelle ou historique, cependant je veux distinguer dans toutes les déclinaisons de son analyse le journaliste librement engagé du chargé de communication contractuel, car ce dernier, même si sa servitude initiale peut-être volontaire, se retrouve dans le rôle d'un répétiteur de la voix de son maître.  Et j'espère que Janus Putkonen a protégé le droit à son équipe d'analyser librement l'actualité politique et militaire de la DNR en dehors de celle soufflée par les communiqués officiels (même s'ils sont justes). Car un soutien volontaire a d'autant plus de force qu'une traduction servile de la parole citée, que sa liberté d'expression est sans cesse préservée.


3 / Une ostracisation abusive de la pensée adverse 



Si l'impartialité d'un journaliste, on l'a évoqué ci dessus, est quasi impossible, (d'ailleurs une narration neutre de l'actualité serait rapidement insipide au public) elle doit cependant se fixer des limites autant que tolérer la contradiction. C'est pour cela que les médias jouent un rôle essentiel dans le débat d'idées qui seul peut réveiller les consciences et entretenir le sens critique qui garantit leur liberté. 

Engagés sur le front de l'information, nous sommes en concurrence avec le feu d'une propagande occidentale qui use souvent de techniques de manipulation mentale (amalgame, syllogisme, etc...) pour déformer la vérité, voir la travestir par des mensonges analytiques et des manipulations photographiques... 

Parfois, cette mauvaise foi et les mensonges des médias occidentaux est tellement insupportable que la tentation facile d'user des mêmes techniques à leur encontre peut alors apparaître comme légitime. Parmi les armes utilisées par la propagande de guerre occidentale figure la censure d'opinion, à travers toutes ses déclinaisons, de la diffusion à des heures d'écoute pauvres jusqu'à l'interdiction physique du journaliste en passant par la suppression d'articles réalisés.

Pour des raisons évidentes de compréhension linguistique, les autorités de la DNR ont délégué aux journalistes étrangers de DONi le pouvoir d'accorder ou de refuser l'accréditation à des journalistes occidentaux désirant effectuer des reportages dans le Donbass. Evidemment, parmi les différentes demandes figurent celles de journalistes pro-occidentaux qui s'affichent ouvertement comme des chiens de garde de la politique ukrainienne post-maïdan, et là encore la tentation de leur interdire l'accès du territoire est grande et malheureusement en usage depuis quelques mois.

C'est là à mon avis la plus grande faute déontologique commise actuellement par l'équipe de DONi et si je me permets ici de la relever c'est parce que certains refus d'accréditation sont préconisés hâtivement sur une argumentation parcellaire issue d'un abus de pouvoir accordé. 

La guerre de l'information n'est pas une guerre de tranchée où les adversaires s'échangent des tirs mortels mais une vision de l'actualité où sont proposées au public des descriptions factuelles et des analyses politiques divergentes, et j'ai la naïveté de croire que les médias peuvent toujours être l'agora moderne où se déroule le débat des idées devant le jugement du public. Mais comme pour la guerre des tranchées où il faut que le soldat puisse tirer, dans celle de l'information il faut que le journaliste, et quelle que soit son opinion, puisse également travailler dans les limites imposées par une zone de guerre. 

Or, interdire à un journaliste, même adverse, de venir faire un reportage sur le terrain, non seulement ne l’empêchera pas de de continuer à servir une propagande de guerre ennemie, mais alimentera même la diabolisation recherchée par cette dernière en lui offrant un argument défendable... Répondre à la censure par la censure revient à trahir à son tour l'éthique bafouée par l'autre sans pouvoir le dénoncer honnêtement: soit on triche également mais en ferment sa gueule, soit on respecte la déontologie et on peut alors dénoncer les tricheurs.

"Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique"(2ème point de la charte de Munich)

Pour illustrer mon propos je vais donc me faire "l'avocat du diable" et évoquer le cas de Sébastien Gobert, un jeune journaliste français travaillant à Kiev. Gobert en tant que correspondant du mainstream occidental a couvert la crise ukrainienne depuis le début, convaincu du bien fondé de la révolution du Maïdan. A ce titre il a réalisé depuis 2014 de nombreux articles engagés très critiquables sur le fond mais dont la forme et la méthode restent soumises à une méthode de travail révélant une relative mais potentielle honnêteté intellectuelle...

Sébastien Gobert s'est vu refuser 2 fois, en 2015 et 2016, son accréditation pour venir travailler dans le Donbass.

Le dernier refus a été motivé par un réquisitoire collectif adressé par une poignée de chiens de garde du système à Paul Moreira après son documentaire "Ukraine: les masques de la révolution" qui dénonçait les dérives néo-nazis des activistes du Maïdan. Cette réaction viscérale et mal écrite auquel Gobert a donné sa signature est l'expression d'une rage intolérante et impuissante de gens prétendument attachés à la liberté de la presse. Dénoncer une telle réaction excessive et intolérante était un devoir mais cela justifiait-il de lancer un anathème sur l'ensemble de ses signataires ? 

Car par exemple concernant un Sébastien Gobert, bien que résolument pro-occidental et dépendant de l'hospitalité du régime kiévien est loin d'être le pire : il s'est même permis par exemple de dénoncer les néo-nazisme du parti Svoboda, la corruption de la police (2 articles qui convergent d'ailleurs avec le reportage de Moreira) ou plus récemment le sabotage des accords de Minsk du Président Porochenko. Dire par là que je "défends mon pote Gobert" comme me l'a récemment reproché une apprentie journaliste relève justement d'un manichéisme de la pensée et d'une reductio ad hominem que les antimondialistes sont normalement censés combattre... 

Concernant la liberté de la presse dont il est question ici, ce journaliste dont je combats la ligne éditoriale et la russophobie rémanentes, a lui-même dénoncé vivement les pratiques restrictives du régime ukrainien quand il ostracise, censure et même menace les journalistes ayant bénéficié d'une accréditation dans le Donbass en les accusant de collaborer avec les séparatistes.

J'invite ici les journalistes (où ceux qui se prétendent l'être) à lire attentivement cet article car, en dehors des bribes de propagande russophobe répétées, il aborde le problème de la liberté de la presse qui est l'éthique même du journalisme et qui mérite une réflexion approfondie car dans le domaine des idées, et quel que soit le régime que l'on défend, "censure" ne rime toujours qu'avec "dictature"...


Entre sécurité et exemplarité 


A l'exception des individus qui sous couverture d'une accréditation de presse renseignent des services de sécurité et des forces armées engagées dans un conflit, ou de personnes recherchées par la justice, j'estime qu'aucun journaliste professionnel ne devrait subir une telle interdiction de territoire car, comme dans le cas cité plus haut, c'est même complètement improductif  : 
  • Cela n’empêchera pas l'intéressé de réaliser un article à charge sur le territoire interdit
  • Au contraire, il aura même un argument inattaquable et dénoncer une atteinte à la liberté de la presse
  • Cela est surtout incohérent avec le fait que nous dénonçons vivement ce genre de pratiques à Kiev
  • Nous perdons aussi une occasion de montrer la réalité du Donbass et d'en débattre...
La solution est pourtant simple pour les journalistes en mission dans le Donbass et en particulier ceux venant du camp adverse : 
  • Etudier le demande d'accréditation avec minutie en regardant l'ensemble du travail réalisé par le journaliste et son évolution dans le temps, et surtout ne pas arrêter son jugement à un seul article ou pire une condamnation ad hominem.
  • Définir en amont le séjour, les itinéraires, l'accompagnement et les moyens (téléphone etc...) du journaliste comme l'imposent d'ailleurs toutes zones de conflits armés, y compris pour nos propres reporters de guerre.
  • Contrôler quotidiennement par les services de sécurité militaires les matériaux visuels réalisés au cours des reportages, pour garantir la sécurité des personnes et des sites sensibles, comme cela est déjà pratiqué pour nos journalistes.
Comme on peut le voir, rien de nouveau et d'exceptionnel qui réclame des ressources supplémentaires contraignantes ou coûteuses... L'interdiction d'accès du territoire (sauf en cas de preuves avérées d'espionnage), relève donc ici plus d'une réaction viscérale que d'une analyse méthodique de la demande. Cette interdiction non seulement peut être interprétée comme une faiblesse mais surtout dessert durablement l'image de la République et les valeurs qu'elle défend. 
Quand aux réponses "ils font de la merde" ou "eux ils tuent les journalistes russes" ce sont des arguties sans rapport avec le principe défendu et qui relèvent d'une psychologie de cour de maternelle. On ne combat pas le mal ou encore moins le crime par la connerie.

De la même manière que les jeunes républiques de Donetsk et Lugansk, dans l'athanor de la guerre subie, tentent d'élaborer avec audace de nouvelles sociétés modernes épurées des dérives oligarchiques du passé, les professionnels de la ré-information qui œuvrent ici pour libérer la Vérité devraient également chercher à imaginer quel pourrait être un vrai journalisme libéré des influences du pouvoir, du spectacle et de l'argent. Lors de ce travail un échange avec les professionnels de l'information (ou de la propagande) qui œuvrent (ou sévissent) de l'autre côté de la ligne de front serait je pense intéressante et constructive...

Quant à mes camarades présents ici sur le front de l'information, je les invite en toute amitié à ne pas se laisser tenter de reproduire ici en microcosme la société formatée, superficielle et asservie qu'ils sont venus combattre aux côtés du peuple du Donbass. Ce faisant, il leur faudrait réaliser l'influence persistante d'une société du spectacle manichéenne dont ils pensaient s'être débarrassés, et apprendre à faire la différence entre une intransigeance oubliée et une intolérance revenue.

Car, avant de défendre des femmes et des hommes martyrisés, il s'agit aussi de défendre des valeurs et des idées, pour ne pas risquer de devenir progressivement comme leurs bourreaux...

A bon entendeur salut !

Erwan Castel, volontaire en Novorossiya



Posts les plus consultés de ce blog

Attentats à Lugansk !

Volontaire français sur le front

L' UR 83P "Urki" au combat