Théologie politique contre Politique théologique
En introduction à ce nouvel article s'appuyant sur l'actuelle crise majeure qui secoue le Levant, je partage ces images de la foule iranienne venue accueillir la dépouille de Qassem Soleimani, un héros pourfendeur du terrorisme salafiste élevé au rang de martyr par la stupidité criminelle occidentale qui par son acte irresponsable a non seulement précipité le Moyen Orient au bord d'un conflit majeur mais aussi renforcé l'union patriotique des iraniens que les USA cherchent à soumettre à la dictature de leur marchandise.
Si mon observation engagée de cette crise me fait soutenir sans hésitation la République islamiste d'Iran résistant à un impérialisme étasunien cherchant à dominer par le chaos de ses terroristes salafistes le Moyen Orient, il n'en demeure pas moins que le modèle proposé par la théocratie chiite "n'est pas ma tasse de thé", loin s'en faut. Mais il faut savoir "faire contre mauvaise fortune, bon coeur" surtout quand l'esclavage de la marchandise occidentale menace 5000 années de civilisation perse.
Mais sur les réseaux sociaux en revanche j'observe que les commentaires se radicalisent dans un dogmatisme aveugle et simpliste et quasi eschatologique, en même temps que les tensions sur le terrain levantin précipitent Washington et Téhéran dans une spirale complexe de violences verbales et d'actions armées sans fin.
Car depuis de nombreuses années nous observons le retour en force d'un discours manichéen et dogmatique dans les conflits qui opposent les blocs à travers le monde, qu'ils soient politiques, économiques, religieux, ou militaires, et nombre d'analystes évoquent le retour d'une théologie politique occidentale, héritière des rapports complexes du Politique et du Religieux dans l'Histoire des pouvoirs. L'influence en Amérique du Sud des évangélistes dans les discours violents des nouveaux pouvoirs brésilien ou bolivien est à ce titre significatif.
Et dans l'exacerbation de la crise qui oppose aujourd'hui l'Iran aux Etats Unis, en dehors des enjeux géopolitiques et des menaces politico-militaires qui se jouent au Moyen Orient, on voit revenir également en force un dogmatisme idéologique qui du côté américain donne une dimension religieuse chrétienne à une politique occidentale et du côté iranien une dimension politique à une théologie musulmane. Et ici, cette dualité entre le pouvoir du Prince et celui du Clerc (qui donna la querelle des investitures entre guelfes et gibelins par exemple) va ici s'estomper dans une nouvelle fusion recherchée des sacralités temporelles et spirituelles de chacun donnant naissance à un discours dogmatique absolutiste, articulé autour d'une vision bipolaire du Monde et de ses crises multiples.
Et lorsqu'on observe sur les réseaux sociaux les réactions ou les commentaires qui fusent autour de cette nouvelle crise entre Téhéran et Washington, on y constate effectivement chez nombre de leurs auteurs un fanatisme manichéen issu d'un dogmatisme politico-religieux simpliste et qui rend difficile un dialogue constructif et impossible un quelconque compromis avec un adversaire systématiquement diabolisé.
Et dans cet affrontement qui oppose les USA à l'Iran se retrouvent aussi face à face, du côté de l'hégémonie occidentale, l'héritage d'un universalisme chrétien apatride imposé à tous les peuples, et du côté de la théocratie chiite, l'héritage des castes religieuses perses dominant la cité.
C'est ainsi qu’apparaît à nouveau depuis quelques jours une théologie de la guerre destinée dans chaque camp à légitimer le combat à venir en sacralisant la cause défendue mais aussi, dans l'affrontement de pensées uniques, de diaboliser l'adversaire...
Voici 2 exemples récents dans cette crise levantine ou le religieux fusionne avec le politique en Iran et aux USA :
De mémoire d'homme, c'est la 1ère fois dans l'histoire de l'Iran
que le drapeau rouge, qui symbolise la guerre à venir, est hissé
au sommet de la mosquée Jamkaran, une des plus importantes du pays.
Si on peut arguer de la légitimité territoriale, historique et religieuse d'une défense iranienne organisée autour des piliers de la foi religieuse chiite et du sentiment patriotique perse, en revanche il est difficile de justifier dans cette région du Moyen Orient l'hégémonie occidentale anglo-étasunienne autrement que par des motivations bassement mercantiles qu'elle tente de masquer maladroitement derrière les masques hypocrites des dogmes droitdelhommistes et démocratiques.
Trump, qui révèle ici, dans une logique augustinienne parfaite, l'instrumentalisation d'un puritanisme évangélique au profit d'un expansionnisme militaro-industriel renouant avec l'esprit des croisades où, comme il l'a clairement défini dans un tweet récent menaçant de détruire la culture iranienne, l'ennemi n'est pas un adversaire à battre militairement avec qui reconstruire après guerre de nouvelles relations, mais un "Satan" à éradiquer physiquement de la surface de la Terre !
Au lendemain de l'assassinat de Soleimani qu'il a ordonné, Trump effectue
son premier meeting de campagne présidentielle auprès d'évangélistes dans
une grand messe politico-religieuse fusionne sur fond de croisade contre l'Iran
Ce faisant, le chef de la démocratie la plus puissante fait entrer l'analyse politique dans le domaine de la croyance dogmatique. Or si la première est susceptible de s'ouvrir à la critique, donc au dialogue avec l'adversaire et à des compromis diplomatiques, la seconde relève de la conviction subjective et définitive qui n'acceptera que l'écrasement de l'adversaire ou tout au plus sa capitulation humiliante.
Cette réalité politico-psychologique quasi théologique rend impossible la réussite d'une sortie de crise diplomatique qui pour réussir doit offrir aux 2 protagonistes malgré des concessions mutuelles la possibilité de garder la tête haute vis à vis de leur peuple.
Il n'y a pas de hasard !
Je pense qu'il est intéressant pour mieux comprendre l'escalade paroxysmique actuelle vécue entre Téhéran et Washington de la mettre en perspective avec 2 événements majeurs, l'un passé et l'autre à venir :
- Fin novembre 2019, un nouveau et très important gisement de pétrole de 22 milliards de barils est découvert dans la province iranienne de Khouzistan, dans le Sud Ouest du pays qui en renfermait déjà 31 milliards sur d'autres sites connus. Dans le contexte de la crise des matières premières qui guette les pays industrialisés et l'échec d'un blocus économique total de l'Iran par les occidentaux, il est évident qu'abattre un régime qui refuse de se soumettre au Nouvel Ordre Mondial, qui plus est allié de la Syrie et de la Russe, et prendre le contrôle de cette manne pétrolière serait un immense coup double pour la ploutocratie mondialiste, et qui vaut certainement aux yeux des faucons de guerre étasunienne quelques centaines de milliers de morts iraniens.
Souvenons-nous de Madeleine Albright qui assume la mort
de 500 000 enfants irakiens pendant l'embargo et la guerre
contre l'Irak en déclarant cyniquement "cela en valait la peine !"
Car derrière les beaux discours droitdel'hommistes agités au dessus des croisades occidentales menées à travers le Monde il y a la réalité des prédations par leur complexe militaro-industriel des ressources énergétiques mondiales. Et dans ce Levant, réserve mondiale majeure de pétrole et de gaz, les rivalités politico-industrielles pour le contrôle des matières premières dégénèrent souvent en guerres, révolutions armées, campagnes terroristes organisées par les occidentaux pour le contrôle des gisements et routes énergétiques encore nombreux n'étant pas dans leur zone d'influence.
Ainsi par exemple de ce conflit en Syrie où les démocraties occidentales vont, "pour instaurer droits de l'Homme et démocratie", vont soutenir le pire terrorisme international, celui des salafistes fanatiques adeptes de la charia islamiste.
Or, ce conflit a été déclenché en 2011 juste 3 semaines après que le président Bachar El Assad ait choisi le projet de pipeline iranien (plutot que celui proposé par le Qatar) pour faire transiter les très importants gisements de gaz découverts dans le Golfe Persique en 2010.
Il n'y a pas de hasard mais beaucoup de mensonges !
- Ce début d'année 2020 voit le lancement de la campagne présidentielle étasunienne où Trump brigue un second mandat. Or, le patron de la Maison Blanche se trouve de plus en plus attaqué et contesté dans ses fonctions présidentielles comme en témoigne la procédure de destitution lancée contre lui par les démocrates ces prochains jours. Dans ce contexte politique tendu, Donald Trump recherche une union nationale autour de son commandement et qui soit supérieure aux clivages politiciens. Et pour cela rien de tel qu'une bonne guerre...
Cette opinion est avouée par Trump lui- même en 2011 lorsque, à la veille des élections présidentielles américaines, il soupçonnait Barak Obama de vouloir rétablir sa popularité électorale en voulant déclencher une guerre.... avec l'Iran !
Voilà donc en réalité, loin de la noblesse des valeurs agitées devant les médias, les vraies motivations financières et électoralistes qui ont poussé Trump à provoquer cette dangereuse escalade avec l'Iran. Il y a certainement comme dans tout coup de poker une grande part de bluff dans le jeu de ce cow-boy américain, sauf que cette fois, avec l'élimination physique d'un dignitaire du régime et homme iranien extrêmement populaire, l'ingérable Donald est allé trop loin et l'Iran risque d'être tenté de le prendre à son propre jeu tant les cartes dont il dispose sont faibles face un un embrasement général du Moyen Orient qu'une guerre contre l'Iran ne manquerait pas de déclencher.
Il serait temps que les adversaires laissent aux vestiaires leurs théologies politiques et leurs politiques théologiques pour retrouver le bon sens d'un pragmatisme politique basé sur des concessions et le respect réciproque des souverainetés identitaires de chacun.
Je pense que si l'Iran, qui a su conserver le flegme d'une diplomatie perse puissante, est prêt à s'engager sur le chemin de la diplomatie et de la paix, il n'en est pas de même pour l'arrogante thalassocratie anglo-américaine qui a trop d'intérêts vitaux dans cette région éloignée de sa zone d'influence naturelle même si elle n'a aucune légitimité à s'y imposer, idéologiquement, économiquement et militairement !
"Qui vivra verra !"