Un dinosaure au combat

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L'évolution militaire s'articule autour du combat entre la lance et la cuirasse qui traverse intact les âges historiques et technologiques des armées. Aujourd'hui la guerre du Donbass qui s'enterre depuis 5 ans sur 300 kilomètres de front est le théâtre où se joue ce duel où les belligérants du fond de leurs casemates rivalisent pour trouver à la fois les moyens de percer les blindages de l'autre et de se protéger de ses armes toujours plus performantes.

Au cours de cette rotation menée sur le front de Yasinotaya, notre unité a ainsi redéployé sur les positions tenues par la Brigade Piatnashka à Promka des fusils antichars pour répondre aux retour de mitrailleuses ukrainiennes de 12,7mm "Utios" installées au fond de bunker semi enterrés.


Mercredi 6 mars 2019

Notre groupe de combat dispose sur "Forteruine", en plus des armes individuelles de dotation, d'armements collectifs d'appuis et antichars dont 2 fusils de précision de calibre 12,7 (Shok) et 14.5 mm (PTRS 41). Et c'est sans conteste ce dernier fusil qui a été la vedette de cette nouvelle rotation. 

Et pour cause ! car il s'agit ni plus ni moins que d'un vétéran de la deuxième guerre mondiale que les milices ont rappelé au service des armes pour défendre les Républiques Populaires de Donetsk et Lugansk . 

Depuis 4 ans je croise régulièrement sur le front la silhouette rustique et démesurée de ce fusil antichar soit dans ses versions PTRD ou PTRS et qui semblent être la preuve que les géants des légendes ont réellement existé. 

Jugez-en par vous même (ici version "PTRS 41"):

Longueur du fusil : 2,20 m
Longueur du canon : 1,22 m
Poids de l'arme : 22 kg
Calibre : 14.5mm x 114mm
Chargeur : 5 cartouches
Portée pratique : 400 mètres
Portée maximale : 815 mètres
Vitesse initiale : 1013 mètres/seconde
Perforation : 40mm de blindage à 100 mètres
    Ce fusil a été conçu entre les deux dernières guerres mondiales par le fabricant d'armes Sergei Simonov pour remplacer le calibre 12,7mm devenu trop faible pour percer les nouveau blindage des chars d'assaut.

    Cette version PTRS est la version semi-automatique du PTRD initial mais qui ne va pas réussir à dépasser sa fiabilité (beaucoup de tireurs préfèrent le PTRD au PTRS plus lourd et dont le mécanisme s'encrasse plus rapidement pendant les tirs).

    Après que la guerre éclate en 1941, les usines d'armement soviétiques vont produire en masse ces fusils antichars qui vont obtenir de nombreux résultats sur le front de l'Est contre les véhicules blindés allemands qui durent même s'équiper de plaques de blindages supplémentaires pour mieux résister à ces tueurs de chars. 
    Rapidement les fusils antichars furent utilisés avec efficacité contre les positions de mortiers, les nids de mitrailleuses et même les casemates enterrées. 

    Lorsque la guerre revient frapper aux portes du Donbass en 2014, les groupes d'autodéfense improvisent complétant les arsenaux récupérés dans les casernes et les combats par les vieux stocks soviétiques subsistant au fond des dépôts (côté armement, les russes conservent tout), et on a même vu des vieux chars être déboulonnés de leurs stèles commémoratives et remis en service sur les premiers barrages de la milice.

    Officiellement à la retraite depuis 1945 (date à laquelle leurs productions furent interrompues), les PTRD/PTRS furent rappelés sous les drapeaux des jeunes Républiques de Donetsk et Lugansk qui se souvenaient de leurs prouesses sur le front de l'Est. Et les blindages des BMP, BMD et BTR envoyés par Kiev contre la population du Donbass d'être à leur tour troués par ses fusils qui n'ont pas pris une ride !

    Lorsque le front s'enterre à l'issue de la signature des accords de Minsk (février 2015), ces vieux dinosaures d'acier restent en première ligne pour une utilisation contre les positions fortifiées que l'armée ukrainienne fait progresser chaque année un peu plus au milieu de la zone grise (théoriquement démilitarisée).

    Outre sa fonction symbolique évidente, l'utilité de ce type d'arme est tellement réel que les ateliers d'armement de la République de Donetsk conçoivent un nouveau fusil sur le même principe mais d'un calibre de 12.7mm moderne et surtout plus disponible que le vieux 14.5mm : Le Shok républicain était né dans la lignée de son ancêtre soviétique.

    Tir au PTRS 41 sur casemate ukrainienne 
    Front de Yasinovataya, le 27 février 2019

    Le "spécimen" qui est en service sur "Forteruine" est un vaillant grand père de 75 ans qui a bonne crosse bon nez et continue à cracher ses balles blindées quotidiennement et avec précision en compagnie de son hériter républicain. Et lorsque l'on manie ce monstre d'acier il est difficile de ne pas penser avec émotion à ses premiers tireurs, coiffés de leurs boudinovkas de laine à étoile rouge tirant sur les blindés allemands pendant la "grande guerre patriotique"... 

    Au milieu des éraflures de l'Histoire la date de naissance du PTRS reste visible et fière
    En venant dans le Donbass, je ne pensais vraiment pas servir un jour une arme pour laquelle n'importe quel musée d'histoire réserverait une place de choix dans sa collection des armes légendaires...

    Cette semaine, nous avons souvent fait appel aux 2 fusils en service sur notre postion, le Shok et son ancêtre PTRS 41, pour riposter aux tirs réguliers d'une mitrailleuse ukrainienne de 12,7mm "Utios" positionnée devant notre position. Et pour déplacer rapidement ce géant d'acier dans les tranchées sinueuses et étroites, lors des changements fréquents des postions de tir, le tireur et son observateur ne sont pas de trop :

    Changement de position du binôme PTRS 41 dans les tranchées de Promka
    Le premier est l'observateur qui tient également un périscope de tranchée TR 8,
    le second porte un coussin de confort coincé entre épaule et crosse pendant le tir. 

    Le PTRS / PTRD est une arme immortelle qui symbolise autant la fiabilité de l'armement russe (et sa rusticité) que la permanence de l'Histoire dans la défense de l'empire eurasiatique. De plus les succès de ce vieux dinosaure d'acier sur un front du XXIème siècle montre également s'il en était besoin après les guerres du Vietnam ou d'Afghanistan par exemple, que l'important au combat n'est pas forcément la technologie "up to date" de l'armement mais aussi et surtout la valeur et la foi de ceux qui l'utilisent.    

    Erwan Castel

    Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du front

    PTRD 41 au combat sut le front de l'Est en 1943

    PTRS 41 au combat sur le front du Donbass en 2019

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