"Ich hatt' einen Kameraden"

Nouvelles du front...

Bonjour, je profite d'une très courte halte dans la petite ville proche de notre déploiement pour donner de nos nouvelles

L'unité est engagée depuis deux semaines, en avant des positions républicaines au plus près des lignes ukrainiennes. Les missions s’enchaînent les unes aux autres, avec leurs moissons de renseignements, de fatigues, de satisfactions mais aussi de douleurs...


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Erwan.

Nous avions un camarade



Nous adressons tout d’abord nos plus vives condoléances à la famille et aux amis du sergent Youri Sichwardt alias « Dietrich », tué le 1er décembre 2015, en défendant les remparts du Donbass et du monde libre.

Ce 1er décembre, en fin de journée, au Sud de Donetsk, un message laconique est transmis aux groupes de la section déployés sur le front : « Dietrich est mort, tué par une mine » La morsure que reçoivent nos cœurs à cet instant nous fait oublier les griffures du vent d’hiver et des hautes herbes glacées de la steppe du Donbass. Dans un silence brutalement pesant, la Mort semble devenue palpable et nos doigts s’accrochent plus encore au métal glacé de nos armes.

Quelques heures auparavant, entre des rafales d’armes automatiques et des tirs de grenades, vers 15h50, une forte explosion avait déchiré l’atmosphère glacée d’un «No man’s land » que balayait un vent d’Ouest chargé des odeurs de la guerre. Depuis plusieurs jours, la section est engagée en avant des premières lignes pour surveiller, sur plusieurs axes potentiels d’assaut, les préparatifs ennemis d’une offensive majeure que toutes les sources de renseignement confirment chaque jour…

La Mort, cette compagne du soldat, rappelle cruellement la valeur et la fragilité de la Vie que la meule du Destin peut à tout moment venir broyer. Une unité militaire c’est d’abord une famille particulière, soudée au cœur de la tourmente et du danger des combats, et lorsque la Camarde en fauchant au hasard du champ de bataille moderne emporte un de ses membres, c’est à la fois un père, un frère et un fils qui disparaît à l’horizon…

Faire l’éloge d’un disparu tel que Dietrich est un exercice que j’avoue pénible au cœur et difficile à l’écriture car pour être juste et à la hauteur du disparu, il me faudrait inventer des mots à usage unique pour décrire cet homme dont le temps partagé, bref mais intense ressemble à une fulgurance du Destin où se côtoient à la fois l’intimité et l’inconnu ; et si je tente ici l’hommage c’est grâce au nom de tous ses camarades unis autour de sa disparition. 

Dietrich venait d’avoir 30 ans le 7 octobre 2015, et nous avions célébré alors son anniversaire dans la petite maison nous servant de base à quelques centaines de mètres de la ligne de front.

Né en Russie à Omsk, Dietrich dont la famille avait migré en Allemagne, était un jeune homme en pleine force de l’âge trahissant à chaque instant son amour de la Vie par un sourire radieux immaculé et un regard pétillant couleur azur. Le visage de ce meneur d’hommes arborait avec fierté comme un étendard la barbe noire et drue de l’orthodoxe et du rebelle, et son style de commandement fondé sur l’exemple, la rigueur et la bonne humeur était l’expression naturelle de sa personnalité attachante et singulière. 

Au sein de notre communauté de combat, Dietrich s’est naturellement imposé comme une pierre angulaire de l’unité. Animé par une humilité et une intelligence de cœur exemplaires, cet homme cultivé et jovial a fait preuve de compétences militaires renforcées par un comportement social, attentif et fraternel. 

Dietrich, « en pointe toujours » lors d’une progression le long d’une Zilonka
(Photo Laurent Brayard)
Ce jour funeste, le 1er groupe avait eu un accrochage au cours de la nuit, repoussant une infiltration ukrainienne en direction de nos lignes, et dès le lendemain, une reconnaissance a été engagée plus en avant pour tenter d’identifier la nature, le volume et l’intention de cette activité ennemie. Comme très souvent dans cette guerre, le terrain s’est rapidement révélé miné, ralentissant la progression de l’équipe. C’est en contournant un premier piège mortel détecté qu’une deuxième mine à effet dirigée a craché la mort à quelques mètres de la première en la faisant également exploser. Ces deux engins de type MON 50 ont alors ensemble fauché lâchement dans une grêle d’acier la razvedka impuissante, tuant notre camarade et blessant grièvement le sapeur qui l’accompagnait.

Loin du fracas des combats médiatisés, telle est  la dure réalité mais aussi l’Honneur des razvedka  qui  dans le secret de l’obscurité et du silence, opèrent au plus près des postes avancés ennemis et, " l'entrée dans ces territoires où rôde la mort oblige à se hisser à la pointe de soi-même " (Helie Denoix de Saint Marc) En effet dans ce secteur inconnu et sans maître, coincé entre les deux lignes de front, et dont la « neutralité » ressemble à une gueule assoupie et dentue dans laquelle avancent les éclaireurs, les hommes, à chaque pas dansent avec la mort, qu’elle soit crachée par la gueule d’une arme tapie dans l’ombre sylvestre, ou déclenchée par un fil tendu dans les hautes herbes.  

Il y a dans la langue bretonne un racine étymologique commune à trois mots qui sont culturellement liés : la Mort (ankou) ; l’Oubli (ankoua) et l’Angoisse (anken) et ces soldats de l’ombre des unités de reconnaissance, isolés, loin des appuis lourds de la ligne défense, vivent à chaque instant de leurs missions d’infiltration cette dimension métaphysique. 

Dietrich, à l’écoute de l’inconnu lors d’une progression vers l’ennemi (Photo Laurent Brayard)
Mais ces missions « au-delà du possible », souvent discrètes au point d’être oubliées par l’Histoire, sont pourtant essentielles dans la marche vers la Victoire car celle-ci est souvent donnée par les dieux des batailles à celui qui connaît le mieux son ennemi.

Sur cette terre noire du Donbass, gorgée du sang des héros qui depuis des siècles l’honorent de leurs sacrifices, Dietrich ce volontaire russe venu d’Allemagne, notre frère de combat, n’a pas failli à son devoir. Son comportement au combat est à la hauteur d’un engagement ciselé par un sens de l’Honneur et un humanisme des plus élevés et s’il est mort pour que vivent libres dans la Tradition les enfants du Donbass, il est et restera vivant dans nos cœurs alimentant par son exemple et son souvenir notre courage pour les combats de demain.

L'emblème des "Razvedkas" que Dietrich avait apporté à l'unité, "Au dessus de nous les étoiles"
Ce 1er décembre Dietrich a rejoint le champ d’étoiles qui au-dessus de nos têtes nous rappelle les gestes héroïques de notre Histoire, la réalité de notre passage éphémère et microcosmique mais aussi l’immortalité de l’âme et des valeurs existentielles de la vie défendues ici-bas, et parfois jusqu’à la mort.

Erwan Castel, volontaire en Novorossiya 


“Ich hatt' einen kameraden" est un chant écrit en 1809 par Ludwig Uhland en l’honneur d’un camarade mort au combat. Ce chant devient très rapidement un hymne funèbre en l’honneur des soldats tombés au champ d’honneur. Sa puissance évocatrice et sa mélodie grave saluant la fraternité et le sacrifice des hommes d’armes sont reconnues par tous et le chant dépasse rapidement ses frontières originelles et son contexte historique traduit dans de nombreuses versions étrangères…

La version allemande


Ich hatt' einen Kameraden,
Einen bessern findst du nit.
Die Trommel schlug zum Streite,
Er ging an meiner Seite
|: In gleichem Schritt und Tritt. :|

Eine Kugel kam geflogen,
Gilt's mir oder gilt es dir?
Ihn hat es weggerissen,
Er liegt vor meinen Füßen,
|: Als wär's ein Stück von mir. :|

Will mir die Hand noch reichen,
Derweil ich eben lad.
Kann dir die Hand nicht geben,
Bleib du im ew'gen Leben
|: Mein guter Kamerad! :|


Traduction française

J'avais un camarade
Un meilleur vous ne trouverez pas
Le tambour nous a appelé pour se battre
Il marchait toujours à mes côtés
Du même pas

Une balle a volé vers nous
Est elle pour moi ou pour lui?
Elle a arraché sa vie
Il se trouve maintenant à mes pieds
Comme une partie de moi



Il veut encore me tendre sa main

Tandis que je recharge

Je ne peux pas te donner ma main

Reste dans la vie éternelle
Mon bon camarade !

La version française


J'avais un camarade,
De meilleur il n'en est pas ;
Dans la paix et dans la guerre
Nous allions comme des frères
|: Marchant d'un même pas. :|

Mais une balle siffle.
Qui de nous sera frappé ?
Le voilà qui tombe à terre,
Il est là dans la poussière ;
|: Mon cœur est déchiré. :|

Ma main, il veut me prendre
Mais je charge mon fusil;
Adieu donc, adieu mon frère
Dans le ciel et sur la terre
|: Soyons toujours unis. :|



Les articles abordant les missions des razvedka de l'unité, le lien ici : Razvedka

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