"Reculer pour mieux sauter"



En contrepoint de la déroute ukrainienne en cours à Lisichansk, les forces russes ont été contraintes de quitter l'ile au serpent, ce caillou au large d'Odessa dont l'influence sur le cours actuel du conflit est quasiment nulle mais qui depuis 4 mois est cependant au coeur du combat médiatique entre Kiev et Moscou.

Si la libération de Kherson réalisée début mars est incontestablement la première grande victoire stratégique des opérations militaires russes , en revanche, force est de constater qu'elles ont rencontré dans la région d'Odessa une résistance ukrainienne sensible qui leur a infligé 3 revers importants :
  • L'échec de la capture de Nikolaïev, ce verrou urbain contrôlant la route vers Odessa
  • La perte du croiseur-amiral Moskva qui assurait la couverture aérienne de la flotte russe
  • La retraite de la garnison de l'île au serpent qui contrôlait la circulation en rade d'Odessa
Ces derniers jours, malgré avoir repoussé par 3 fois des assauts aéro-amphibies ukrainiens sur l'île au serpent trop éloignée de la couverture venant de la base de Sébastopol, les forces russes ont été contraintes de l'abandonner suite à l'intensification des bombardements incessants subis depuis la côte ukrainienne.

Tandis que les propagandistes ukro-atlantistes mythifient cet épisode en victoire militaire majeure, leurs homologues russes et pro-russes quant à eux en minimisent l'impact sur les opérations en cours. 

La réalité, comme d'habitude, se situe entre les délires courtisans et il convient de définir les enjeux et menaces que représente pour chacun le contrôle de ce petit caillou maritime de seulement 20 hectares.



Une importance symbolique

Cette île au serpent qui est en quelque sorte la sentinelle maritime des côtes de la Novorossiya a été une première fois libérée par les russes après leur  guerre de reconquête contre les Turcs en 1787-1791 à l'époque de l'impératrice Catherine II qui fonda la Novorissiya ce qui développa considérablement cette région pontique des marches (Ukraïna) de l'Empire. Au lendemain de la guerre de Crimée menée par la thalassocratie britannique et ses laquais  pour bloquer la concurrence commerciale russe, l'île au serpent devient territoire roumain en 1856. Après la victoire de l'armée rouge sur les nazis et leurs alliés, cette êle est restituée à la Russie via la République Socialiste Soviétique d'Ukraine.

Lorsque les opérations militaires russes sont engagées en février pour démilitariser l'Ukraine et  mettre fin au conflit dans le Donbass, l'île au serpent est capturée par la flotte russe de la Mer Noire, sa garnison prétendument "massacrée" selon Kiev... jusqu'à ce qu'elle ressuscite quelques semaines plus tard crevant le ridicule d'un nouveau média-mensonge ukro-atlantiste.

Et depuis, cette sentinelle pélagique de 41 mètres d'altitude disputée entre les deux belligérants est au coeur de l'attention exacerbée des regards lorgnant cette région d'Odessa dernier accès ukro-atlantiste sur la Mer Noire (Ochakov plus à l'Est étant sous le feu de l'artillerie russe) et dernière étape pour Moscou réalise cette continuité territoriale novorossienne entre Donetsk et Tiraspol.

L'île au serpent et son phare russe - 1896

Une importance stratégique 

Ce caillou est stratégiquement très important par sa position de sentinelle maritime à la frontière avec la Roumanie (aujourd'hui pays de l'OTAN) et l'entrée de la baie d'Odessa. Un phare russe y avait été construit sous l'empire avec une première garnison et dès 1946 Moscou classe cette île dans la liste des sites militaires majeurs de la défense aérienne soviétique, qui y installera une station radar et des unités de défense anti aérienne et un avant poste des forces frontalières. 

Dans le cadre du conflit en cours, l'île au serpent est un site prioritaire pour 
  • contrôler le trafic maritime en baie d'Odessa, 
  • assurer la couverture radar et antiaérienne de la baie d'Odessa 
  • avoir un avant poste à 40 km de la frontière roumaine de l'OTAN 
Mais, depuis la perte du Moskva débridant les attaques aériennes ukrainiennes et la livraison par l'OTAN à l'Ukraine de missiles anti-navires britanniques "Harpoon" d'une portée de 280 km, menaçant la flotte russe en baie d'Odessa et ses ravitaillements vers l'île au serpent, y maintenir sa garnison devenait de plus en plus difficile ou au mieux de moins en moins rentable. C'est d'ailleurs probablement la destruction par missile "Harpoon" ce 17 juin 2022 du ravitailleur russe "Spasatel Vasily Bekh" qui a certainement motivé l'Etat-Major russe à quitter cette île qui de plus était sous le feu augmenté par les aides occidentales de l'artillerie côtière ukrainienne distante que de 35 km.

Mais l'île au serpent est aussi stratégique sur le plan économique car au début des années 1980, des prospections maritimes ont permis de mettre à jour d'importantes réserves d'hydrocarbures à moins de 40 km de l'île dont les nappes s'étendent jusqu'à son domaine maritime. Voilà pourquoi des plates-formes de forage russes de la société Chernomorneftegaz sont installés dans ce secteur de la Mer Noire qui depuis est contesté par la Roumanie qui lorgne sur ses ressources en pétrole et en gaz dont les tonnages estimés correspondent à 20 années de consommation énergétique. En  2009, la Cour internationale de justice des Nations Unies a tranché, donnant 80% de l'espace maritime contestée à la Roumanie et le reste avec la possession de l'île à l'Ukraine.

Fin juin, les plateformes de forages russes, malgré leur protection militaire et celle de l'île au serpent ont été attaquées à deux reprises par des missiles antinavires rasant ukrainiens, subissant selon les russes eux-mêmes "des dommages importants". Et aujourd'hui leur couverture déjà poreuse a sérieusement diminué avec le départ de la garnison de l'île, ce qui remet également en question le maintien de ces unités de production devenues des cibles militaires.


"Reculer pour mieux sauter" 

Concernant l'île au serpent, il est évident que la Russie n'a pas renoncé à son contrôle et que celui ci sera à nouveau reconquis lorsque l'offensive sur Odessa sera engagée. Mais pragmatiquement l'Etat Major n'a pas jugé rentable d'y subir une attrition de la part des forces ukrainiennes, qui de plus bénéficiaient des 100 % du renseignement militaire de l'OTAN opérant sur le littoral et dans le ciel roumain. 

Même si la plupart des attaques aéronavales, de missiles et de roquettes ukrainiennes étaient repoussées et détruites, celles utilisant des obus d'artillerie ou des missiles sol-mer rasants provoquaient des pertes et destructions qui à la longue pouvaient s'avérer importantes. Il était donc militairement logique de renoncer temporairement à ce caillou maritime, et s'adapter autrement aux menaces ukrainiennes dans la baie d'Odessa.

Et c'est maintenant au tour des forces aérospatiales russes de rendre la vie impossible à la nouvelle garnison ukrainienne de l'île qui subi depuis son arrivée d'intenses bombardements y compris au phosphore pour empêcher toute installation de missiles de l'OTAN, lesquels menaceraient directement le port militaire russe de Sébastopol.

Le sort de l'île au serpent se jouera à nouveau lors de l'offensive russe sur Nikolaïev qui probablement interviendra avant la fin de l'année, mais en attendant, il reste prioritaire pour Moscou, en Mer Noire et sur les autres fronts du conflit de régler radicalement le problème de la cobelligérance occidentale (armements, mercenariat et renseignement) ...

Obusier de 155mm ukrainien sur camion "Bohdana" mis en service fin 2021 et utilisé
 pour le première fois en mai 2022 sur le front, comme ici en train de tirer sur l'île au
Serpent. Ce canon que beaucoup confondent aujourd'hui avec le Caesar français
également engagé dans le conflit est un exemple de la normalisation occidentale
des forces ukrainiennes. Portée 50 km, tirant des obus auto propulsés de 155mm 


En conclusion 

Si les forces russes ont effectivement subi un revers sans défaite sur l'île au serpent et qui a été amplifié par l'incompétence de leur propagande à l'expliquer simplement, l'annonçant trop tardivement et dans une contradiction définissant hier le lieu comme stratégiquement vital et aujourd'hui comme insignifiant, je suis convaincu que ce navire naturel au large d'Odessa fera à nouveau parler de lui dans quelques mois, lorsque la bataille d'Odessa commencera.

Les forces ukrainiennes de leur côté, dont la propagande a oublié qu' "à vaincre sans péril on triomphe sans gloire" n'ont finalement reconquis pour le moment qu'un mythe propagandiste qu'il va leur falloir reconstruire et surtout défendre au prix cher s'il ne veulent pas l'abandonner à leur tour.

Mais ce nouvel épisode, même s'il est sans conséquence importante sur le cours des opérations, montre bien par les sensibilités et les susceptibilités qu'il provoque l'enjeu majeur d'Odessa dans ce conflit russo-atalantiste et dont l'île au serpent est la sentinelle maritime.

A suivre...

Erwan Castel



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