Une poussée d'adrénaline !

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Sur ce front de Yasinovataya au Nord de Donetsk, les réseaux de tranchées des belligérants ne cessent de remuer entre les casemates telles les tentacules toujours nouvelles ou changeantes de pieuvres cherchant à se rapprocher de leurs proies.

Malgré la proximité des positions ennemies observées (entre 100 et 300 mètres) et les missions de reconnaissance des drones, il faut parfois aller physiquement au plus près afin de recueillir ou confirmer avec précision le renseignement.

Alors, à des heures inattendues, et en profitant des ombres à l'oeuvre, on sort des tranchées ou des bunkers, et mètre après mètre on avance dans l'inconnu, écoutant l'invisible dans chaque angle mort emprunté pendant de longues minutes.


Vendredi 8 juin 2018

Ici, les sens aiguisés comme des rasoirs, guettent le moindre bruit, la moindre empreinte ou trace révélant une présence où un piège... Même les odeurs sont analysées par les observateurs rampant dans l'ombre d'un pli de terrain, d'une tôle tordue ou d'un mur effondré.

Il nous semble être des insectes crapahutant dans une boîte de résonance jonchée de débris divers et variés, mais tous plus sonores les uns que les autres. 
Ici c'est une branche qui craque, là deux ferrailles qui se touchent où ailleurs un faisan qui décolle devant nous. Même les battements du coeur semblent devenir vacarme. 
Entre les arbres et les pans de murs effondrés nous surveillons autant les positions ennemies qu'amies d'où peut surgir un tir nerveux et fratricide

Enfin, nous arrivons à proximité d'un amas de briques derrière lequel, soudainement des voix viennent de naître, écrasant immédiatement nos corps entre le sol rugueux et le regret de n'être pas des caméléons.

Une minute d'éternité passe avant que les voix et les pas ne s'estompent enfin, happés par les méandres d'une tranchée, tandis qu'une sentinelle, remuant sa lassitude, continue à nous commander le silence.
Nos périscopes, camouflés avec les débris du lieu, se glissent lentement vers les fissures d'un mur bombardé ou le long d'un tronc blessé.

20 petits mètres seulement nous séparent de l'ennemi... Difficile de décrire ici ce ressenti particulier, entre calme et tension, car nous sommes à la fois chasseur et gibier et toutes nos ressources mentales et physiques se concentrent et se stabilisent autour de la mission et de la sécurisation du binôme.

Une étrange éternité de temps et d'espace fusionnés entoure ici, au milieu de nulle part, nos sens en alerte maximale. Sans nos montres ou la course du soleil au dessus de nos têtes nous n'aurions eu aucune notion de la fuite du temps.

Quelques temps plus tard, après s'être allégés de quelques mines antipersonnelles, nous repartons vers notre position en emportant photos et observations nouvelles ainsi qu'une fatigue palpable.

Et pourtant au débriefing réalisé autour d'un thé brûlant, sur la carte, rien de bien extraordinaire n'a été fait, mais si ce chemin physique à travers le silence se révèle ridiculement court, il est inversement proportionnel à l'intensité vécue lors de son parcours.

3 heures de mission éprouvante sur quelques centaines de mètres au milieu des ruines. 
Mais, tant sur le plan tactique qu'émotionnel, le jeu en valait la chandelle !

Erwan Castel


Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du Front

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