Les cartes sont redistribuées


A la veille d'une nouvelle réunion du format Normandie d'où il sortira peut-être une formule "Minsk3" pour signifier son importance, les discours des uns et des autres changent en apparence car les lignes stratégiques elles semblent rester les mêmes. On assiste donc à une redistribution des cartes avec les mêmes joueurs. 

Et l'échange de prisonnier très controversé réalisé le 7 septembre dernier est certainement l'ouverture de ce nouveau jeu de dupes où chacun va essayer de réparer la table bancale de Minsk à son avantage.

Je reste très sceptique quant à la réussite de cette réanimation du processus de paix pour beaucoup de raisons comme par exemple la versatilité d'un pouvoir ukrainien qui n'a jamais su tenir ses engagements plus d'une semaine, et surtout par le fait que les républiques populaires du Donbass sont une nouvelle fois écartées du jeu diplomatique, tant par une Ukraine qui refuse de dialoguer avec leurs représentants que par une Russie qui décide à leur place. Il me semble pourtant que l’autodétermination des peuples qu'elle soit falsifiée comme sur le Maïdan où défendue comme en Crimée est le socle de tous les événements et discussions s'affrontant autour de cette crise ukrainienne. 

Il reste à voir si elle est toujours une carte maîtresse dans les mains de la prochaine rencontre du format Normandie... personnellement et malheureusement j'en doute !

Voici une analyse hors des pistes balisées par les propagandes de Karine Bechet Golovko, toujours incisive et pertinente !

Erwan Castel

Source de l'article : Russie Politics

Le Donbass et la formule Steinmeier : 
ou comment transformer le conflit intérieur ukrainien 
en y intégrant la Russie


Karine Bechet Golovko

Zelensky poursuit un jeu intéressant au sujet du Donbass, démontrant ainsi que la stratégie atlantiste a encore une fois changé : comme il devient de moins en moins crédible de jouer la carte de l'armée russe en Ukraine, que tous les satellites ont cherchée sans jamais trouver, et face à la fatigue générale à l'égard d'un conflit qui s'est enlisé, il est fondamental de déplacer ce conflit sur le plan politique - conduire la Russie à lâcher le Donbass, évidemment en y mettant les formes. Ce qui porterait un coup très fort à son image sur la scène internationale, sans parler des conséquences politico-judiciaires.

Au-delà de la propagande officielle, peu son ceux, parmi les décideurs, qui croient réellement à la présence de l'armée russe dans le Donbass, tout autant qu'à la soi-disant volonté de celle-ci de s'emparer de l'Ukraine par les armes. La rhétorique est usée, elle a épuisé son potentiel géopolitique, il est temps d'en changer.

Or, une usure objective s'installe face à un conflit enlisé, sans perspective d'évolution réelle: l'Ukraine ne peut politiquement se permettre une attaque sanglante, les nouveaux dirigeants du Donbass ne sont pas les révolutionnaires des premières heures et ont (toujours eu) d'autres priorités. En Russie aussi, qui n'a jamais eu l'intention d'intégrer le Donbass, certaines "Tours du Kremlin" sont assez peu favorables à continuer à soutenir, même techniquement, un territoire alors que la situation ne se résoudra pas rapidement d'un coup de baguette magique, la vision stratégique étatique étant ici totalement absente. 

D'une manière générale, il est important pour le clan atlantiste de "gommer" le Donbass, pour transformer le conflit, le faire passer d'une guerre civile à un conflit entre l'Ukraine et la Russie. Cela se passe déjà devant la CEDH, où l'Ukraine efface le Maïdan pour faire découler la Crimée d'une agression russe (voir notre texte ici). Encore plus directement, l'échange de "prisonniers" entre l'Ukraine et la Russie a ouvert la voie, a montré la possibilité de s'engouffrer dans cette erreur stratégique (voir notre texte ici).

La fameuse "Formule Steinmeier", selon laquelle le statut spécial du Donbass serait temporaire jusqu'à des élections pour ensuite devenir définitif après le contrôle de l'OSCE, retient toutes les attentions - prêtes à tourner la page. Le fait même d'un statut spécial pose des difficultés à l'Ukraine, car si la Crimée a pu si facilement partir, c'est aussi parce qu'elle avait des institutions autonomes qui fonctionnaient. Mais cette formule est aussi intéressante car elle permet de récupérer le territoire, alors, depuis Kiev, les messages favorables à sa reconnaissance se multiplient, mais pourtant elle n'a pas été signée à Minsk, lors de la réunion du groupe de contact avec les représentants du Donbass.

Pourquoi ? Parce que l'Ukraine ne veut pas signer avec les représentants du Donbass. Elle est prête à reconnaître un statut spécial, de toute manière elle n'a pas le choix, c'est ça ou le conflit continue à pourrir et la population ukrainienne est fatiguée elle aussi. Elle peut ainsi récupérer ses frontières. Mais elle doit obtenir un avantage politique qui fasse contrepoids : faire reconnaître le conflit avec la Russie. Pour cela, discuter et signer cette formule avec la Russie et pourquoi pas au Format Normandie, serait un coup d'éclat de plus de la diplomatie des conseillers atlantistes de Zelensky. Et ce serait un coup extrêmement dur pour la Russie, tant politiquement sur la scène internationale, qu'au regard de toutes les conséquences juridiques et financières qui en découleraient devant les instances internationales.

Alors, pour appâter, Zelensky fait de la surenchère, il faut totalement retirer les forces militaires sur toute la ligne de front et pas seulement en quelques points précis. Et nous en parlerons lors de la réunion du Format Normandie.

Car cette réunion est fondamentale pour transformer le conflit. Or, après le refus de Kutchma de signer à Minsk le statut spécial du Donbass (à l'intérieur de l'Ukraine), la Russie estime que la réunion du Format Normandie est compromise. Il serait d'ailleurs souhaitable qu'elle ne change pas de position.

Le jeu du bâton et de la carotte se met en place, certes de manière un peu primaire. D'une part, Zelensky menace de revenir à l'idée d'une mission d'observateurs de l'ONU sur tout le territoire du Donbass si ça ne marche pas comme il veut. Autrement dit, il menace de bloquer à nouveau le processus, puisque cette décision concernant les observateurs ne peut être prise sans l'aval de la Russie qui, à juste titre, d'y oppose. D'autre part, son ministre des affaires étrangères estime qu'il est plus logique de discuter de la Formule Steinmeier lors du Format Normandie. Ou comment faire semblant d'ouvrir une porte particulière après les avoir fermées, ce qui ressemble à s'y méprendre à la stratégie américaine.

Les cartes sont distribuées. A suivre.

Karine Bechet Golovko

Posts les plus consultés de ce blog

Attentats à Lugansk !

Volontaire français sur le front

L' UR 83P "Urki" au combat