Et la terre du Donbass ouvre ses bras
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Il y a des journées que l'on préférerait ne pas vivre, mais que l'on doit toutefois assumer et même honorer comme celle des derniers adieux à un camarade, tué au combat à nos côtés...
Aujourd'hui nous avons été relevés comme prévu sur les positions de Yasinovataya, toujours sous le feu de l'ennemi, notamment de snipers qui couvrent le secteur d'une toile d'araignée d'acier invisible mais mortelle..
Les groupes sont partis vers Donetsk en fin de matinée, les cœurs lourds de l'absence des 2 camarades tués cette semaine par des balles ukrainiennes, dont l'un a sa dépouille toujours sur le terrain, irrécupérable du fait des tirs permanents des snipers ukrops.
À notre retour à la caserne, une foule civile et militaire attend, silencieuse et recueillie autour d'un cercueil ouvert, navire armé de soie et de fleurs colorées pour le dernier voyage d'un jeune homme ayant nourri cette terre familiale de son amour et de son sang.
Sans pause ni transition, nous rembarquons pour un cimetière de Makeevka au milieu d'un convoi de bus et voitures transportant la famille, les amis et camarades venus saluer une dernière fois Daniel et recueillir dans leurs cœurs le souvenir indélébile de son sacrifice.
Dans cette forêt d'arbres et de croix orthodoxes mélangés dans un entrelacs d'allées étroites et sinueuses, l'atmosphère est à la fois lourde et majestueuse.
Entourant leur fils une dernière fois, une mère en pleurs et un père en uniforme incarnent dans la dignité la souffrance de ce peuple du Donbass qui, malgré la haine qui le frappe cruellement depuis 4 ans, reste accroché sous les tirs ukrainiens à sa Liberté sacrée.
Notre groupe tirent des salves d'honneur tandis que ce sol noir du Donbass, labouré par l'Histoire, après avoir acueilli un de ses fils, se referme sous les poignées de terre et de larmes mélangées. J'espère, de mon côté, que ces balles offertes au ciel inviteront les dieux à accueillir cet homme au banquet éternel des héros morts au combat.
Nos pensées sont aussi dirigées vers la dépouille absente de cet autre camarade disparu au combat, mais point dans nos cœurs.
De retour à la caserne, la guerre reprend les commandes de nos destinées choisies, ne nous accordant que le temps de laver notre fatigue avant un nouveau déploiement sur ce front en ébullition constante, mais qu'il nous faut tenir nuit et jour.
Erwan Castel
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