Un printemps éternel


Lorsque qu'explose l'insurrection du Maïdan en février 2014, l'onde ce choc se propage à travers l'Ukraine portée par des groupes de nationalistes ukrainiens qui ciblent de leur haine les régions russophones du Sud et de l'Est qui manifestent leur inquiétude face aux velléités anti-russe des putschistes parrainés par des occidentaux atlantistes.

Odessa, Kherson, Kharkov, Lugansk, Donetsk voient arriver en autocars des pro-maïdans, casqués, armés de barres de fer et gaz lacrymogènes dans leurs rues et places pour s'opposer aux fédéralistes qui veulent protéger leur identités russe et notamment l'usage officiel de leur langue. 

En février, les habitants de Donetsk se mobilisent pour dire non aux pro maïdan qui veulent occuper leurs rues. Au fil des manifestations les tensions augmentent et les premiers affrontements surviennent lorsque les nationalistes ukrainiens utilisent la force et les gaz lacrymogènes.

Les premiers rassemblements pro-russes à Donetsk en février 2014
A cette époque il est encore question de fédéralisation de l'Ukraine, mais la violence des discours et les heurts provoqués par les bandéristes vont rapidement faire évoluer la dynamique de défense des population russes de Donetsk et Lugnask vers une revendication séparatiste.

Le 13 mars 2014, des affrontements violents se déroulent à Donetsk, et les nationalistes ukrainiens sont rapidement désarmés et expulsés de la ville où fort de l'expérience du Maïdan la population forme une milice qui s'organise en groupes d'autodéfense dans les différentes agglomérations de l'oblast.

Dans le Donbass, il n'y a alors aucun russe venu encadrer le mouvement de ces premiers jours de la révolution pas plus que dans les années de guerre qui vont suivre. La dynamique est populaire, spontanée et apolitique comme le prouvent les références symboliques variées brandies par les premiers manifestants avant que n'apparaissent les drapeau de leurs jeunes républiques.

Affrontements entre pro-maïdan (à gauche) et pro russes le 13 mars à Donetsk 

Devant le nombre et la détermination de la population locale qui refuse les conséquences  russophobes du coup d'Etat de Kiev, les manifestants ukrainiens s'en vont. 
Donetsk et Lugansk sont désormais engagés sur le voie de la résistance.

A ce moment là le pouvoir ukrainien plutôt que d'écouter les revendications des russophones et chercher à instaurer un dialogue va au contraire soutenir les casseurs bandéristes venus à Donetsk et radicaliser ses actions contre les russophones en déclenchant l'"Opération Spéciale Antiterroriste" contre le Donbass. 

Banderistes agenouillés devant les militants pro-russes sous le slogan "honte", à Donetsk le 13 mars 2014 ".

La suite on la connait: un crescendo de violences de plus en plus meurtrières, avec des combats armés qui commencent à Slaviansk et Kramatorsk, des massacres à Odessa, des assauts à Mariupol et une guerre ouverte à caractère génocidaire lancée par Kiev contre les russes ethniques de Donetsk et Lugansk (qui ne sont rattachés à l'Ukraine qu'en 1921) et précipitant le Donbass dans 5 années de bombardements et combats qui se soldent par près de 20 000 tués, des dizaines de milliers de blessés, des centaines de milliers de déplacés et réfugiés, et des millions de dégâts... 

Et la guerre continue toujours malgré des accords de paix signés à Minsk et relancés en février 2015 après le chaudron de Debalsevo.  


Aujourd'hui, civils et militaires des jeunes Républiques populaires de Donetsk et Lugansk se souviennent avec émotion de ces premiers temps de ce qui fut certainement la vraie révolution ukrainienne, contrairement à celle du Maïdan qui n'est qu'une farce organisée par les services étasuniens et les gouvernements occidentaux (et reconnue depuis) pour s'emparer au profit de l'Union Européenne et surtout de l'OTAN de l'Ukraine, ce "pivot stratégique de l'Europe" selon la formule du géostratége étasunien (d'origine polono-ukrainienne) Zbigniew Brzeziński.

Cette rébellion du Donbass, même si elle appartient au mouvement anti-maidan référendaire né dans les régions pro-russes de l'Ukraine et qui va voir la Crimée retourner en Russie le 16 mars, n'est cependant pas comparable avec cette dernière dans ses racines, son contexte local et son organisation .
En effet en Crimée, péninsule qui bénéficiait d'un statut de République autonome et sa propre constitution, la Russie, présente dans la péninsule via la citoyenneté de la majeure partie de la population et la base militaire de Sébastopol a pu protéger et accompagner le référendum organisé et contrôler le retour de la péninsule russe au sein de la Russie, fermant une parenthèse ukrainienne de 60 années (dont les 2/3 sous l'URSS).

Pour le Donbass, et contrairement aux vociférations de la propagande occidentale, Moscou n'a rien initié, et après 4 années de présence ici j'en suis intimement convaincu. En effet parmi les initiateurs de la rébellion qui va donner naissance aux Républiques Populaires de Donetsk et Lugansk, il n'y a aucun homme à Poutine, bien au contraire on trouve des communistes, des monarchistes, des nationaux-bolcheviques, des anarchistes, des nationalistes, des cosaques etc... qui sont loin d'être des aficionados du Kremlin même si par pragmatisme politique il se rallie souvent à sa géopolitique internationale (qui est l'expression la plus vive de sa facette patriotique qu'il partage avec lui). 

Pour avoir souvent pensé à cette première année de la rébellion du Donbass qui avec celle de la Crimée est appelée le "Printemps russe", je peux affirmer aujourd'hui que nous avions eu affaire sans conteste a l'expression de cette "common decency" (décence commune décrite par Georges Orwell) et qui est l'expression naturelle et supra-idéologique de l'identité d'une communauté attachée charnellement à son sanctuaire et ses traditions ( ce que Jung appelle de son côté l'inconscient collectif). Ici les politiques qui affrontent ou soutiennent la dynamique populaire sont des greffons secondaires mais en aucun cas ses initiatrices.

Quand les manifestations fédéralistes dans l'Est de l'Ukraine deviennent, sous les coups de l'armée ukrainienne, une rébellion séparatiste, le Kremlin qui en train de gérer le séisme diplomatique provoqué par le retour référendaire de la Crimée en Russie, de son côté observe avec inquiétude mais aussi prudence les événements tragiques qui se déroulent dans le Donbass car ils risquent de dégénérer soit en guerre ouverte avec l'Ukraine soit en massacre de la population russe de cette région, ce que la Russie ne peut laisser faire sans intervenir ouvertement et donc envenimer une situation déjà explosive depuis le Maïdan.

Poutine va alors jouer à l'équilibriste entre le régime de Kiev (qu'il vient de reconnaître), ses "partenaires occidentaux" qui le bombardent de sanctions et les jeunes républiques du Donbass qu'il soutient car leur population russe représente un enjeu important de politique intérieure (plus que leur enjeu économique qui s'il est important pour Kiev et négligeable pour le Kremlin, ou leur enjeu stratégique qui est quasiment nul vu l'absence de base et la faible profondeur des territoires séparatistes (env 100km maximum)). 

Cette observation qui est je le reconnais en dehors des doxas propagandistes des uns et des autres est étayée par des faits militaires et des orientations idéologiques observées depuis que Moscou a progressivement repris en main les décisions des entités de Donetsk et Lugansk en échange d'un soutien diplomatique, logistique et économique leur permettant de survivre et de se battre contre une armée ukrainienne qui même moins motivée n'en reste pas moins mieux équipée et plus nombreuse. 

L'objectif pour Poutine est de "calmer le jeu" et en voici quelques exemples :
  • Départ du Donbass de Strelkov l'initiateur de la rébellion armée de Slaviansk,
  • Abandon de l'offensive républicaine vers Mariupol après Iliovaisk en septembre 2014
  • Engagement des accords de Minsk 1
  • Abandon de l'offensive républicaine vers Kramatorsk après Debalsevo en février 2015
  • Signature des accords de Minsk 2,
  • Disparition progressive des principaux leaders du "Printemps russe" 
Sur le plan de l’organisation des jeunes Républiques, il est évident que la "normalisation" de leurs ministères sur le modèle russe ne se fait pas sans un alignement de leur politique sur celle du Kremlin et les chefs du "Printemps russe" de 2014 qui refusent de s'y soumettre vont disparaître progressivement vers la Russie ou les cimetières. 

En 2015, le projet "Novorossiya" (Résurgence d'un Etat russe indépendant correspondant aux oblasts russophones de Kharkov à Odessa) va progressivement disparaître des discours officiels et on ne parle plus que des territoires des anciens oblasts de Donetsk et Lugansk occupés par l'armée ukrainienne et revendiqués par les 2 républiques autoproclamées.


Le personnage de Zakharchenko, ce commandant de bataillon devenu président de la République Populaire de Donetsk, est à ce moment là un atout exceptionnel pour le Kremlin capable par son intelligence politique autant que par son charisme exceptionnel de jouer le jeu du Kremlin tout en maintenant vive la flamme de la révolution de 2014, le projet républicain et cette union sacrée vitale à tout peuple confrontée à une guerre défensive. 
Après l'abandon officiel du projet "Novorossiya", l'assassinat du Président Zakharchenko va constituer le deuxième tournant clivant dans l'histoire des jeunes républiques du Donbass, d'autant plus que son successeur Pushilin, plus politicien que meneur, n'incarne pas les premières barricades où est né l'espoir des populations de forger leur liberté autour de leurs traditions.

Le processus de Minsk devient désormais le leitmotiv des discours officiels, et la paix plus que la liberté semble être désormais la priorité d'un pouvoir républicain qui, en attendant les nouveaux interlocuteurs qui sortiront des urnes présidentielles ukrainiennes, ne parlent même plus des territoires occupés par Kiev et de leur libération espérée. 

Personnellement, je pense que le nouveau pouvoir ukrainien ne changera rien, au contraire il poursuivra la guerre, excuse à son échec socio-économique autant que prétexte pour Washington à une militarisation de l'Ukraine par l'OTAN. Et le Donbass sera sacrifié d'un côté par cette haine occidentale qui peut s'exercer sur des russes sans attaquer la Russie directement (et le fait qu'il n'y a aucun combat ou bombardement coté Crimée le prouve) et de l'autre par la prudence russe d'une real-politik devenue utopie et qui préfère attendre un hypothétique pourrissement du régime ukrainien sur lui-même (peu probable vu l'attentisme atavique de la population et les perfusions du système occidentale).

Selon moi il reste au peuple russe du Donbass mais aussi de la Novorossiya dans son entité historique et idéologique de trouver son deuxième souffle et reprendre la lutte entamée en 2014. Trop de larmes et de sang ont coulé pour que l'oubli ou la trahison étouffent l'espérance née entre Occident et Eurasie et qui depuis souffle au sein de leurs peuples réveillés. 

Et les devant les peuples en marche pour leur liberté les princes ne peuvent jamais que gagner quelques batailles et doivent toujours pour finir se soumettre ou suivre la volonté des gardiens de la Tradition.

Erwan Castel 

En revenant du Donbass, Yulia Chicherina a réalisé  ce clip "volontaires" 
dans lequel où nous revoyons avec émotion Mamaï le commandeur de Piatnashka 
mort au combat en mai 2018, mais aussi Motorola et Givi qui
eux aussi qui restent dans nos coeurs bien que partis vers d'autres horizons 


En pensant à ces années de rébellion menée dans le Donbass par ce "sens commun" naturel d'une population accrochée à sa terre et ses traditions contre les intérêts des "princes d'en haut", je ne peux m’empêcher de penser aux paroles du barde "Glenmor"  :

Erwan Castel


"Compagnons, nous étions en si petit nombre 
que le discours avait l'ardeur ridicule des palabres d'enfants. 
Nous étions si tendrement révoltés 
qu'il fallait percer l'indolence de nos dires 
pour y découvrir la sombre fureur.

Compagnons insoumis des heures noires,
 nous avons tout de même semé 
et toute bonne graine honore le semeur. 

La moisson est proche.

Il y aura des hommes et des hommes à foison 
aux agapes des places publiques.
Il y aura des hommes debout 
pour une nouvelle république, 
la nôtre, la plus ancienne..."


Milig ar Skanv dit "Glenmor"

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