Une attente immobile et silencieuse
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Dans le cadre du retour de nos missions sur la première ligne du front, je repars avec mon SVD, ce fusil de précision avec lequel je travaille habituellement. Et je consacre cette rotation à lister dans mon optique et ma mémoire les positions ukrainiennes qui nous font face ainsi qu'à repérer différents postes d'observation et de tirs en fonction des moments d'éclairage de la journée.
Samedi 14 septembre 2019
Lorsqu'on est "sniper" sur le front du Donbass, la réalité vécue est loin des images imposées par la fiction hollywoodienne, car le travail est à l'image de cette guerre: comateux.
A Promka, pour continuer à décrire en comparaison notre nouveau secteur de Sasnovko, les positions ukrainiennes, bien qu’enterrées et fortifiées nous offrent par leur proximité suffisamment de détails sur leurs défenses et leurs activités pour intervenir efficacement contre elles. Ici en revanche le billard qu'est la zone fait que les distances sont 3 à 4 fois plus importantes pour des objectifs toujours enterrés dans le sol de la steppe. Et à 1000 mètres l'embrasure d'une casemate n'est plus qu'un minuscule point dans une silhouette informe boursouflant le sol.
Le travail n'en reste pas moins nécessaire et intéressant pour débusquer les positions ennemies et les traces visuelles ou sonores trahissant leurs activités ou leurs cheminements de liaison.
Et pour éviter d'être trop facilement repérable je sors à découvert loin de nos tranchées qui sont connues et accrochent les regards des observateurs ukrainiens. Dès cet instant c'est la lenteur qui devient la maîtresse des faits et gestes cherchant un emplacement idéal pour fouiller du regard les détails d'un paysage encore nouveau...
Les quelques broussailles où j'ai élu domicile pour quelques heures et surtout le filet de camouflage m'offrent un voile d'ombre allégeant le poids d'un soleil qui pèse encore en ce mois de septembre. Devant moi tout est immobile et, qu'elles soient amies ou ennemies, les casemates et les tranchées tout comme le paysage semblent plongés dans un profond coma que seuls semblent trahir les insectes imperturbables qui poursuivent leur destinée au milieu de nos ruines..
Un jeune chiot, sorti certainement d'une tranchée voisine vient vagabonder un moment devant moi, et je m'amuse à piquer sa curiosité avec des sifflements discrets.
Puis c'est le déclin du soleil et surtout la faim qui me ramènent dans la réalité du temps et de l'espace et sur le chemin du retour vers notre casemate enterrée, son thé chaud et sa fraîcheur réconfortante...
Dans quelques instants le soleil tombera derrière l'horizon ukrainien et commencera alors une nouvelle attente, une nouvelle observation à l'abri des parapets et des casemates fortifiés...
Une journée de plus en moins est sur le point de s'achever dans ce nouveau désert des tartares...
Erwan Castel