Passage rapide à Donetsk
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Lorsque je reviens du front le sac et l'esprit semblent déversé d'un coup une fatigue accumulée au fil des jours et des nuits à se réveiller, veiller et surveiller dans une arythmie totale où le métabolisme perd tous ses repères habituels.
Le retour à Donetsk semble être parfois comme un passage dans un autre monde où la guerre tente de se faire oublier (surtout sous la bulle spatio-temporelle d'un centre ville dont le modèle sociétal idéalisé gravite autour des ressources du pouvoir républicain qui l'alimentent).
Cette niche d'apparatchiks où dans les alcôves ministérielles se bousculent des meutes de vautours et d'arrivistes, je la traverse brièvement, le temps de passer du trolleybus au vieux tramway qui m'emmène sur la plus ancienne et chaotique voie ferrée de Donetsk vers la lisière Nord de la cité et le quartier bombardé d'Oktyabrsky où je réside.
Mardi 12 décembre 2017
Entre la fouille de l'observation et celle de la pelle, nous sommes revenus du front de Yasinovataya pour 1 journée de repos à Donetsk avant de repartir vers les devoirs militaires.
Cette journée brève, si elle a pu restaurer les corps fatigués n'a pas su détourner les esprits des actions à accomplir des le lendemain, à commencer par les honneurs à notre camarade Andreï, tué la semaine dernière par un sniper ukrainien.
A Oktyabrsky, entre rires enfantins, ronronnements félins et sourires féminins, je regarde les murs noircis de la maison voisine dans cette rue où la vie et l'espérance continuent.
Dans cette petite maison remplie de vie, à intervalles réguliers, les treillis des lavages venant décorer les fils tendus, avec les détonations qui réveillent l'horizon, invitent à nouveau la guerre dans mes pensées...
Dans quelques heures après avoir saluer le cercueil de notre camarade en partance vers sa Sibérie natale, je reprendrai le chemin des tranchées, loin des tsunamis affectifs hyper médiatisés, gardant en mémoire (et motivation) ces rires, ronronnements et sourires qui font que cette vie imparfaite finalement vaut quand même la peine d'être vécue, jusqu'à mourir pour elle...
Erwan Castel
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