Le dernier vol d'un homme libre
Vu du Donbass (6)
Hier, un camarade de Guyane m'a informé du décès de François Susky, un homme exceptionnel côtoyé en Guyane pendant 15 années d'aventure amazonienne. Comment évoquer ce personnage en quelques lignes sans oublier l'essentiel de sa rencontre. Je me souviens comme si je l'avais croisé hier de son visage, figure de gargouille semblant avoir été sculptée par un tailleur de pierre où rayonnait au milieu des sillons des années un regard pétillant et perçant, comme celui des aigles dont il a partagé le royaume toute sa vie.
A 91 ans, ce tchécoslovaque, amoureux passionné de la Guyane a enfin retrouvé le ciel que le poids des années l'avait contraint à déserté il y a quelques années seulement. Depuis l'annonce de sa disparition des souvenirs se bousculent dans ma mémoire, une silhouette recroquevillée sur sa légende, posée sur la place des Amandiers attendant que le soleil couchant lui offre des fulgurances de feu nouvelles pour ses tableaux, un vol mémorable vers Camopi réalisé en 2005 je crois mais au cours duquel l'homme autant que la forêt me sont apparus dans leurs réalités mythiques, des discussions enfin qui aujourd'hui me semblent des graines en germination au milieu de mon chemin qui s'est éloigné de cette terre où chacun peut venir y planter son rêve.
L'avion, qu'il maîtrisait comme un oiseau maîtrise ses ailes, était beaucoup plus pour ce pilote de brousse qu'un simple moyen de transport ou un business vers les communes isolées de Guyane, mais surtout et avant tout le moyen d'embrasser fougueusement la Liberté, d'échapper à la pesanteur de la terre autant qu'à celle du monde moderne et de ses anthropocentrismes suicidaires.
La forêt (dont un inselberg majestueux porte son nom) semblait être son élément vital et même aérien tant les ailes de son avion faisant souvent la révérence à la canopée tandis que les sauts (rapides) des fleuves indomptés lavaient les roues de son vieux "coucou". Son appartement, ou plutôt sa salle de repos entre 2 vols, encombré de souvenirs était toujours dans le ciel de Guyane sur lequel chacun de ses tableaux toujours inachevé, ouvrait une fenêtre pointilliste sur la forêt sacrée de sa liberté.
Cet homme n'était pas à comprendre mais à ressentir, car il incarne ces rêves qu'on ne peut ni expliquer ni décrire mais qui font que certains hommes peuvent rester debout et libres jusqu'au bout de leur éternelle jeunesse.
Voici un reportage sur Susky à travers lequel
on découvre la féerie de la Guyane et sa forêt.
Un beau documentaire de Bernard Collet à découvrir.
Un beau documentaire de Bernard Collet à découvrir.
Dans le Donbass, ce matin j'ai croisé un ancien, vétéran d'Afghanistan, milicien de la première heure dans le Donbass, claudiquant sur ses jambes blessées, les traits tirés et le visage rongé par la barbe grisonnante et la fatigue; mais il avait la même brillance dans les yeux que Susky, cette flamme universelle qui brille unique dans les yeux de chaque homme réellement libre.
Aujourd'hui Susky a pris son dernier vol et nul doute qu'il a rejoint le petit prince d'un autre pilote de la Liberté, pour lui apporter les couleurs des aras, l'ombre des savanes roches, les chants des grenouilles, l'écume des rivières et des odeurs d'orchidées.
Merci à lui de nous avoir montrer que les rêves mêmes les plus hauts sont à la portée de la volonté humaine.
Erwan Castel