Les raisins de la patience

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Ce samedi matin le vent fait toujours le siège de "Forteruine" montant sans se fatiguer, rafale après rafale, à l'assaut de nos embrasures qu'il fait gémir dans le tintement de ferrailles pendantes.


Samedi 8 septembre 2018

Cette fois j'étais de garde au mur Nord entre la fin de nuit et le début du jour, nourrissant mes sens aux aguets des éclats de couleurs et des chants d'oiseaux qui accompagnent le réveil du monde diurne et le roulement du temps...

Peu après le café rituel, je suis parti en reconnaissance dans le cimetière des datchas pour y trouver des fenêtres d'observation des positions ennemies que l'effondrement automnal de la végétation ouvre à nouveau au regard.

Autour de moi, tout semble immobile, comme si les obus avaient arrêté ici à la fois la vie et le temps. Murs effondrés, toits éventrés, fenêtres arrachées... même le vent se tait en passant au milieu des ruines !

Dans le chaos des anciens jardins et vergers, les fleurs et les fruits, dans une symphonie de couleurs reprennent goût à la vie sauvage, et je ne peux m'empêcher de décrocher en passant quelques grappes de raisins sucrés et gonflées de soleil qui éclatent rapidement dans ma bouche gourmande.



Un peu plus loin, la guerre reprend ses droits, courbant ma silhouette et ralentissant ma progression que viennent hacher des moments d'écoute et d'observation de plus en plus fréquents. 
Progresser en silence dans ce décor jonché de pierres, briques, ferailles et tuiles brisées est un vrai défi que seul un déploiement de lenteur extrême permet de relever.

J'aime ces sorties solitaires où l'environnement, les gestes et les pensées convergent jusqu'à fusionner avec le silence.

Les tirs et les incendies ont souvent déchiré de part en part les maisons, ouvrant ainsi des postes d'observation et de tir camouflés dans l'épaisseur des pièces et de leurs fouillis.

Un fois découvert ou retrouvé dans une ruine un poste d'observation intéressant, on en fignole lentement l'installation et le camouflage avant de calculer les distances des secteurs observés.
Puis commence la longue attente minérale, l'oeil collé au réticule de visée qui avec les oreilles grandes ouvertes fouillent de leurs sens d'autres ruines quelques centaines de mètres plus loin, où peut-être un tireur fait pareil.

Puis changer de position et recommencer jusqu'à ce qu'une ombre ou un éclat révèle autre chose qu'un tissu pendant ou un débris de verre caressés par le vent et la lumière dans les ruines ennemies.

Ce matin, je n'ai pas vu un seul ukrop, comme très souvent depuis 1 mois environ, mais je ne rentre pas pour autant bredouille, rassasié d'observations nouvelles, mais aussi de silence, de soleil et de raisins.



Et je rejoins au milieu de Forteruine l'ivresse du vent fou qui continue à l'assaillir dans la résistance d'un soleil d'été.

Une journée qui commence bien !

Erwan Castel



Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front

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