Dans l'ombre de Notre Dame !
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Depuis son cimetière bombardé lui aussi, le squelette de l'église du monastère d'Iversky, au Nord de Donetsk |
Bien sûr l'émotion que nous vivons autour du terrible incendie qui a frappé Notre Dame de Paris est légitime et compréhensible, et moi-même j'ai partagé ici ma tristesse devant le martyr d'un des joyaux de l'art gothique européen.
Dès le lendemain du drame, une mobilisation exceptionnelle s'est manifestée spontanément en France mais aussi dans le Monde pour soutenir la restauration de ce patrimoine de l'humanité... et tant mieux pour Notre Dame et aussi cette empathie humaine universelle et cette solidarité que sa souffrance a réveillé...
Mercredi 17 avril 2019
Quelques jours avant l'incendie qui a ravagé notre Dame, j'avais accompagné un journaliste français sur le site du monastère orthodoxe d'Iversky dont le squelette calciné signale à l'horizon de ce quartier où je réside depuis 3 ans, la présence depuis 5 annnés aujourd'hui d'une guerre meurtrière aux portes de la cité.
Ici, comme dans des dizaines d'autres églises et d'innombrables autres bâtiments et habitations du Donbass, le feu ne s'est d'abord pas élevé vers le ciel, implorant le pardon de morts et le secours des vivants, mais il en est d'abord tombé, craché par les canons et chasseurs bombardiers d'une armée ukrainienne enivrée par haine et la folie.
Bien sûr, je n'ai nullement l'intention de comparer l'incendie de Notre Dame avec les guerres qui détruisent depuis 5 ans des dizaines d'églises dans le Donbass, mais aussi en Syrie ou ailleurs, car évidemment nous ne sommes pas en face du même type de tragédie et contexte (même lorsqu'il s'agit d'attentat terroriste), ce serait insulter les victimes des guerres.
Car en effet, entre Donetsk et Lugansk, pour prendre l'exemple du Donbass où je vis et me bats depuis plusieurs années, c'est sa population dans son immense majorité russe que le nouveau pouvoir de Kiev veut faire disparaître intentionnellement, dans sa réalité ethnique, culturelle, spirituelle, et même physique.
Et les lieux sacrés (églises, monastères, mosquée, cimétières, mémorials) qui flambent ne sont pas que des destructions civiles parmi d'autres comme en connaissent malheureusement toutes les guerres modernes mais ils sont, pour être très souvent intentionnellement visés, les martyrs de pierre rappelant aux hommes et aux dieux le caractère génocidaire de cette guerre.
Et cette guerre est aujourd'hui (comme celle du Yemen par exemple) aussi abjecte que le silence médiatique qui l'entoure est obscène et donne l'impression que les quasi 20 000 tués de ce conflit sont massacrés une deuxième fois par l'indifférence de cette opinion internationale qui sait pourtant si bien se mobiliser en d'autres occasion.
Depuis 2014 les églises et monastères du Donbass sont visés délibérément
par l'artillerie et l'aviation ukrainienne comme ici le bombardement
du monastère d'Iversky dans le Nord de Donetsk en octobre 2014
Et jusqu'en 2019 Kiev continue à vouloir détruire l'église othodoxe russe
comme ici Lyubotin, dans l'Ouest de l'Ukraine où une nouvelle église
a été incendiée ce 15 avril par les nationalistes ukrainiens.
comme ici Lyubotin, dans l'Ouest de l'Ukraine où une nouvelle église
a été incendiée ce 15 avril par les nationalistes ukrainiens.
Voilà pourquoi, au lendemain de la tragédie de Notre Dame, je m'interroge sur les racines de l'empathie humaine et la liberté de conscience des individus, qui semblent aujourd'hui toujours soumises au mainstream médiatique officiel, malgré le nouveau panorama ouvert par les réseaux et médias alternatifs et indépendants auxquels presque tout le monde aujourd'hui est connecté.
Et ici je ne parle pas ici d'aides financières qui par définition sont contraintes et limitées, mais bien de cette prise de conscience et de cette capacité d'indignation qui peut et doit l'accompagner jusqu'à une dynamique populaire et politique, pour que la compassion individuelle devienne à nouveau, comme par le passé, cette arme collective faisant reculer les tyrannies et les injustices.
5 années de guerre dans le Donbass, et chaque jour et chaque nuit, des bombardements, des combats, du sang et des larmes, c'est déjà un martyr dont l'intensité physique et psychologique est telle qu'il est difficile même de décrire la souffrance et le courage de ce peuple dans toute leur plénitude.
Mais 5 années d'une guerre meurtrière subie dans l'indifférence générale d'une "opinion internationale" dont la majorité des européens eux-mêmes ne savent pas situer sur une carte où se situent les champs de ruines du Donbass, c'est tout simplement insupportable !
L'église orthodoxe de Krasny Partisan, entre Donetsk et Gorlovka
plusieurs fois bombardée par les forces ukrainiennes brûe en 2015
Il parait que la compassion qui est par définition sans limite et sans frontières, est commune à l'espèce humaine (et même chez de nombreux animaux), et je veux bien le croire pour l'avoir observé sur les 4 continents où j'ai trainé mon sac à dos, mais son expression dont la nature est sans conteste universelle sans ne peut s'épanouir pleinement que dans le cadre d'une réelle liberté de conscience individuelle.
Or, aujourd'hui l'humanité est devenu l'esclave des doxas politico-médiatiques et en particulier celle de la propagande occidentale qui dans une aliénation à sa marchandise veut diriger ses esclaves jusque dans leurs sentiments les plus intimes même lorsque leurs objets méritent naturellement attention et secours.
Et lorsque cette ploutocratie mondialiste cherche à contrôler les dynamiques émotionnelles à travers des orchestrations et mises en scène du type "Je suis Charlie", elle le fait pour 2 raisons majeures:
- Pouvoir capitaliser l'événement à son profit, c'est la stratégie de choc décrite par Naomie Klein et qui va même jusqu'à pousser parfois le pouvoir a provoquer les événements pour consolider sa popularité ou légitimer ses actions futures.
- Pouvoir, grâce au contrôle des médias, sélectionner l'objet de l'attention de l'opinion et donc de la soumettre par une saturation médiatique aux censures et apologies de sa propagande et d'occulter ainsi ce qui ne sert pas sa vision manichéenne.
Aussi j'aimerais voir enfin cette conscience compassionnelle humaine vivre enfin sa vraie liberté plustôt que de suivre comme un papillon les lumières des projecteurs d'une pensée unique qui parfois ne braque avec intensité ses projecteurs sur un événement ou un sujet particulier que pour mieux en garder d'autres, et avec eux le sens critique des individus, dans l'ombre de sa propagande.
Car cela rendrait service à l'Humanité, à tous les peuples en guerre, au Donbass et même à Notre Dame...
Erwan Castel
Devant le monastère détruit d'Iversky en septembre 2016 |