La force fragile

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Dans les tranchées su Donbass, entre les observations tendues pendant les missions et les regards curieux pendant les repos, la moindre trace de vie dans ce paysage dévasté réveille l'esprit du soldat, surtout quand il est enlisé dans une attente silencieuse et immobile.


Jeudi 12 septembre 2019

Au milieu des replis terreux du front du Donbass, nous ne sommes pas les seuls êtres vivants à couler dans ces veines étranges et sinueuses que sont les tranchées. Ainsi de ce petit rongeur de le steppe (peut-être un mulot), zigzaguant d'un bord à l'autre d'une tranchée au fond de laquelle il s'était retrouvé, surgissant de nulle part au pays des géants que nous sommes.

Et je n'ai pas résisté à l'envie de le ramasser pour le remettre en liberté dans l'infini de sa steppe... Au moins jusqu'au prochain canyon abyssal creusé par des intrus humains....

Après l'émotion partagée du premier contact, la minuscule boule de poil à détendu ses quelques grammes de vie au creux de ma main, certainement surprise de n'avoir pas encore senti des griffes, un bec ou des dents éteindre les battements de son coeur dans l'impitoyable mais équilibrée loi de la Nature.

Quels étranges choix que de pouvoir un jour ôter la vie d'un congénère plus lourd que soi et un autre jour de sauver celle d'un être si minuscule que sans la gravité humaine de la guerre il n'aurait pas attiré l'attention même après avoir été écrasé par un godillot arrogant.

Et dans la matrice au milieu de la nuit, l'ombre projetée par la lune d'une chouette en chasse m'invite à fusionner dans mes pensées la proie du matin et le prédateur du soir, tout deux perpétuant souverainement le cycle invincible de la vie.

Cette Nature que l'Homme veut détruire ou asservir survit malgré tout, mais non sans dégâts, à notre espèce suicidaire qui aujourd'hui n'a de "sapiens" que le nom et dont les actions ne sont plus que mort, folie et désolation tant elle s'est séparée de la vraie vie dans un anthropocentrisme arrogant délirant et suicidaire.

A 00h39 un bombardement ukrainien au mortier de 82 mm frappant nos positions me fait troquer le stylo contre un fusil d'assaut et je repousse une nouvelle fois mes pensées à l'horizon lointain de mes espérances.

Erwan Castel

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