Avis de tempête en Mer Noire


Et voici un nouvel épisode du scénario du pire en Mer Noire...

Engagée depuis 5 ans avec le Maïdan, le retour référendaire de la Crimée en Russie et la rebellion pro-russe du Donbass, la confrontation russo-ukrainienne a franchi une étape majeure de son escalade constante le 25 novembre 2018, lorsque les gardes côtes russes ont abordé et saisi de manière musclée mais légitime 3 bateaux de guerre et leurs équipages ukrainiens voulant forcer (dans une provocation organisée) les eaux territoriales russes au niveau du détroit de Kertch entre les mers Noire et d'Azov.


Depuis cet "incident de Kertch", les occidentaux n'ont de cesse que d'exacerber les tensions autour de la péninsule de Crimée qui par son référendum constitutionnel s'est échappée des griffes du coup d'Etat organisé sur le Maïdan par Washington et a permis à la Russie, en fermant ses 60 années de parenthèse ukrainienne, d'y conserver sa base navale hautement de Sébastopol qui est le port d'attache de la flotte russe dans cette Mer Noire qui est une porte d'accès maritime majeure vers la Méditérranée et l'enjeu de nombreuses guerres russo-turques et même avec les occidentaux comme en 1854 par exemple.


Désormais le dossier de la Crimée, qui était déjà le prétexte à des représailles diplomatiques et économiques contre Moscou est devenu également le théâtre pour d'une confrontation militaire entre l'OTAN et la Russie, indirecte via les alliés non intégrés de l'alliance occidentale, voire directe avec les rotations navales de ses navires de combat et de ses exercices maritimes interalliés qui s'enchînent tout au long de l'année dans la région.

Ainsi, mardi 2 avril, Kay Bailey Hutchison, l’ambassadrice étasunienne auprès de l'Otan,  a annoncé que Washington travaillait à un plan de renforcement la présence navale de l'alliance en Mer Noire afin, a t-elle promis sur un ton menacant, de "garantir le passage sûr des navires ukrainiens dans le détroit de Kertch, la mer d'Azov"

Et jeudi 5 avril, à l'occasion du 70ème anniversaire de la création de l'OTAN où l'accet a de nouveau été mis sur "l'union sacrée" de ses membres face à une menace russe imaginée pour relancer le "containment de la Russie", son Secrétaire Général Jens Stoltenbeg vient confirmer et "remettre de l'huile sur le feu" couvant en Mer Noire en déclarant :
  • «Nous intensifions nos efforts en mer Noire et dans sa région. Nous avons convenu d'un ensemble de mesures visant à améliorer notre connaissance de la situation et à renforcer notre soutien à la Géorgie et à l'Ukraine dans la formation des forces maritimes et des gardes-côtes, les visites de ports et le partage d'informations».
A gauche le Secrétaire Général de l'OTAN Jens Stoltenberg, qui en déclarant que "la Russie a fait du monde un endroit moins sûr" a confirmé qu'il s'aligne sur la russophobie de la diplomatie étasunienne, dont le représentant, Mike Pompéo a tenu, lors de cette réuion des 29 pays membres de l'alliance du 4 avril  un véritable réquisitoire contre Moscou dont il veut dénoncer dans une inversion accusatoire hallucinante les "sombres rêves d'impérialisme" évidents "dans ses invasions de la Géorgie et de l'Ukraine, son ingérence en Syrie et maintenant au Venezuela" avant de conclure qu' "à la lumière des attaques de la Russie contre les démocraties occidentales, nous avons décidé d'améliorer nos défenses face aux guerres hybrides"


Même si l'annonce de Soltenberg (comme celle de Pompéo), n'est pour le moment qu'une déclaration politique dont la mise en oeuvre reste à définir dans les détails, la première pierre d'une nouvelle escalade majeure a été posée et nul doute que des chiens de la meute occidentale vont pousser à la voir s'accomplir jusqu'au clash.

De son côté le Kremlin a immédiatement réagi et de manière ferme, en considérant ce projet de l'OTAN "de manière négative" et le considère inapproprié vu que les conditions de passage par le détroit de Kertch existent déjà et sont connues de tous  et Sergei Lavrov, le minisdtre russe des Affaires Etrangères a demandé aux occidentaux qu'"Il est temps d'arrêter de ressortir la "menace de l'Est" en permanence". La Russie a précisé qu'elles prendrait des mesures appropriées sur mer et sur terre so un tel scénario se profilait au large de la Crimée.

Pour les USA cette menace russe est à la fois le prétexte de renforcer son hégémonie militaro-industrielle que de resserer les rangs d'une OTAN qui montrent ces dernières années des divergences politiques, notamment avec l'Allemagne et la France qui ne s'alignent pas toujours sur les décisions de Washington.

Mais, à force de crier "au loup !" le berger a perdu sa crédibilité et la confiance de ses villageois, et il lui faut donc idéalement faire sortir le fauve du bois, ici l'Ours russe, pour relancer son autorié sur ses serviteurs. Et le scénario d'un clash dans le détroit de Kertch et qui sera imputable à Moscou est bien tentant .

Le problème est que l'entrée en Mer Noire de navires étrangers et qui plus est de batiments de guerre est soumise à des traités internationaux stricts (Convention de Montreux) qui en limitent les accès, les durées (21 jours maximum) et les tonnages totaux. Quant à la mer d'Azov, elle est limitée à ses 2 pays riverains (Ukraine et Russie) et leur accord mutuel est obligatoire pour autoriser un tiers à y naviguer.

Pour réaliser ses provocations ambitieuses l'OTAN n'a donc que 2 possibilités pour provoquer la Russie dans le détroit de Kertch :
  1. Soit d'ignorer la réglementation en vigueur et de violer la convention de Montreux (pour Mer Noire) et le droit maritime internationale concernant les mers intercontinentales (pour Azov) et d'envoyer un groupe naval occidental au suicide.
  2. Soit de constituer un groupe naval avec des pays tiers riverains de la Mer Noire et donc non soumis aux restrictions de la Convention de Montreux, comme par exemple la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Géorgie et l'Ukraine.
Dans les 2 cas, la Russie sera en droit de considérer l'intrusion de ces navires de combat comme une agression militaire préméditée et donc de réagir en conséquence. Le risque majeur est de voir éclater un conflit militaire localisé mais international dans ses participants, et qui surtout initié par l'OTAN sous forme de provocation permettra d'accuser plus encore la Russie dont la souveraineté juridique sur la Crimée n'est toujours pas reconnue aux Nations Unies. Le conflit militaire qui sera certainement éteint très rapidement se prolongera alors de façon paroxysmique sur les plans diplomatiques juriddiques et  économiques avec, entre autres exemples:
  • un blocus total de la facade occidentale de la Russie, 
  • l'abandon des projets gaziers North Stream 
  • la multiplication des "sanctions économiques", 
  • l'augmentation de la course aux armements occidentale, 
  • l'accélaration des intégrations de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN, 
  • l'escalade militaire des conflits régionaux comme celui du Donbass 
  • etc. 
La question clef à ce scénario du pire est de savoir si un pays du camp occidental est prêt à sacrifier, sur ordre de l'OTAN, une de ses unités navales même en fin de carrière, dans le détroit de Kertch. 

Evidemment que non, si on regarde du côté des USA, de la France, du Royaume Uni ou des autres membres militaires de l'OTAN, car les risques d'étendre le conflit sur d'autres théâres d'opérations serait alors plus important du fait du jeu des alliances et des devoirs d'assisatnce de l'organisation. . 

En revanche, si le navire qui sortira du groupe naval de l'OTAN pour énerver les canons russes, bat pavillon géorgien ou ukrainien par exemple, qui sont des pays alliés mais non intégrés à l'alliance, alors son sacrifice sans conséquence militaire internationale obligatoire verra certainement les ambitions pro-occidentales de son pays être entendues rapidement.

Du côté ukrainien, Kiev a déjà prouvé le 25 novembre dernier dans le détroit de Kertch et chaque jour sur le front du Donbass que la vie de ses soldats et marins était négligeable et sacrifiable sur l'autel de ses intérêts marchands.


Et pour couronner le tout, au milieu de cette tension internationale scabreuse, ont commencé en Mer Noire ce 5 avril  les exercices de combats maritimes de l'OTAN "Sea Shield 2019", qui réunissent cette année 20 unités navales: 14 navires de guerre roumains et 6 navires de guerre bulgares, canadiens, grecs, néerlandais, turcs et plus de 2 200 hommes. En annexe des exercices maritimes se dérouleront aussi des manoeuvres terrestres et aériennes avec des avions de chasse roumains et des patrouilleurs étasuniens et turques . 

Le scénario "fictif" de ces exercices est d'ailleurs significatif de la correspondance avec la situation géopolotique actuellement tendue de cette région, car il s'agit pour l'OTAN de planifier et exécuter une "Opération de Réaction aux Crises" (ORC), dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), et dans le contexte sécuritaire carctéristique d'un environnement soumis à des menaces symétriques et asymétriques.


Le Commandement maritime de l'OTAN (MARCOM) a désigné le Groupe maritime naval permanent (SNMG-2), qui est entré en  mer Noire le 28 mars 2018, pour participer à ces exercices Sea Shield 2019. Ce sont les navires bulgares, canadiens, néerlandais, roumains grecs et turcs qui composent ce groupe qui va rejoindre les 14 navires roumains.

Erwan Castel


Articles référence : Topcor, 45 Nord, Russian Insider, Tass

Cartographie de la situation en Mer Noire 


Posts les plus consultés de ce blog

Attentats à Lugansk !

Volontaire français sur le front

L' UR 83P "Urki" au combat