Entretien avec Petro Simonenko
26 Août 2016 Raffaele Morgantini
Dans leur politique d'épuration, les nouveaux maîtres du Kiev, fidèles à une idéologie totalitaire ethnocentrée ont entrepris de modéliser l'Ukraine en évoluant vers une pensée unique, qu'elle soit politique, historique ou culturelle. Dès l'arrivée au pouvoir de Turtchinov puis sous le mandat suivant de Porochenko, les banderistes se sont lancés dans une véritable chasse aux sorcières en commençant par cibler tout ce qui avait un rapport avec l'identité russe de l'Ukraine.
Ainsi le parti communiste a été ostracisé et ses membres menacés, illustrant le caractère fasciste du nouveau pouvoir. Voici un entretien avec son secrétaire général Petro Simonenko qui nous apporte ici son témoignage et son analyse du régime national-oligarchique à caractère fasciste qui s'est emparé de l'Ukraine.
Source de l'article, le lien ici : Investig'action
Le processus de « fascisation » et de « dé-communisation » de l’Ukraine
(1ère partie)
Novembre 2013 : suite à la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer l’accord d’association avec l’Union européenne, un coup de force succédant à une montée des violences , appuyé et incité par des partis et « ONG » en relation directe avec les puissances occidentales, éclate dans le pays. Les mouvements néo-fascistes semblent avoir joué un rôle de premier plan dans le coup, leur permettant d’occuper l’avant-scène des événements, rétablissant leur légitimité dans le nouvel ordre étatique en occupant des fonctions clefs dans l’appareil gouvernemental et ayant une incidence sur la restructuration des rapports de force internes. Parallèlement au réalignement de l’Ukraine avec les intérêts stratégiques de l’impérialisme (ouverture économique, association avec l’UE, association de facto avec l’OTAN, opposition à la Russie), l’on assiste au démarrage d’un processus de fascisation idéologique. Afin d’appréhender ce processus et décortiquer la réalité politique actuelle, Investig’Action s’est entretenue avec le Secrétaire Général du Parti communiste d’Ukraine, Petro Simonenko.
Cette interview a été réalisé en langue russe.
Traduction et transcription pour Investig’Action par Philippe Stroot.
Raffaele Morgantini : La crise politique en Ukraine a fait les premières pages des journaux en 2014 et 2015, mais aujourd’hui, au moins en Europe occidentale, on n’en entend plus parler. Quelle est actuellement la situation en Ukraine?
Petro Simonenko : De mon point de vue, il ne faut pas considérer les événements qui se sont produits au cœur du pouvoir en 2014-2015 comme une crise politique. Ces gens ne se sont pas battus pour changer la politique, ni pour faire des réformes, ni pour remplacer les responsables politiques par de nouveaux qui auraient pu mener ces réformes. En vérité, ceux qui sont arrivés au pouvoir à Maïdan après le coup d’état de 2014 avaient déjà organisé la lutte de l’intérieur. Il s’agit des mêmes oligarques, mais cette fois ils se battaient pour la redistribution des ressources au sein même de leur petit groupe arrivé au pouvoir.
Il n’était donc pas question de lutter pour changer les choses et réaliser ce qui avait été promis à Maïdan afin d’améliorer la situation dans l’intérêt des citoyens ukrainiens, mais de se partager les ressources financières et les biens. Bien sur, ils pensaient déjà aux prochaines élections et tout cela a été qualifié de crise politique. En même temps, ils n’étaient pas en mesure de faire ce qu’ils auraient dû faire, parce que le nouveau gouvernement a été formé sur instructions des États-Unis d’Amérique et composé notamment de citoyens originaires d’autres États. Ce gouvernement n’a pas mené une politique nationale mais celle qui était exigée par le FMI. Il n’a pas organisé l’économie de manière à ce qu’elle serve les intérêts de l’Ukraine: il ne s’est occupé que de trouver les moyens de financer la guerre civile et pris prétexte de cette guerre civile pour justifier tous les crimes qui étaient commis. La corruption a été multipliée par deux ou par trois et, dans le contexte du régime que je viens d’évoquer, c’est devenu en effet une corruption totale. La politique des prix a été établie dans l’intérêt du grand capital et des oligarques, de même que la politique sociale. C’est la raison pour laquelle je voudrais une fois encore souligner que cette prétendue crise politique témoigne de l’absence de professionnalisme de ceux qui sont arrivés au pouvoir après Maïdan, de leur absence de programme précis quant à ce qu’il faut faire et comment le faire et, naturellement, ne parlons pas d’une quelconque responsabilité à l’égard des promesses faites au peuple ukrainien. Le seul résultat de cette politique est l’usurpation du pouvoir par Porochenko, qui utilise de prétendues réformes constitutionnelles et judiciaires pour faire en sorte que cette usurpation devienne complète et définitive.
Quelles sont les conséquences de cette situation pour vous-même et pour votre parti, le Parti communiste d’Ukraine ?
Dans la mesure où l’Ukraine est en train d’instaurer un régime national-oligarchique, et pour tout dire, essentiellement fasciste, il est évident que l’une des priorités de ce régime fut dès le début d’anéantir le Parti communiste d’Ukraine. Ils n’ont reculé pour cela devant aucune méthode, au point que le régime actuel se comporte à l’égard de notre parti comme les fascistes pendant l’occupation. Le représentant de ce régime, en l’occurrence Tourtchinov, qui occupait alors les fonctions de Président, a exigé publiquement du ministère de la justice, depuis la tribune du Parlement, qu’il interdise les activités du Parti communiste, violant grossièrement par là même la Constitution et les lois de l’Ukraine. Plus de 400 plaintes ont été déposées contre le Parti et à titre individuel contre certains de nos camarades. Une délégation officielle du ministère de la justice et des services de sécurité a été envoyée dans les tribunaux pour accuser notre parti d’activités illégales, de collaboration avec les séparatistes et de soutien aux terroristes. Tout cela s’est dégonflé comme une baudruche. Aucune plainte n’a abouti et le Parti n’a été reconnu coupable de rien. Par la suite, ils ont changé de tactique et adopté une loi dite «de décommunisation», qui prévoit notamment l’interdiction des activités de notre parti car nous nous appelons «communiste» et que nos symboles sont l’étoile, le marteau, la faucille et le drapeau rouge. Voilà ce qui a servi de prétexte à l’interdiction. Cela montre en outre que le pouvoir actuel de Kiev refuse catégoriquement de se plier aux conclusions de la Commission de Venise qui a estimé que la loi de décommunisation n’était pas démocratique et qu’elle devait être abolie. Il ne respecte pas non plus les résolutions qui ont été adoptées par les Nations-Unies au sujet de la propagande en faveur du nazisme et du fascisme, car cette loi de décommunisation ne fait pas seulement l’apologie du fascisme et du nazisme mais elle élève aussi au rang de héros nationaux ceux qui ont combattu aux côtés de Hitler et commis des crimes il y a 70 ans. C’est ainsi qu’une campagne ignoble a été lancée contre le Parti communiste en vue de l’interdire. Le tribunal de première instance a pris la décision d’interdire le Parti. Pourquoi ? Le juge qui a pris cette décision était lui même sous le coup de poursuites auxquelles il a échappé en prenant opportunément cette décision que lui imposait le régime en échange de l’impunité. La société est apeurée et effrayée, mais nous, communistes, nous poursuivons la lutte. Nous le faisons aujourd’hui dans les tribunaux, dans les instances d’appel et nous irons bien entendu jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, qui s’est déjà penchée sur des situations semblables et a été amenée à prendre des décisions. Le Parti communiste est décidé à se battre, car nous menons aujourd’hui la lutte contre la fascisation de l’Ukraine.
Je crois savoir qu’une procédure pénale a aussi été engagée contre vous-même. Est-ce exact ? De quoi vous accuse-t-on ?
En ce qui me concerne, ils ont décidé de me faire peur et de m’obliger à renoncer à mes activités politiques. Ce dont ils m’accusent porte sur quatre points : j’aurais «trahi la patrie», «financé des terroristes», «financé les séparatistes» et «préparé des groupuscules organisés qui ont combattu dans le Donbass». Ils m’ont accusé aussi d’avoir pris la parole en avril 2014 à Bruxelles, devant des parlementaires européens, pour témoigner de la situation en Ukraine, ce qui m’a valu d’être accusé par les services de sécurité, sur Internet, de mener des activités antigouvernementales. Tout cela a été monté de toutes pièces. Nous, communistes, sommes un parti internationaliste mais aussi un parti de gouvernement grâce à la situation engendrée par la territorialité de l’Ukraine. Toutes ces accusations sont donc sans fondement, mais j’ai été soumis par les services de sécurité à des interrogatoires qui ont duré une fois neuf heures, une autre fois onze heures, ce qui constitue une violation de toutes les normes et de mes droits.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples de cette stratégie de décommunisation et nous dire ce qu’elle signifie, non seulement pour le Parti communiste, mais aussi pour les autres forces progressistes en Ukraine ?
Je voudrais dire ici que je partage l’inquiétude que ces lois ont suscitée au sein de la Commission de Venise. En quoi ces lois menacent-elles l’Europe et la communauté internationale ? D’abord, elles prétendent que la période historique allant de 1917 à 1991 et les événements qui se sont produits sur le territoire de l’Ukraine ainsi que la politique qui a été menée furent le fait d’un «régime criminel». Cela signifie que l’on doit considérer comme criminel le rattachement à l’Ukraine de la région de l’Ukraine occidentale, à la suite du pacte Molotov-Ribbentrop, criminelle aussi l’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation des Nations-Unies, criminelle également la proclamation par l’Ukraine de son indépendance, sous le communisme, en 1991… Et tout cela, bien entendu, menace sérieusement l’Europe. C’est ainsi que des démarches ont été lancées en Pologne en vue de la restitution des propriétés et des territoires qui appartenaient jadis à ce pays, mais aussi à l’Empire austro-hongrois et à la Roumanie. Et aujourd’hui d’aucuns s’emploient très activement à préparer des documents concernant des terres qui, dans la région de Lvov et dans d’autres régions, appartenaient à des citoyens polonais, qui risquent ainsi de les récupérer. Il est question également que la Hongrie délivre des passeports de double nationalité à des habitants de la région de Transcarpathie (anciennement hongroise) et que les Roumains fassent de même pour ce qui les concerne. La Roumanie est par ailleurs en train d’essayer de faire valoir qu’une partie de la région d’Odessa lui appartient: il s’agit des territoires que la Roumanie et la Moldavie appellent la Bessarabie. Non seulement l’intégrité territoriale de l’Ukraine s’en trouve menacée, mais il y a aussi un risque de conflits régionaux susceptibles de mener jusqu’à la guerre. En ce qui concerne l’Ukraine elle-même, ces lois prévoient comme on l’a vu la légalisation et l’héroïsation de ceux qui ont combattu aux côtés de Hitler.
Une banderole lors d’une manifestation figurant le visage de Stepan Bandera, collaborateur ukrainien des nazis pendant la 2ème guerre mondiale |
Les décorations remises par Hitler sont reconnues comme décorations nationales et les titres militaires obtenus sous l’Allemagne nazie sont eux aussi reconnus comme titres militaires d’un mouvement national de libération. En adoptant de telles lois en contradiction avec les résolutions des Nations-Unies concernant la propagande en faveur du nazisme et du fascisme, le pouvoir de Kiev refuse de reconnaître ce qui est une norme à la fois européenne et internationale. Tout comme il refuse de reconnaître les décisions du tribunal de Nüremberg à propos des crimes contre l’humanité commis par les fascistes et les nazis.
Comment les mouvements progressistes et révolutionnaires réagissent-ils à ce processus de fascisation et quels sont les principaux obstacles à une résistance efficace contre ce phénomène ?
Les événements d’Ukraine appellent au renforcement urgent de l’union de toutes les forces progressistes contre le fascisme et de ses résurgences, y compris malheureusement en Ukraine. S’agissant de la manière dont la communauté internationale européenne et les forces politiques nous soutiennent et comment cette solidarité s’exprime, il faut dire d’abord que nous avons – et que j’ai moi-même – passé beaucoup de temps à expliquer , et pas seulement à nos collègues des mouvements de gauche en Europe et dans le monde mais à d’autres responsables politiques aussi, que les événement en Ukraine constituent un problème interne à l’Ukraine. Qu’il s’agit d’une guerre civile organisée par le grand capital dans des conditions concrètes déterminées par les intérêts géopolitiques des États-Unis d’Amérique. Les gens de gauche que nous avons rencontré en Europe nous soutiennent activement par leurs déclarations de solidarité et par l’analyse qu’ils font des actes du régime de Kiev, en faisant pression sur leurs parlements et gouvernements nationaux. Car aujourd’hui il faut parler très sérieusement de sanctions, pas de sanctions économiques mais de sanctions politiques contre le pouvoir de Kiev, puisqu’il ne respecte aucun engagement, ni les accords de février 2014, ni ceux d’avril 2014 à Genève, ni les accords de Minsk, ce qui ne fait qu’envenimer le conflit. J’ai reçu les mêmes expressions de solidarité de la part de nos gens de gauche, qui s’expriment, depuis la tribune du parlement et depuis celle du parlement européen au sujet de ces événements. Il est à relever que l’opinion publique européenne commence elle aussi à évoluer à propos des événements d’Ukraine. Je suis aussi reconnaissant à mes collègues des mouvements de gauche qui ont envoyé leurs juristes défendre le Parti communiste dans les tribunaux ukrainiens. Il est évident que les juges ukrainiens écoutent attentivement ce que disent les personnes venues d’Europe, notamment de la Fédération des juristes démocrates qui soutient notre lutte pour les valeurs européennes et pour les principes de la démocratie. Et nous, communistes, nous travaillons non seulement avec ceux qui défendent des idées proches de celles de notre parti mais nous avons également beaucoup élargi nos contacts en vue d’unir toutes les forces face à la menace réelle et croissante du néofascisme qui commence déjà à se concrétiser dans des mesures que le pouvoir de Kiev a commencé à prendre contre le peuple ukrainien. Je suis également reconnaissant à l’égard de tous mes camarades en Europe et dans le monde qui s’efforcent de faire mieux comprendre à leurs concitoyens ce qui se passe en Ukraine. Nos efforts communs commencent à porter leurs fruits. Cela fait par exemple six mois que les tribunaux d’appel sont incapables de donner suite aux velléités du pouvoir d’interdire les activités de notre parti. Mais quelle que soit la décision, nous continuerons la lutte et nous sommes convaincus que la Cour européenne des droits de l’Homme, eu égard au danger réel qui menace l’Europe et le monde entier, examinera de manière objective la situation en Ukraine et soutiendra notre lutte en faveur des droits démocratiques, y compris celui d’exercer des activités politiques.
Beaucoup de gens, surtout en Europe ne veulent pas voir le danger que constituent les fascistes en Ukraine. Ils font remarquer que le parti néo-nazi Svoboda n’a obtenu qu’un très faible pourcentage de voix aux dernières élections. Que leur répondez-vous et comment expliquez-vous que ce parti qui a été si peu soutenu exerce une telle influence sur le processus politique ukrainien ?
Je voudrais demander à ces gens de ne pas être indifférents et de s’intéresser davantage à ce qui se passe dans notre société. Je voudrais aussi leur rappeler que la première grande crise mondiale s’est terminée par la Première Guerre mondiale au moment précis où les représentants du grand capital ont tenté de sortir de la crise en profitant des bouleversements du monde et de la réduction de la population, ainsi qu’en détournant l’attention des simples citoyens et des ouvriers du processus qui se développait déjà en Europe – ce n’est pas pour rien qu’on disait à l’époque que le spectre du communisme hantait l’Europe – quand beaucoup se demandaient pourquoi les États et les peuples étaient si pauvres. La première crise mondiale s’est donc terminée par la première guerre mondiale. Plus tard, lorsque la deuxième crise mondiale a éclaté, la seule solution que le grand capital a trouvé pour en sortir fut à nouveau d’organiser la Deuxième Guerre mondiale. Et nous avons assisté à la trahison qu’a constitué la signature par la France, l’Angleterre des accords de Munich avec l’Allemagne qui ont permis à Hitler de lancer cette nouvelle agression et cette nouvelle guerre qui a coûté la vie à des dizaines de millions de personnes, non seulement en Europe mais dans d’autres continents aussi. Nous vivons aujourd’hui la troisième crise économique mondiale, dont tous les économistes reconnaissent l’extrême gravité car elle n’est pas seulement liée à la surproduction de tel ou tel produit mais aussi à l’apparition de nouvelles pyramides financières organisées dans l’intérêt du grand capital afin que les multinationales mettent la main sur des peuples et des nations entières et réduisent à néant le rôle des États.
Cette troisième crise mondiale doit donc nous amener à nous poser la question de savoir comment nous allons en sortir. Regardez ce qui s’est passé en Afrique du Nord: des dizaines voire des centaines de milliers de morts, même chose au Proche-Orient, avec à nouveau des centaines de milliers de morts. Nous voyons aujourd’hui que c’est l’Europe qui en supporte les conséquences, avec l’arrivée de millions de migrants en quête de protection ou d’une vie meilleure, ce qui engendre de nouvelles tensions sociales. Et dans le même temps les accords de paix d’Helsinki ont pratiquement disparu, ce qui se traduit notamment par l’apparition de revendications territoriales de la part de certains États.
Nous sommes donc une fois de plus témoins de ce que le grand capital ne veut pas sortir de la crise en consacrant ses propres ressources à résoudre les problèmes sociaux, mais en lançant dans le feu de la guerre ceux qui souffrent précisément de ses politiques, dans l’espoir de sauver ses richesses au prix de leurs vies. Un nouveau partage du monde est en cours. Or si lors de la deuxième crise économique et de la Deuxième Guerre mondiale il y avait deux blocs antagonistes, le monde soviétique et le monde capitaliste, il n’y en a plus qu’un aujourd’hui, le système capitaliste. Il s’agit d’une situation extrêmement dangereuse, comme en témoigne une fois de plus la situation en Ukraine. Le grand capital tire profit de l’existence d’une couche « brune », c’est à dire fasciste et néo-fasciste, qui ne représente certes aujourd’hui, dans divers pays, que 2 à 3 %, mais qui demain, dans des conditions de « lumpenisation » et de misère sociale, atteindra des pourcentages à deux chiffres. Et que sous couvert de démocratie électorale apparente arriveront au pouvoir des tenants de la violence et de la supériorité raciale. C’est la raison pour laquelle je voudrais demander à ceux qui en doutent de ne pas se montrer indifférents. L’indifférence est précisément ce qui permet l’arrivée au pouvoir de criminels. Et si on nous dit que ce qui s’est passé à Kiev en 2014 est une « révolution de la dignité », je demande à tous nos opposants de répondre à la question suivante: pourquoi cette prétendue révolution de la dignité a-t-elle amené des salauds au pouvoir ?
Source de l'article, le lien ici : Investig'action
Le Donbass, la Russie, l’OTAN et les travailleurs
(2ème partie)
« Je pense que nous devons, avec la communauté internationale toute entière, condamner une politique qui ne fait qu’accroître la tension, une politique qui menace l’intégrité territoriale des États, une politique de double standard, quand ceux qui parlent de certaines valeurs les foulent eux-mêmes aux pieds. Je suis convaincu que ce n’est qu’à cette condition que nous aurons dans le monde davantage de responsables politiques qui se battent vraiment pour la paix au lieu de ne parler de paix que pour s’enrichir en vendant des nouveaux systèmes d’armement et en militarisant telle ou telle région. » (P.Simonenko)
Raffaele Morgantini : Pourriez-vous nous parler un peu de la situation politique, économique et militaire dans l’est de l’Ukraine, dans les républiques populaires de Lougansk et Donetsk ?
Petro Simonenko : Je voudrais d’abord souligner que le Donbass est une région industrielle économiquement très importante. La région de Donetsk assurait à elle seule 25 % du PIB de l’Ukraine. Elle produisait jusqu’à 100 millions de tonnes de charbon par an. C’est aussi un énorme complexe métallurgique. Sur les 13 usines métallurgiques qui existaient en Ukraine, la région de Donetsk en comptait sept. Sur le plan énergétique, la plus grande centrale thermique d’Europe se trouve dans la région de Donetsk. Le gros de la flotte de la mer d’Azov, la plus grande industrie mécanique, l’industrie chimique, tout cela en fait une énorme région industrielle. Elle constituait également un important facteur d’intégration aussi bien pour les entreprises de l’Ukraine, à l’intérieur, que pour la coopération extérieure avec d’autres entreprises et d’autres pays. Cela permettait d’avoir des productions concurrentielles. Les événements du Donbass portent donc un coup très sérieux au potentiel économique de l’Ukraine. Si cette région était autonome, ce potentiel suffirait à assurer le financement de tous les programmes sociaux pour les habitants du Donbass. Deuxièmement, il faut tenir compte du fait que les actions militaires menées par le pouvoir de Kiev ont commencé quand Donetsk a demandé, après Maidan, qu’un référendum soit organisé en Ukraine, que le russe soit déclaré seconde langue officielle du pays et que les problèmes de décentralisation du pouvoir soient résolus en Ukraine. Il s’agissait d’aboutir à ce que tout ce que le Donbass gagne serve en priorité au développement de sa propre région. En réponse à ces demandes, le nouveau gouvernement de Kiev arrivé au pouvoir après le coup d’Etat a envoyé dans le Donbass plus de mille tanks et plus de 50 000 soldats et officiers en service dans l’armée pour lutter contre tous ceux qui s’étaient prononcés en faveur de ces demandes. La guerre a avant tout détruit le potentiel économique. Voyez les communiqués: des obus tombent sur une usine de coke, détruisant une source d’approvisionnement de l’industrie métallurgique. Des bombes tombent sur une mine : des gens meurent et la mine cesse de fonctionner, ce qui entraîne l’arrêt des centrales thermiques et il n’y a plus de charbon pour produire du coke destiné à la métallurgie. Des obus tombent sur une usine chimique située en pleine ville, produisant une explosion colossale et dispersant les produits chimiques qui du coup menacent la vie de la population. Il y a aussi la question de la coupure de l’approvisionnement de cette région en gaz, qui a du être assuré à partir de la Russie par d’autres canaux. Le fait également que le pouvoir ukrainien ait cessé de financer les programmes sociaux et de payer les retraites. Tout cela frappe naturellement très durement l’économie locale. Sur le plan politique, il est clair que Kiev ne veut pas négocier avec les gens qui ont pris la tête des protestations dans le Donbass, mais si l’on veut arrêter la guerre il faut s’asseoir à la table des négociations avec les représentants du Donbass. Nous, communistes, c’est exactement ce que nous avons proposé. A ce propos, avant même que n’éclate cette guerre, en décembre 2013, j’avais mis en garde aussi bien Yanoukovitch, qui était alors Président de l’Ukraine, que les opposants d’alors, qui sont maintenant au pouvoir. Je leur avais dit qu’il fallait d’abord s’asseoir à la table des négociations et aborder tous les sujets qui préoccupent les citoyens de l’Ukraine et trouver des moyens pacifiques de les résoudre. Je leur avais proposé d’écarter du Maïdan tous les groupes criminels qui avaient été d’une manière ou d’une autre impliqués dans les mécanismes de résolutions des conflits mis en place par les oligarques qui s’affrontaient. Sur le plan géopolitique, on peut considérer qu’il y a désormais une nouvelle Transnistrie sur le territoire de l’Ukraine. Quant à savoir comment la situation va évoluer, tout dépendra de l’application des accords de Minsk, qui déboucheront ou pas sur une solution. A mon avis, compte tenu de la nature du régime en place et de la composition actuelle du parlement, les accords de Minsk ne seront pas respectés. Sur le plan social, il est évident que le peuple de l’Est du pays souffre. Il est passé à un autre système monétaire, dans la zone rouble, et il a adopté ses propres lois pour tenter de résoudre les problèmes de la vie quotidienne des citoyens. Sur le plan militaire, on s’est efforcé de faire croire à l’opinion publique internationale qu’il s’agissait d’une agression de la Russie contre l’Ukraine. Chacun a son point de vue à ce sujet, mais je voudrais simplement que l’on écoute aussi le mien et que l’on tente de répondre à la question suivante: S’il s’agit d’une agression russe, comme le prétend le pouvoir ukrainien, pourquoi celui-ci dès lors n’a-t-il pas déclaré que l’Ukraine se trouve en état de guerre avec la Russie ? Pourquoi n’a-t-il pas annoncé la mobilisation générale, la rupture des relations diplomatiques et, naturellement, déclaré la guerre contre l’agresseur ? Rien de tout cela ne s’est produit. Au moment même où l’Europe mène une politique contre la Russie sous prétexte qu’elle serait l’agresseur, l’Ukraine reçoit du gaz de Russie; elle a un système énergétique unique avec la Russie; non seulement elle ne rompt pas les relations diplomatiques mais elle envoie des gens travailler en Russie, dont elle reçoit par ailleurs du combustible nucléaire pour ses centrales; mais elle a perdu l’essentiel du marché qu’elle avait en Russie. Je voudrais donc une fois encore insister sur le fait que les problèmes dont vous parlez existent, entraînant des pertes sur les plans politique, économique et social, mais la solution de tous ces problèmes est possible si le pouvoir de Kiev applique sérieusement les accords de Minsk.
On constate un accroissement de la tension militaire le long de la frontière entre la Russie et des pays de l’OTAN comme la Pologne et les pays baltes et l’Ukraine également. Comment pensez-vous que l’on puisse réduire ces tensions ?
A ce sujet, je voudrais nous renvoyer tous à l’Histoire. Quand l’Union soviétique a été détruite à la suite de la trahison de Gorbatchev, il avait été convenu que le Pacte de Varsovie disparaîtrait et que l’OTAN en ferait autant à terme mais qu’en attendant elle ne s‘étendrait pas vers l’Est. Comme nous le voyons, après la disparition de l’Union soviétique et du système socialiste, les Etats de l’Europe de l’Est ont pratiquement tous rejoint l’OTAN. Tous les accords conclus ont donc été violés par ceux-là mêmes qui les avaient signés et qui ont tout fait depuis pour élargir l’OTAN vers l’Est. La disparition du Pacte de Varsovie n’a pas changé l’agressivité de la politique de l’OTAN. Je voudrais faire remarquer que l’on avait beaucoup critiqué l’intervention de l’Union soviétique en Afghanistan, mais depuis combien de temps les Etats-Unis et les forces de l’OTAN font-ils la guerre en Afghanistan ? Depuis plus de dix an déjà, plus que ne l’avait fait l’URSS. Tout cela pour dire que nous ne devons pas être naïfs et que lorsqu’un responsable politique dit qu’il va faire quelque chose, il doit le faire. En l’occurrence, je vois que les responsables politiques de l’OTAN, et singulièrement les Etasuniens, qui sont ceux qui définissent la doctrine de l’OTAN, refusent aujourd’hui de prendre leurs responsabilités. Et si le système de défense anti-missiles et ses bases sont déployées à l’est de l’Europe, en Pologne, en Roumanie ou ailleurs, il est évident que cette situation déséquilibrée ne pourra pas durer. Tous les États veulent pouvoir se défendre contre tout risque d’agression et ce n’est pas en faveur de la paix que les bases de l’OTAN s’étendent vers l’Est. Non seulement les Etats-Unis d’Amérique n’ont liquidé aucune de leurs bases qui encerclaient alors l’Union soviétique mais ils les ont renforcées. Ces bases qui étaient dirigées contre l’URSS ont subsisté dans le nouveau panorama économique et politique et sont maintenant dirigées contre la Russie. Il y a toujours eu en Europe un axe de la Baltique à la Mer Noire contre la Russie. Prenez par exemple ce nouvel axe avec participation du président ukrainien : il a une structure essentiellement antirusse. Il constitue un instrument redoutable pour diviser les peuples slaves et c’est malheureusement ce qui est en train de se produire. Tout cela bien entendu ne contribue en rien à faire baisser la tension, mais au contraire à l’accroître. Par ailleurs, les nouveaux armements qui ont été mis au point inquiètent beaucoup de monde, car il s’agit au fond d’armes de destruction massive. Certes, la menace du terrorisme et des organisations terroristes existe, mais nous devons nous demander qui est responsable de leur apparition et qui les a utilisés et comment. Qui a engendré Al Qaeda, qui a formé idéologiquement ceux qui constituent aujourd’hui la structure de l’Etat islamique ? Je pense que nous devons, avec la communauté internationale toute entière, condamner une politique qui ne fait qu’accroître la tension, une politique qui menace l’intégrité territoriale des États, une politique de double standard, quand ceux qui parlent de certaines valeurs les foulent eux-mêmes aux pieds. Je suis convaincu que ce n’est qu’à cette condition que nous aurons dans le monde davantage de responsables politiques qui se battent vraiment pour la paix au lieu de ne parler de paix que pour s’enrichir en vendant des nouveaux systèmes d’armement et en militarisant telle ou telle région.
Que se passe-t-il dans les tribunaux en Ukraine ? Luttent-ils contre les nazis ? Et qu’en est–il des vieilles revendications de travailleurs ?
Je dois d’abord rendre hommage aux syndicats français qui luttent contre la nouvelle loi sur le travail. De la même manière, le pouvoir de Kiev tentait depuis plusieurs années à introduire un nouveau code du travail. Quand le Parti communiste avait un groupe parlementaire nous avons tout fait pour éviter l’adoption de ce code. Aujourd’hui il a été adopté en Ukraine. C’est la raison pour laquelle je soutien la lutte des syndicats et des travailleurs français pour la défense de leurs droits. Je voudrais préciser à ce sujet que les réformes en Ukraine ont avant tout été introduites dans le but de mettre la main sur des biens. Dans pratiquement 90% des cas il s’agissait de propriétés privatisées. Il n’en est résulté aucune augmentation de l’efficacité économique. De nombreuses entreprises ont cessé d’exister. Les structures syndicales ont été détruites de manière délibérée pour que les ouvriers ne puissent pas défendre leurs droits et pour que les propriétaires engrangent des superprofits. Cette destruction des syndicats visait en effet à les faire disparaître de l’Ukraine en tant que structure de défense des droits économiques et sociaux des travailleurs. Et plus, il y a des chômeurs en Ukraine, plus c’est avantageux pour le capital et pour les patrons, car plus les salaires sont bas plus il leur est facile de spéculer sur la baisse des salaires et de réduire les prestations sociales. Aujourd’hui, en Ukraine, les syndicats sont anéantis. Les rares qui existent encore se trouvent sous le contrôle du grand capital et des patrons et, bien sûr, ils ne luttent pas pour les droits des travailleurs. Je considère donc comme de mon devoir de résister. C’est ce que je fais dans le cadre de la Fédération mondiale des syndicats et avec son Secrétaire général. Nous avons discuté de ces questions et ils m’ont invité à participer en octobre à leur plus important forum, qui se tiendra en Afrique. J’y participerai volontiers pour y donner mon point de vue sur les causes de la disparition des syndicats en Ukraine et sur les raisons pour lesquelles les droits des travailleurs n’y sont actuellement plus défendus. Nous menons une lutte politique en faveur de l’unification de la classe ouvrière pour la défense de ses droits, en particulier du droit au travail et du droit à un salaire digne.
Source : Investig’Action
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