Les lucioles du Donbass
C'est lorsque la Nuit écrase de son manteau le champ de bataille que les sens et les dangers de la guerre semblent bondir ensemble dans les coeurs des sentinelles accrochées aux parapets de leurs tranchées et aux meurtrières de leurs casemates. Autour des postions pourtant archi connues une marée sombre s'approche alors des positions, entre silences et sursauts, tel un magma informe avalant ou déformant tout sous l'orbe des étoiles, jusqu'au dernier mètre carré d'un chaos pourtant familier, labouré par l'acier des pelles, des obus et jonchés de barbelés rouillés et conserves vides recyclées en pavés sonores que même les renards errants dans le no man's land ont du mal à éviter.
A Promka, sur le front de Yasinovataya (au Nord de Donetsk), la distance séparant les premières positions républicaines et les avant postes ukrainiens n'est plus dans beaucoup de secteurs que de quelques dizaines de mètres, tout au plus 300 mètres. Et dans ce décor dantesque où la proximité est presque une intimité mortelle, le moindre bruit froissant le silence de la nuit déclenche des réactions souvent plus dissuasions prudentes que ripostes réelles car Nótt de son manteau opaque cache même aux yeux fatigués des sentinelles ces tranchées ennemies pourtant proches cachant dans les ombres de leurs méandres creusés les ombres des soldats immobiles et dont les treillis salis disparaissent dans une terre elle aussi camouflée par les strates multicolores de sa géologie.
Alors que l'ouïe inquiète à l'affût de la moindre tôle déchiquetée gémissant sous le vent ou..., que l'odorat enchanté surprend les odeurs débordant d'une tasse de thé fumante et que les doigts relisent pour la millième fois les froides sculptures d'acier de l'arme tenue, le regard attend sous ses paupières lourdes que les crépitements des balles égrenant cet étrange sablier du front, l'envoient chasser vers l'horizon immédiat des lueurs trahissant les positions des tireurs "d'en face".
Il arrive en effet que les flammes vomies d'un canon aboyant le danger révèle ou rappelle la position de la gueule d'une casemate, mais souvent c'est plutôt dans le ciel qu'elles apparaissent ces lucioles du Donbass invitant regards et pensées à se tourner vers des étoiles qui se rient de ses petites prétentieuses et éphémères cherchant à défier les dieux.
Et lorsque, de tranchées en casemates, les armes semblent se réunir pour un plus grand feu d'artifice, alors, après de lentes ascensions célestes des fusées de signalisation ou éclairantes aux couleurs étrangement festives viennent saluer les lucioles, et réveiller les fantômes d'une zone industrielle invitant les ombres déchiquetées de ses moignons à danser dans leurs nonchalante lueur.
Etrangement il me tarde de retrouver leur compagnie simple et brutale mais où, du soldat anonyme guettant l'inconnu au milieu de nulle part, l'âme dénudée par les orages d'acier peut enfin laisser éclore en pureté les questions sacrées de l'existence et entrevoir à travers l'horizon de feu mais épuré de toutes les futilités du paraître, la destinée réelle de son être microcosmique...
Et si un Candide me demande, à propos de la guerre, pourquoi est-ce un nom féminin qui désigne cette monstrueuse activité humaine principalement masculine, je lui répondrai aujourd'hui sans hésiter que c'est parce pour l'âme de celui qu'elle invite à danser avec la Mort, elle est à la fois mère, maîtresse et fille...
Erwan Castel