Retour sur Forteruine

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Je ne pensais que cette ruine accrochée au milieu d'un labour de guerre me manquerait autant !
C'est le grand paradoxe du soldat : quand il est au front il ne rêve que de revenir se blottir dans la chaleur émolliente du foyer mais quand il s'y repose à l'ombre de sourires et des rires il ne rêve que de nouvelles missions de feu dans l'inconnu du front....


Jeudi 8 novembre 2018

Ce matin, après 2 semaines passées à Donetsk dont 10 jours à Oktyabrsky, je retrouve le chemin et les gestes de la guerre: préparation du barda, des munitions, de l'armement, et embarquement avec mes camarades "Snekh" "Malish" et 'Sidor" dans un véhicule léger tout terrain transformé à l'occasion en boîte de sardines serrées au milieu de leurs équipements, armements et fardeaux divers.


  
A l'arrivée sur Promka, entre Yasinovataya et Avdeevka, un silence givré nous accueille entre les ruines des datchas où les dernières feuilles flétries, encore accrochées aux arbres tristes, se comptent sur les doigts de la main.

La tranchée qui mène à nos positions, vivante et rampante sous les coups des pelles et des pioches ininterrompus vient désormais à notre rencontre avant la lisière de la zone industrielle. La zone sécurisée s'agrandit de son labyrinthe enfoui dans ce sol de terre, d'acier et pierres labourés par les balles et les obus.


Lorsque la silhouette décharnée de "Forteruine" apparaît par dessus les parapets des boyaux et des abris, le regard accroche les nouvelles touches des sculpteurs d'acier qui ne cessent de peaufiner depuis 4 ans le cadavre de cette station électrique industrielle devenue aujourd'hui, au Nord dé Donetsk, un poste avancé des défenses défenses de Yasinovataya. Ici c'est un cratère d'obus de mortier, lâ un mur effondré, ailleurs un arbre achevé....


Un tir de roquette ukrainienne est venu les jours précédents effondrer une partie du mikado de béton qui remplace les étages supérieurs, obturant à nouveau un mur détruit. La pièce est donc à nouveau sécurisée... Merci les ukrops !


A notre arrivée, les camarades du "MVD" nous accueillent, mais aussi le chaton "Blin" devenu sous les rencontres des souris et des boîtes de conserve une petite boule de poils téméraire se hissant à coups de griffes et de ronronnements jusqu'à mes épaules.

Autour de moi, malgré les améliorations permanentes de la position je retrouve les repères inchangés depuis les 13 mois où  je sers sur cette même position du front du Donbass. Et les souvenirs de ses hôtes disparus remontent à la surface de ma mémoire vive alors que je reprends possession des lieux : "Filin", "Pauk", "Sever" et aussi "Mourka" qui m'adoptait ici il y a 1 an....



Pour cette journée de retrouvailles avec "Forteruine", le secteur est calme à part quelques tirs sporadiques, et nous nous installons tranquillement dans nos quartiers, posant au pied de nos paillasses des sacs ventrus d'où jaillissent aussitôt les vêtements chauds pour faire face à l'hiver qui lui a déjà commencé son assaut.

A proximité de nos positions, brisant l'immobilité silencieuse de l'horizon, des fumées et des grognements de tronçonneuses révèlent l'activité et la présence ennemie dont les premières positions sont à 100 mètres de nos meurtrières.

01h30, une rafale de mitrailleuse légère ukrainienne déchire le silence froid de la nuit, m'invitant au thé chaud précédant la relève sur la muraille Nord.


Erwan Castel

"Blin" heureux dans ses nouvelles fonctions de chasseur de souris et de caresses


Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front

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