Une partition naturelle et thérapeutique
Faisant naturellement suite à notre précédent article évoquant déjà le sujet, voici une analyse du Saker concernant le scénario d'une partition de l'Ukraine qui parait non seulement de plus en plus factuelle mais en plus inévitable car la seule porte de sortie de cette crise qui ensanglante cette région depuis plus de 2 ans.
Le cas de la partition de l’Ukraine
Par The Saker – Le 1er septembre 2016 – Source The Saker US
De même que la presse-système ne rapporte pas que les États-Unis et la Russie sont sur une trajectoire de collision qui peut déboucher sur une guerre nucléaire, elle ne parle pas non plus de l’Ukraine en train de s’effondrer. Cela ne signifie pas, pour autant, que l’Ukraine ne s’effondre pas ; elle s’effondre. En fait, cela fait déjà un long moment, mais puisque cet effondrement passe inaperçu par manque d’action militaire et grâce au soutien politique de l’Empire, il ne paraît pas catastrophique – au sens où il causerait un changement spectaculaire subit.
Mais les signes sont partout présents, allant de l’attaque tout à fait bizarre de saboteurs ukronazis contre la Crimée (qui, en plus du groupe qui a été arrêté, impliquait également au moins deux autres groupes opérant une reconnaissance de diversion en tirant sur le nord-est de la péninsule) jusqu’aux rapports quasi quotidiens sur une attaque ukronazie imminente, mais qui apparemment n’arrive jamais, contre le Donbass. Sur le front politique, la Jeanne d’Arc ukrainienne, Nadejda Savchenko, est maintenant accusée d’être un agent de Poutine, parce qu’elle prône des négociations avec les Républiques populaires de Donetsk et Lugansk, alors que le régime de Kiev tente de préserver sa pertinence auprès des faucons de l’OTAN, en offrant de leur enseigner «comment combattre les Russes». La réalité, bien sûr, est que le soutien financier de l’Empire à l’Ukraine s’est maintenant presque complètement asséché parce que, entre autres choses, il réalise que les Ukies peuvent voler presque tout l’argent qu’ils reçoivent et que plus personne ne gobe le bobard «les Russkofs arrivent !». Franchement, le projet ukronazi a fait son temps et plus personne ne se préoccupe de ce qui arrivera au peuple ukrainien.
Et c’est une immense erreur.
La Somalie dans l’Union européenne
Il est impossible d’estimer combien de gens vivent encore en Ukraine aujourd’hui, mais la plupart des experts pensent que leur chiffre se situe quelque part entre 35 et 40 millions. La grande majorité d’entre eux se battent pour gagner leur vie et leur avenir paraît très, très sombre. Vous vous rappelez Les cinq stades de l’effondrement de Dmitri Orlov ? Ce sont :
- Stade 1 : Effondrement financier. La foi dans le business as usual est perdue.
- Stade 2 : Effondrement commercial. La foi dans «le marché y pourvoira» est perdue.
- Stade 3 : Effondrement politique. La foi dans «le gouvernement prendra soin de vous» est perdue.
- Stade 4 : Effondrement social. La fois dans «vos concitoyens prendront soin de vous» est perdue.
- Stade 5 : Effondrement culturel. La foi dans «la bonté de l’humanité» est perdue.
Même un coup d’œil rapide sur ce qui se passe en Ukraine montre clairement que le stade 5 a déjà été atteint il y a un bon moment, vraiment. Ce qui vient ensuite, c’est essentiellement la Somalie. Mais une grande, vraiment grande Somalie, avec des millions de fusils d’assaut circulant dans la population, avec d’importants sites industriels capables de provoquer un autre désastre style Tchernobyl, avec divers escadrons de la mort (privés ou semi-officiels) arpentant le pays et imposant leur loi grâce a des véhicules blindés et des mitrailleuses lourdes. Donc si l’Occident, toujours eurocentrique, pouvait se permettre d’ignorer une Somalie en Somalie, il ne peut en aucune manière ignorer une Somalie à la frontière de l’Union européenne et de l’OTAN. Pour le dire simplement : il n’y a absolument aucun rempart entre la Somalie en Ukraine et l’UE. Une fois que cet effondrement final inévitable et cette fois, catastrophique, se produira, l’explosion qui en résultera prendra simplement le chemin de la plus grande facilité.
À l’est, nous avons la Russie, avec ses agences de sécurité superbement capables, la Garde nationale nouvellement créée, de grandes formations militaires déployées le long de ses frontières, et le plus important, une excellente compréhension de se qui se déroule en Ukraine. À l’ouest, nous avons essentiellement l’Europe de Conchita Wurst, incapable de concevoir la moindre politique (puisque tous les ordres viennent d’Oncle Sam), avec des forces militaires pour la parade, principalement hallucinées par la menace russe, avec des services de sécurité qui ne peuvent même pas faire face à l’actuel flux d’immigrants et, c’est le plus important, avec une classe dirigeante et une population qui n’ont pas la moindre idée ou compréhension de ce qui se passe en Ukraine.
La Russie a un autre immense avantage : elle contrôle déjà la Crimée et la Novorussie et a déjà développé les compétences nécessaires pour traiter des millions de réfugiés. Eh oui, alors que les dirigeants occidentaux étaient occupés à accuser la Russie de tout et à faire des promesses totalement folles aux Ukrainiens, la Russie a déjà dû absorber 1,5 million de réfugiés qui ne devaient pas seulement être filtrés contre les saboteurs et terroristes nazis, mais ensuite transférés intelligemment. Le service d’immigration a très bien travaillé aussi en transférant, par exemple, des médecins dans des régions où ils étaient nécessaires (y compris la Tchétchénie).
Tout cela pour dire que lorsque l’inévitable explosion se produira, les Européens seront les plus durement touchés et devront se démener pour faire face à la situation. À voir à quel point les élites compradores de l’UE sont incompétentes et sans idées, nous pouvons parfaitement nous attendre à ce qu’elles fassent de la situation un bordel total, comme elles font toujours, et finissent par se soucier avant tout des retombées politiques résultant du désastre.
Les Américains, protégés par l’océan Atlantique, feront comme d’habitude : fournir du leadership et du soutien, mais ne sortiront pas un seul dollar pour répondre aux mesures effectivement nécessaires pour affronter la situation. Politiquement, ils feront en Ukraine ce qu’ils ont toujours fait dans de telles situations : clamer victoire et s’en aller.
À ce stade, la situation deviendra si indéniablement mauvaise, que même les politiciens occidentaux devront sortir de leur délire confortable : ils s’envoleront pour Moscou pour obtenir des Russes qu’ils réparent ce gâchis.
Les Russes n’arrivent pas (encore une fois)
Je ne cesserai jamais de répéter que la Russie est beaucoup plus faible que la plupart des gens ne le pensent. Son territoire est immense et son armée sans doute la meilleure de la planète, mais sa population est relativement petite et son économie a du mal. Oui, l’avenir paraît brillant pour la Russie, mais actuellement elle n’a tout simplement pas les moyens de sauver (de ressusciter, réellement) l’Ukraine de ses propres mains. Même pas de le tenter.
La réalité est que même la Crimée a confronté la Russie à des défis importants. Après vingt-cinq ans de négligence totale, la Crimée a fondamentalement besoin de reconstruire la plus grande partie de son infrastructure. Le Kremlin a déversé des milliards de roubles dans de nombreux grands programmes de modernisation, comprenant un pont sur le détroit de Kertch, atrocement cher mais d’une nécessité vitale, et elle continuera à reconstruire la Crimée, en dépit des coûts énormes que cela implique. Pour finir, bien sûr, la Crimée finira par être très riche, grâce à un immense potentiel touristique, la présence d’une Flotte de la mer Noire très développée et en raison de sa situation stratégique. Mais pour l’avenir prévisible, la Crimée restera un fardeau important avec lequel la Russie devra se débattre.
La situation dans le Donbass est encore plus sombre. Si les Criméens ont été négligés, le Donbass a été presque totalement détruit. En ce moment, les Russes paient les pensions de retraite de la population locale, parce que les Ukronazis les ont volées, en violation directe des Accords de Minsk. La Russie est aussi seule à soutenir les républiques novorusses avec des programmes humanitaires, médicaux, techniques, administratifs et militaires. Tandis que les Novorusses ont fait un boulot extraordinaire en reconstruisant la plus grande partie de Donetsk et quelques autres villes, la plupart de ce qui se trouve à portée de l’artillerie des forces ukronazies est toujours en ruine et l’économie est plus ou moins paralysée. Cela ne changera pas jusqu’à ce que la paix revienne vraiment dans la région.
Ce qui est déjà tout à fait évident, indépendamment du locataire du Kremlin, de l’ampleur de la bonne volonté et du sens du sacrifice des Russes, c’est que la Russie n’a tout simplement pas les moyens de sauver l’Ukraine. Cela n’arrivera pas. En outre, les sondages montrent que la plupart des Russes sont catégoriquement opposés à une pleine réintégration de toute l’Ukraine dans la Russie. Qui pourrait les en blâmer ? Ils ne sont pas seulement profondément conscients que l’Ukraine s’est transformée en un désordre infernal et sanglant, mais que toute une génération d’Ukrainiens ont été maintenant incurablement endoctrinés avec la haine russophobe. Et franchement, la Russie n’a que faire des nazis de toute nature, même si ce sont des frères slaves ou même s’ils font partie de la même nation qu’eux.
Donc, même si demain Petro Porochenko et sa bande décidaient d’inviter les Russes à venir pour réparer ce désordre sanglant, les Russes refuseraient (voilà pour les mises en garde contre une invasion russe !). Bien sûr, il y a beaucoup d’Ukrainiens qui se font des illusions et pensent que «les Russes viendront et remettront de l’ordre», mais c’est une chimère : les Russes ne viendront pas. Au mieux, la Russie laissera la DNR et la LNR récupérer les territoires qui appartenaient à leurs régions et Marioupol serait libérée. Mais c’est à peu près tout. Et même si par miracle les chers novorusses parviennent jusqu’à Kiev, je ne les vois pas y rester très longtemps, parce que le Kremlin comprend tout à fait que s’ils prennent le reste du pays, ils devront le redresser. Finalement, la Russie sera tout simplement forcée, bien sûr, d’absorber le Donbass et d’en faire une partie de la Russie, principalement parce qu’il n’y a aucun moyen pour que le Donbass retourne jamais à l’Ukraine, mais même ce processus prendra du temps. A ce moment-là, avec la Crimée et le Donbass sous sa responsabilité, la Russie sera tout simplement débordée, incapable économiquement d’absorber tous les autres territoires (désolé, les Baltes, pas d’invasion russe pour vous non plus !).
Le problème principal
Donc les Russes ne peuvent pas se le permettre, les Européens ne peuvent rien faire et les Américains sont partis. Qu’est-ce qui se passe ensuite ?
Ce qui se passe ensuite, est que plus la situation empire, plus le besoin évident d’un effort international se manifestera. Une fois que les Russes diront aux Européens en termes sans équivoque «oubliez notre invasion, nous ne la ferons pas» (alors les Européens supplieront les Russes d’envahir !), les Européens devront retourner vers leurs maîtres américains et leur dire que l’UE connaîtra un changement de régime, à moins que quelque chose ne soit entrepris de toute urgence. À ce stade, Oncle Sam devra ouvrir sa bourse et offrir un peu d’argent réel (en supposant que le dollar soit toujours une devise viable lorsque ça arrivera). Mais même si cela arrive, je ne vois pas les principaux donateurs se mettre d’accord sur un projet ukrainien.
En termes strictement politiques, la situation la plus probable serait d’avoir une (Con)Fédération ukrainienne neutre, en quelque sorte. Vous savez – personne ne gagne, personne ne perd et nous restons tous amis. Ça sonne bien, évidemment, mais cela ne résout pas le problème principal de l’Ukraine : c’est un pays complètement artificiel et il est tout simplement trop vaste. Ajoutez à cela un niveau de corruption et une expertise dans le détournement de fonds que les Somaliens ne peuvent même pas commencer à imaginer, et vous avez un pays qui peut absorber même l’effort d’aide d’un important donateur et rester en ruine. Enfin, il y a la réalité que les gens vivant en Ukraine occidentale sont complètement différents de ceux du sud ou de l’est et que même si nous retirons les bandéristes nazis de l’équation, il n’y a pas quelque chose comme une «nation ukrainienne» avec un projet commun.
Small is beautiful
Mais imaginez que l’Ukraine unitaire soit autorisée à se diviser, sous contrôle international et, si nécessaire, sous protection militaire internationale, en plusieurs petits États. D’une part, cela impliquerait immédiatement la question de la neutralité : même si l’Ukraine occidentale rejoignait l’OTAN, la Russie ne s’en soucierait pas beaucoup. Cela résoudrait aussi le problème de la langue : non seulement chaque région pourrait choisir une, ou plusieurs, langues officielles, mais puisque ces États nouvellement indépendants seraient beaucoup plus homogènes, ils auraient beaucoup moins de problèmes à accepter une seconde langue officielle parlée par une relativement petite minorité (les grandes minorités sont habituellement vues comme des menaces, pas les petites). Un éclatement de l’Ukraine en plusieurs États indépendants pourrait aussi rendre plus facile à chaque État nouvellement créé de signer des accords bilatéraux avec ses voisins, sans avoir à obtenir l’accord de gens vivant à des centaines de kilomètres et intéressés à une série totalement différente d’accords avec leurs propres voisins. Enfin, de petits États sont beaucoup plus faciles à intégrer dans des unions plus larges (Union européenne ou Union économique eurasiatique) que des très grands.
Diviser l’Ukraine présente aussi un grand nombre d’avantages pour tous les efforts de mise en place et de maintien de la paix. Par exemple, alors que je ne crois pas que les Russes voudraient envahir ou annexer la plus grande partie de l’Ukraine, même à l’est du Dniepr, je crois que les Russes seraient d’accord pour envoyer une force de mise en place et de maintien de la paix pour assurer la sécurité pendant une phase de stabilisation et de transition, à condition que cette opération soit sanctionnée par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et qu’elle ait le soutien de tous les acteurs importants. De même, l’OTAN pourrait finalement se trouver un rôle utile en faisant la même chose à l’ouest du Dniepr (et puisque les pays de l’OTAN sont ceux qui ont armé les nazis, il ne serait que juste de leur demander de les désarmer maintenant).
Problèmes, mises en garde et risques
Bien sûr, comme pour toute autre division d’un pays, ce plan a des défauts important et crée autant de risques qu’il offre de chances. Tout d’abord, diviser un pays, peu importe à quel point il est artificiel, ne fait que créer plus de frontières artificielles, du moins temporairement. Cela, à son tour, augmente fortement les risques de violence. Mais soyons honnêtes : l’Ukraine a déjà été divisée au moins en trois parties (le Banderastan occupé, la Novorussie et la Crimée) et une guerre civile a déjà éclaté. Ce qui reste de l’Ukraine aujourd’hui est déjà extrêmement violent et il est tout à fait clair que les choses ne vont pas s’arranger de sitôt. Nous devons donc comparer ce qui est comparable et non comparer une situation, certes mauvaise, à une autre idéalement inventée. Ceux qui s’opposent maintenant à l’éclatement de l’Ukraine auraient dû agir avant 2014 et ne pas soutenir un coup d’État destiné à se transformer en une guerre civile : Humpty Dumpty est cassé maintenant, et tout ce qui peut encore être sauvé, ce sont ses différents morceaux.
En outre, nous devons garder à l’esprit que l’Ukraine est un pays totalement artificiel, dont les frontières actuelles sont une création de Vladimir Lénine et Joseph Staline (quelque chose dont les Ukronazis évitent soigneusement de se souvenir). Donc ce n’est pas comme si nous discutions de la partition de, disons, le Japon ou la France. Enfin, je ne vois pas pourquoi certains pays sont considérés comme des candidats de choix pour une partition (la Yougoslavie par exemple), tandis que d’autres frontières de la Seconde Guerre mondiale seraient sacrosaintes.
Certains, sans doute, m’accuseront d’être un «agent de Poutine», parce que je suggère que l’Ukraine pourrait être divisée. D’autres m’accuseront d’être un agent CIA/Mossad, parce que suggère que l’OTAN pourrait effectivement avoir une mission légitime à l’ouest du Dniepr. Ce genre d’arguments ad hominem font partie du métier et j’ai appris depuis longtemps à les ignorer. Tout ce que je répondrai à ces accusations, est que tandis que je mets 100% du blâme pour le désastre en Ukraine sur l’Empire anglosioniste, je vois aussi que c’est devenu aujourd’hui un problème commun, qui se transformera bientôt en une menace commune qui exigera une solution commune. Je ne vois personne capable de ramener la loi et l’ordre à l’est du Dniepr, à part la Russie. De même, puisque la Russie n’acceptera pas de porter la totalité du fardeau ukrainien tout seule, je ne vois tout simplement pas d’autre force militaire à part l’OTAN, qui soit capable de ramener la loi et l’ordre à l’ouest du Dniepr (en passant – j’utilise le Dniepr comme une frontière abstraite pratique, mais en réalité cette séparation devra être acceptée par toutes les parties).
Donc l’idée d’une partition contrôlée de l’Ukraine est-elle mauvaise ?
Oui, tout à fait. C’est une idée terrible.
Mais je n’en vois pas de meilleure.
Et vous ?
The Saker
Article original paru sur The Unz Review