Quand le sultan va à Canossa
Bien sûr, "comparaison n'est pas raison" car contrairement au pape recevant à Canossa en 1077 un empereur germanique pénitent, le président russe Vladimir Poutine, fidèle à son intelligence diplomatique, n'a pas cédé à la tentation humilié son homologue turc Erdogan venu faire amende honorable d'une aventure militaire en Syrie menaçant un équilibre géopolitique mondial déjà chancelant.
Devant une escalade politico-militaire entre Damas/Moscou et Ankara provoquée par une irresponsable offensive turque contre la Syrie, Poutine a proposé une rencontre urgente avec Erdogan pour que cette crise militaire majeure ne se transforme pas en conflit ouvert entre les deux pays et leurs alliés. Et le président russe, malgré sa position de force consécutive à l'isolement politique croissant de la Turquie chez ses partenaires de l'OTAN et les revers militaires subis par les forces turco-djihadistes en Syrie (et aussi en Libye), a préféré dans une vision politique à long terme, offrir à Erdogan la possibilité de réaliser une sortie de crise honorable et surtout sans trop perdre la face.
Si cette rencontre cruciale de Moscou entre Poutine et Erdogan et qui a duré 5 heures a convenu d'actes très importants permettant d'engager une désescalade militaro-politique dans la région d'Idlib, elle est cependant très loin de sonner la fin de cette guerre civile qui ravage la Syrie depuis 9 ans.
Voici quels sont les principaux points d'accord obtenus lors de cette rencontre de Moscou:
Voici quels sont les principaux points d'accord obtenus lors de cette rencontre de Moscou:
Sur le plan militaire :
- Un cessez-le-feu à partir du 6 mars à minuit sur les lignes de front actuelles.
- La création d'un corridor de sécurité de 6 km de part et d'autre de l'autoroute M4
- L'organisation de patrouilles russo-turques sur cette M4, à partir du 15 mars.
Sur le plan politique, Erdogan n'ayant rien contesté ou revendiqué concernant cette région:
- S'engage donc implicitement à reconnaitre l'intégrité territoriale de la Syrie.
- et à lutter contre les terroristes (Al Qaïda, ISIS...) conformément aux résolutions de l'ONU,
- ainsi qu'à à travailler avec les autres états pour un retour des réfugiés.
observation : Depuis le 19 décembre 2019.les forces russo-irano-syriennes ont libéré près de 2345 km2 au nord-ouest de la Syrie (env. 763 km2 dans la région d'Alep et env. 1582 km2 dans la région d'Idlib).
Erdogan a montré d'ailleurs pendant cette réunion le comportement d'un homme dépité jusqu'à être déboussolé comme ici, lors de poignées de mains circonstancielles où il serre la main de son propre ministre des Affaires Etrangères qui l'accompagne.
Il est vrai que si l'on reporte ces points d'accord sur une carte on peut voir combien Moscou et par conséquent Damas sont "gagnant-gagnant" contrairement aux forces turco-islamites qui doivent abandonner du terrain.
Ce qui saute aux yeux sur cette carte c'est notamment que sur le plan militaire
- Aucun secteur libéré par l'armée irano-syrienne sur les forces turco djihadiste n'est abandonné.
- Au Sud de la M4 des djihadistes isolés vont devoir quitter la zone, se rendre ou mourir.
- L'autoroute M4 qui est l'axe principal reliant les bases russes à Idlib est rouverte et sécurisée.
La grande inconnue maintenant n'est pas de savoir si ce cessez le feu va tenir mais dans combien de temps va -t-il être rompu car il est quasiment certain que les groupes djihadistes de Daesh, Al Qaïda and Co refusent ce statut quo entre Moscou et Ankara et encore moins acceptent d'abandonner définitivement à Damas les territoires libérés par ses forces ou de quitter la zone au Sud de la M4.
Djihadistes du groupe Hayat Tahrir al-Cham se préparant pour de
nouveaux assauts sur les positions syriennes défendant Saraqib.
Qui plus est, connaissant la fourberie du néo-sultan, Erdogan pourrait derrière l'écran de fumée du cessez le feu revenir à une stratégie de guerre par procuration en armant et approvisionnant les djihadistes, qui certes ne bénéficieraient plus de l'appui direct des forces turques mais ne subiraient pas non plus les appuis de l'aviation russe donnés à l'armée syrienne. Par ailleurs il est probable que les forces turques continuent de barrer l'avancée des forces syriennes puis d'engager dès que possible le feu contre elles en invoquant la "légitime défense"
Et dès le lendemain de cet accord entre Moscou et Ankara, des indices sur le terrain d'Idlib laissent à penser que l'alliance réalisée entre les forces turques et les groupes terroristes qu'elles doivent théoriquement combattre est bien une réalité persistante très éloignée de la résolution 2254 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (mettre fin à la guerre civile en éradiquant les groupes terroristes de Syrie) pour qu'Erdogan s'est à nouveau engagé à respecter !
Convoi militaire turc entrant tranquillement dans le
bastion djihadiste d'Idlib tenu par l' Etat Islamiste (Isis)
Personnellement, je ne vois pas Erdogan respecter ses engagements en Syrie dont les enjeux sont aussi intérieurs comme le montre ce vent de contestation néo-ottoman qui s'est levé en Turquie au lendemain de la réunion pour le juger trop faible et capitulant devant la Russie.
Mais en attendant, le fait est que derrière les annonces diplomatiques qu'elles soient calculatrices ou polies, la réalité d'une opération de sauvetage russe et sous conditions de l'aventurier néo-ottoman tombé dans son propre piège, n'échappe à personne comme n'ont pas échappé les détails décoratifs de la salle où s'est tenue cette rencontre Poutine - Erdogan que finalement ils symbolisent:
Et devant les victoires des forces de la résistance qui luttent en Syrie contre celles de l'OTAN, et ses auxiliaires djihadistes, je ne peux m’empêcher de penser au général Soleimani assassiné sur ordre de Trump ce 4 janvier mais dont la force Al Qods, créée et commandée par lui, continue à lui faire honneur à la pointe des combats les plus difficiles pour libérer le monde arabe des griffes de l'impérialisme occidental et de ses séides djihadistes.
A suivre...
Erwan Castel
Territoires syriens libérés de décembre 2019 à février 2020