Dans les rets du destin

208


Depuis 3 semaines, sur le front de Promka les journées et nuitées s'écoulent lentement, plaquées dans la roue du temps par un silence monotone qui semble n'accepter dans son royaume qu'un vent d'Est nous offrant, à travers les yeux plissés de nos meurtrières son chant grave et modulé.

Aux postes de combat ouverts sur un horizon inconnu où renifle une menace rampante, les guetteurs dans leur immobilité minérale disparaissent dans le chaos des pierres brisées et des ferrailles tordues.


Mercredi 05 septembre 2018

Les heures et le paysage se figent hors du temps et de l'espace et souvent, seules la course de la lune griffant l'obscurité des nuits en prière et la caravane des nuages chargés des odeurs de l'automne nous rappelle que nous sommes vivants.

Le front aujourd'hui retient sa respiration, comme un félin prêt à bondir attendant le moment propice, l'ordre donné.

Dans cet univers étrange et difficile à décrire, les sens sont aiguisés sur la meule de la patience et accrochent le moindre petit détail...

Ici, c'est une détonation dans le lointain, un rondin rajouté au renfort d'une casemate ou l'arrondi d'un casque émergeant une seconde d'une tranchée. 
Là, c'est le vol d'un épervier inspectant les tranchées ouvertes ou le trottinement inquiet d'une souris se faufilant entre les débris...

A côté de moi, aux créneaux du mur Nord, une araignée tisse lentement une rosace soyeuse et qui, avant les insectes et la rosée, piège déjà mes humaines pensées.

C'est le grand paradoxe de la guerre que de pouvoir, dans la fange des violences et des souffrances, purifier l'âme en lui arrachant les oripeaux conventionnés d'un paraître artificiel et de normes inutiles.
A condition qu'elle ne se laisse pas mordre par la folie ou la haine...

Alors, l'Amour de la Vie joue cette valse lente dansée avec la Mort dans la cœur de l'Homme armé autant que sur le champ de bataille.

Car ici dans les vents violents de l'Histoire, seul compte cet  essentiel qui apparaît au cœur de l'Homme et nourrit son esprit et son corps des choses les plus simples que les dieux nous offrent dans le sein de cette Nature aimante. 

Et l'Homme est alors conscient de pouvoir tisser lui aussi, dans la roue du destin où il est prisonnier, les fils de sa destinée pour y piéger ses rêves et ses espérances....

Erwan Castel

Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front

Posts les plus consultés de ce blog

Attentats à Lugansk !

Volontaire français sur le front

L' UR 83P "Urki" au combat