Jeux de cache cache sur le front
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Sur une deuxième ligne ukrainienne à 500 mètres de distance, une position ukrainienne ornée d'un drapeau neuf des néo-nazillons du "Secteur Droit" . |
Dans une guerre de position qui dure depuis longtemps et où les belligérants sont très proches les uns des autres, les combattants soit restent la tête dans les tranchées et les casemates soit cherchent à débusquer l'ennemi, guettant les rotations des équipes qui empruntent les tranchées d'accès découvertes, les renforcements de casemates ou les creusements de tranchées qui détournent l'attention et la prudence des soldats y travaillant, les liaisons logistiques ou de commandement etc...
Mais ce sont surtout les snipers ukrainiens harcelant quotidiennement nos défenses qui sont aujourd'hui l'objet des observations prioritaires réalisées sur le front de Promka, au Nord de Donetsk, et ce travail de recherche est souvent réalisé par nos propres snipers ...
Samedi 17 novembre 2018
Depuis plusieurs semaines des snipers ukrainiens harcèlent quotidiennement nos positions de défense sur le secteur de Promka où notre bataillon est déployé entre Yasinovataya (secteur républicain) et Avdeevka (secteur occupé par l'armée ukrainienne).
Depuis le temps où nous nous observons mutuellement toutes les positions ennemies sont connues, archi-connues par les uns et les autres, et cela demande aux soldats engagés dans ces chasse ou contre chasse aux tireurs de créer sans cesse de nouvelles positions d'observation et de tirs, mais aussi d'augmenter la vitesse des actions menées pour échapper aux ripostes devenues très rapides du fait de la connaissance mutuelle précise du terrain et de la proximité des positions s'affrontant dans le secteur.
Il s'en suit un interminable jeu de cache cache en mode chassé-croisé dont l'issue peut parfois être fatale.
Dire que cette activité de chasse à l'ennemi a une dimension ludique peut certainement choquer certaines personnes, et pourtant le front de Promka est pour les snipers une immense lice où se déroulent contre l'ennemi et le temps des traques sans fin où il existe des règles à respecter si on veut gagner la partie, même si le facteur chance s'invite parfois pour être le partenaire d'un des 2 duellistes.
Des renseignements de nos groupes engagés sur Promka mais aussi des autres bataillons voisins ont permis de "loger" un sniper ukrainien qui depuis plusieurs semaines harcèle le front, blessant même plusieurs soldats d'une unité voisine de la nôtre. Après une travail de carte et de photos aériennes pour déterminer les distances et les approches idéales ainsi que les replis, abris et positions auxiliaires, une première journée a été consacrée à aménager un nouveau (et probablement éphémère) poste de tir pour engager ce tireur.
Puis, c'est l'étape la plus pénible, celle de l'attente derrière sa lunette de tir, obsédé par le froid, la fatigue des yeux ou l’arête de béton brisée sur laquelle un genou est en appui. La plupart du temps on rentre bredouille, les embrasures ennemies choisies pour l'observation étant restées sans vie pendant les moments d'observation qui varient selon les risques d'être repéré, la fatigue et le confort d'une poignée de secondes à une poignée d'heures. Pendant toutes ces longues minutes d'attentes qui se comptabilisent en journée, le sniper malgré la plus grande portée de ses radars sensoriels semble enfermé dans le microcosme de sa lunette de tir.
Sous le manteau d'un vieux chiffon du "Secteur Droit", une des embrasures d'où opère régulièrement un sniper ukrainien |
Enfin au bout de la troisième journée d’observation un mouvement anime l'embrasure d'une fenêtre réduite par un diaphragme de sacs de protection et briques empilées. Le reste n'est qu'une question de rapidité autant que de calme, d'instinct et aussi de chance, et les dizaines d'heures d'entrainement, de préparation et d'observation se concrétisent alors dans cette infime fraction de seconde explosive.
Ce jour là même si le tir effectué a connu un très fort taux de réussite, je change rapidement de position pour engager un deuxième secteur d'où je sais qu'une mitrailleuse légère ukrop a coutume de riposter.
Et la riposte effectivement ne s'est pas faite attendre !
Au peine 5 minutes plus tard le secteur était soumis à plusieurs tirs de mitrailleuse légère de 7.62mm mais aussi de canon sans recul SPG 9 de 73 mm. qui ont arrosé ma zone d'action ou pourtant il n'y a pas de position républicaine.
1er extrait ( ")
2 tirs de Sapog explosant devant moi à moins 50 mètres, cette roquette de 73mm a une vitesse moyenne de 500 mètres seconde ( vitesse initiale plus fusée additionnelle)
Au total environ une vingtaine de roquettes ont été tirées dans mon secteur à partir de 2 postions de SPG 9 situées à environ 800 mètres, m'obligeant à m’arrêter et varianter mon itinéraire d'exfiltration. Même si ce bombardement n’était peut-être pas la conséquence de mon tir mais juste une coïncidence, j'ai vécu ce moment intense où l'adrénaline ralentit le temps et aiguise les sens comme si je portais une cible accrochée dans mon dos.
2ème extrait ( ")
Ici deux autres impacts de Sapog explosant sur un secteur que je venais juste de quitter rapidement entre 2 précédentes séries de tirs.
Après un moment les tirs ukrainiens de Sapog, appuyés également par une mitrailleuse lourde de 12,7mm ont pris à partie une mitrailleuse amie qui leur ripostait depuis un blockhaus défendant un pont de la route Donetsk-Gorlovka. Ces échanges de tirs entre positions républicaines et ukrainiennes ont duré plus d'une demi heure jusqu'à la tombée de la nuit.
3ème extrait ( ")
On peut voir ici un premier tir de sapog touchant un pont situé à 200 mètres
et défendu par une position républicaine, puis un deuxième tir juste derrière moi.
etc...
Le soir venu, le silence était retombé sur le front de Promka où depuis 2 semaines, dans les 2 lignes de tranchées et casemates qui s'épient, les soldats allument feux de bois et charbon pour lutter contre un froid qui lui ne joue pas à cache cache mais a bien envahi toutes les postions sans exception...
Erwan Castel