Dans les feux du Monde
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Il y a 2 ans commençait mon déploiement sur le front de Yasinovataya au sein de la Brigade Piatnashka, |
Depuis 2 jours nous sommes repartis sur ce front du Donbass où, loin des rodomontades masturbatoires des politiciens assis sur leurs tas de grains et de leurs chiens de garde médiatiques couchés devant leurs gamelles, des femmes et des hommes tombent chaque jour en défendant leur liberté et leurs traditions.
Dimanche 8 septembre 2019
Ce dimanche, le front de Gorlovka est pour une fois assez calme, son silence dérangé que par quelques tirs erratiques de mitrailleuses lourdes couvrant les rafales d'un vent d'automne.
Pendant les quelques heures de repos passées sur notre camp de base sylvestre à l'arrière des positions, j'ai eu un échange très intéressant avec un journaliste chinois à qui j'ai accordé une longue interview.
Nous avons échangé beaucoup au sujet des manifestations de Hong Kong où de la situation politico-militaire du Donbass, et j'ai été agréablement surpris par la clairvoyance de cet homme des antipodes concernant le dessous des cartes, le cynisme des discours politiques et notamment la trahison contenue dans les accords de Minsk.
Quelques instants plus tard un chien, compagnon d'infortune errant dans les ruines de la folie humaine, dans un rituel timide et quotidien, est venu de son vieux trottinement quasi aveugle mendier quelques caresses et morceaux de viandes avant de repartir vers ce nulle part d'où il surgit à chacune de nos arrivées.
Et dans la nuit qui recueille les premiers frimas de la saison je songe devant la danse des flammes à tous ces feux qui brûlent le monde: incendies des forêts nourricières, cocktails Molotov des manifestations, bombardements des guerres, mais aussi les feux souterrains des trahisons humaines qui brûlent la confiance et l'Honneur pour que triomphent la cupidité et la haine.
Mais fort heureusement, il y a aussi les feux de l'âme et du coeur, ceux qui transcendent les pensées et actes des hommes en chanson de geste sublimes ou héroïques.
Ces feux aujourd'hui ne brûlent plus dans les palais, les rois actuels ayant abandonné les chemins périlleux de l'Honneur héroïque pour se vautrer avec leurs courtisans à breloques dans les ravines pestilentielles des honneurs superficiels.
Je songe alors à ces hommes et ces femmes croisés quotidiennement sur le front ou dans les quartiers bombardés du Donbass, veillant de leurs yeux cernés de fatigue sur le silence d'une tranchée menacée ou le sommeil agité d'un enfant dormant à l'abri d'une cave. Loin des théâtres tragiques où se jouent les comédies des princes et des clercs gonflés d'arrogance, de certitudes et de mensonges, ces femmes et ces hommes sont à mon coeur le vrai peuple humain dans toute sa noblesse et sa tragédie.
Au loin, la gueule d'une mitrailleuse lourde crache son feu dans le noir silence d'un nuit sans lune tandis que chuchote la relève de sentinelles invisibles.
Et ces humbles anonymes de l'Histoire deviennent par leur sacrifice amoureux et désintéressé les forgerons héroïques de l'âme humaine, sublimant ces feux du monde dans lesquels ils sont jetés en athanor d'où ils extraient avec leur sueur, leurs sang et leurs larmes toute l'éthique et l'esthétique de l'existence vraie.
Les temps viendront j'en suis persuadé où le piétinement des peuples libérés fera s'écrouler les palais, les églises et les banques dans leurs propres feux de leurs pensées uniques esclavagistes. Alors les tyrans avec leurs courtisans et leurs larbins iront purifier leurs impostures criminelles dans le feu des bûchers populaires.
Mais avant que ne surgisse ce nouveau solstice de l'Histoire il sera nécessaire, comme l'enseignent les dieux anciens des mythes éternels, de passer d'abord par le brasier d'un chaos maturant. Et les survivants pourront alors allumer sur les ruines de notre vanité anthropocentrique de nouveaux feux naturels éclairant dans la nuit spatiale l'aventure humaine.
Erwan Castel