La noblesse des peuples


Dans plusieurs articles précédents j'ai eu l'occasion d'évoquer ce "sens commun" dont parle Georges Orwell dans ses livres (common decency) et qui provoque instinctivement dans les moments critiques de leur Histoire une expression, voire une réaction homogène des peuples et qui dépasse les crispations communautaires ou politiciennes clivantes qui agitent habituellement les sociétés humaines.

Et l'auteur de "1984" ou du "quai de Wigan" n'est pas le seul à nous rappeler que les peuples ont une existence identitaire réelle qui traverse intacte les époques historiques et politiques des nations, et les convulsions actuelles de notre monde post-moderne révèlent tous les jours et partout dans le Monde cette réalité identitaire des peuples contre laquelle les politiciens, qu'ils tentent de la détruire ou de la récupérer, ne peuvent rien faire, Aujourd'hui les peuples du Monde sont à nouveau dans leurs rues pour contester les trahisons politiques, les nouvelles dictatures, les manipulations géopolitiques dont ils sont les victimes quotidiennes: Chiites du Levant, Serbes du Kosovo, Amérindiens de Bolivie, Russes d'Ukraine, Palestiniens d'Israël, Écossais de Grande Bretagne, Catalans d'Espagne sont à l'avant garde d'une résistance des communautés de l'Etre contre les sociétés de l'Avoir qui veulent imposer via des hégémonies politiques, économiques, médiatiques, militaires ou culturelles une pensée unique, mondialiste et esclavagiste.

D'Aristote qui nous rappelle l'homogénéité identitaire des cités comme base de la santé sociétale à Alexandre Douguine qui considère les peuples comme l'objet d'un nouveau paradigme après les effondrements achevés ou en cours des socialismes, fascismes ou libéralismes, dont les détournements politiques de leurs éthiques originelles ont soumis les nations aux intérêts particuliers de communautés élitistes qu'elles soient politiques, ethniques ou financières. 

Après ceux des Clercs et des Princes, l'absolutisme des Marchands se heurte aujourd'hui à la rébellion des peuples qui contestent une ploutocratie mondialiste dominatrice qui méprise leur existence identitaire naturelle dans la continuité pluriséculaire d'un individualisme nominaliste, qui atomise les sociétés naturelles pour ne voir dans les hommes que des croyants "fidèles", des obéissants "sujets" ou des compulsifs "consommateurs", Tel un virus se métamorphosant et infectant les corps porteurs, une pensée unique esclavagiste tente depuis des millénaires de soumettre les peuples à ses totalitarismes historiques depuis les théologies politiques des monothéismes jusqu'aux politiques théologiques libérales toutes fondées sur un cosmopolitisme et un individualisme dogmatiques.



Sans tomber dans un manichéisme simpliste qui considérerait à opposer systématiquement le peuple à l'Etat, force est de constater que ce dernier est tenté d'imposer des contraintes plus ou moins légitimes aux revendications populaires, mais aussi des carcans lorsque le pouvoir politique, par intérêt unilatéral élitiste (ploutocratie, ethnocentrisme etc...) ou domination étrangère exercée (colonialisme par exemple) ou subie (allégeance à un pays étranger) ne représente pas le(s) peuple(s) qu'il prétend gouverner. Dès lors, la contestation populaire si le pouvoir la méprise peut grandir et déboucher sur des expressions radicales dont les grèves générales, les révolutions, les guerres civiles ou de décolonisation sont les exemples les plus courants. . 

Mais paradoxalement c'est précisément lorsqu'elle éclate, qu'une révolte populaire est la plus faible et en danger car à la recherche vitale et urgente d'une structure organisationnelle, idéologique, logistique et sociale. Et c'est ainsi nous observons ainsi les instrumentalisations, récupérations ou détournements des révolutions au profit d'intérêts et de personnes étrangères à la contestation, voire au pays mais qui veulent "tirer les marrons du feu". Ainsi des détournements bourgeois de la Révolution française, bolchevique de la révolution russe, mondialiste des révolutions arabes etc. qui voient les peuples non seulement se faire voler leurs dynamiques contestataires mais souvent par des groupes dont les idéaux et intérêts leurs sont étrangers, voire ennemis (ainsi pour exemple français la "révolution de mai 68" dont les détournements libéraux mondialistes font oublier qu'elle commença par une gréve générale populaire et une contestation des corps sociaux intermédiaires contre l'absolutisme de l'Etat-nation français).

Il y a cependant des révolutions authentiques qui triomphent de la tyrannie des clercs des princes ou des marchands et parfois même de ces fausses révolutions populaires que j'évoquais à l'instant, et le Donbass en est une illustration éclatante et surtout prometteuse, car le rugissement du peuple du Donbass est non seulement une voix de plus dans le réveil des peuples d'Europe mais surtout il est un phare pour leur éclairer le chemin à suivre.


La contestation populaire contre le gouvernement Ianoukovitch était certainement fondée à bien des égards mais si elle dérape en coup d'état sanglant en février 2014, c'est surtout parce que les occidentaux en avait pris la barre fin 2013, suite à l'abandon du projet d'accord économique privilégié prévu avec l'UE, et à la remorque duquel avaient embarqué les ambitions de l'OTAN en Europe sur fond de russophobie étasunienne belliciste.

Dès lors le chaos s'est installé dans une Ukraine prise en otage par les nationalistes bandéristes devenus, comme les salafistes en Syrie, les auxiliaires contre nature d'un impérialisme anglo-américains mondialiste qui espère, tel un vautour cupide et affamé, que son complexe militaro-industriel en occupera les ruines. 
Sauf que en 2014, la pensée unique mondialiste qui débarque en Ukraine va se heurter à la résistance des peuples russes qui bordent la Mer Noire et refusent ce coup d'état pro-occidental avec d'autant plus de véhémence qu'il a libéré contre eux une hystérie russophobe et meurtrière. Tout d'abord la population de Crimée qui va réaliser, dès le mois de mars 2014, son retour référendaire vers la Russie (97 %), profitant de son statut législatif (autonomie renforcée), de la présence protectrice de l'armée russe (Sébastopol), et aussi de l'effet de surprise comme du chaos politique à Kiev.

Puis c'est au tour du Donbass qui, devant le déclenchement contre sa population d'une "Opération Spéciale Antiterroriste" disproportionnée et meurtrière, va radicaliser sa contestation anti-maïdan en rébellion séparatiste armée qui donnera naissance par référendum aux Républiques Populaires de Donetsk et Lugansk et à cette guerre défensive qu'elles mènent contre Kiev depuis 6 ans.



Car la vraie révolution populaire réalisée en Ukraine et même en Europe depuis longtemps est celle que vit le Donbass depuis ces 6 années de résistance contre la dictature de la marchandise qu'à l'image des gouvernements occidentaux dominants, le nouveau régime de Kiev s'est suicidairement aliéné. En 2014, le Donbass s'est levé comme un seul Homme face à la haine ukrainienne et ses blindés et avions de combat, réunissant sur les barricades aux portes de leurs cités des ouvriers, cadres, soldats, enseignants, commerçants..., des communistes, nationalistes, impériaux, anarchistes, eurasistes..., des orthodoxes,  musulman. juifs, athées ou païens... Tout ce peuple uni dans ses diversités défend jusqu'au sacrifice depuis 6 longues années de révolte et de guerre, une terre, ses traditions et sa Liberté. Et des milliers de volontaires extérieurs partageant avec ceux du Donbass ce "sens commun, que l'on peut regarder comme le génie de l'humanité, doit être considéré avant tout dans ses manifestations" (Goethe) sont venus se battre sur ce front qui constitue aujourd'hui l'avant poste brûlant d'un Monde russe assiégé par l'hégémonie destructrice de la marchandise.

On pourrait débattre sans fin sur les circonvolutions historiques et politiques de cette crise et cette nouvelle guerre européenne qui fait rage aux confins de l'Eurasie et de l'Occident, mais le fait est que s'impose au Monde, la résistance opiniâtre d'un petit Donbass, qui brise les carcans géopolitiques de l'Histoire par sa volonté souveraine et légitime de faire valoir le droit d'un peuple à disposer de lui même. En défendant jour après nuit sa terre, son histoire et sa culture et tout en élevant progressivement des républiques populaires structurées, les populations du Donbass ont prouvé leurs capacités morales, politiques et sociales à devenir une nation dotée .d'Etats souverains légitimes car représentatifs de leurs identités réelles et de leurs rêves.

Les parangons de la pensée unique ont toujours méprisé ces peuples qui sont toujours les gardiens de ce sens commun refusant les esclavages religieux, politiques, économiques ou culturels. Et ce sens commun populaire a même cette capacité de résister aux tentatives de conditionnement dogmatique et d'individualisation de la pensée, menés successivement depuis des millénaires par les dogmatismes de l'universalisme religieux, le cosmopolitisme philosophique ou du mondialisme économique actuel. Peut-être, et le le crois, que ce "sens commun" défendu par Orwell est indestructible car faisant partie de cet "inconscient collectif" décrit par Carl Jüng et qui fait descendre au coude à coude dans les rues du Monde toutes les diversités des peuples, des révoltés chiliens aux gilets jaunes français.

Vivant dans le Donbass depuis 5 années, je peux témoigner des valeurs humaines et civilisationnelles qui sont ici naturellement à l'oeuvre au sein de cette population en guerre pour défendre son identité russe et son projet républicain: amour de la terre natale et de son histoire, fraternité humaine, maintien des traditions ancestrales et orales, fierté culturelle, foi religieuse, respect des autres, compassion envers les souffrances humaines et animales, politesse, galanterie etc. Ces valeurs transmises et défendues par les gens du peuple sont autant de qualités qui, dans les tempêtes assumées de l'Histoire, donnent à cette population pacifique (mais non pacifiste) une capacité de résilience exceptionnelle et une force identitaire indestructible. 


Bal de l'école nationale des cadets 
de la République Populaire de Donetsk
ce 25 janvier 2020.

Et pourtant ces gens du Donbass restent des humains avec leurs joies et peines, leurs colères et espérances, leurs peurs et courages mélangés, à l'image de ces voisins d'Okyabrsky, le quartier bombardé du Nord de Donetsk, qui pendant les tirs ukrainiens se réfugient dans la cave de leur maison en tremblant et priant mais autour d'une soupe traditionnelle ou d'une vodka qu'ils partagent en souriant avec des amis. 

Depuis que les dogmes ont remplacé les mythes l'Occident aujourd'hui moribond menace d'entraîner dans une décadence organisée la chute d'une Europe civilisationnelle. Et la majorité des européens, quand ils ne sont pas aveuglés par une ignorance culturelle et historique abyssale se vautrent, soit dans des crispations communautaristes désuètes, stériles, soit dans une indifférence égocentrique et cupide ou dans cette servitude volontaire dénoncée il y a 5 siècles par La Boétie. 

Ainsi, en conservant cette vision manichéenne des faits et des idées inoculée dans les inconscients par 2000 années de monothéisme paulinien, et surtout en enfermant les problématiques sociétales dans une dimension horizontale d'affrontements gauche/droite désuets, le simplisme de la critique s'opposant à la destruction mondialiste fait en réalité de ses adeptes les idiots utiles d'une grande bourgeoisie que beaucoup prétendent pourtant combattre. En effet les excités du bulbe du type Zemmour et leurs colleurs d'affiche, servent par les clivages sociétaux qu'ils provoquent le vrai chaos actuel qui s'inscrit en vérité dans la verticalité de rapports conflictuels imposés par le totalitarisme moderne du marché. Il suffit, pour s'en convaincre de se demander simplement pourquoi ces prétendus "anti-système" sont présents sur tous les médias subventionnés par la ploutocratie organisatrice du chaos ambiant si ce n'est pour jeter l'huile de leurs discours haineux sur le feu sur la maison déjà en feu.

Or la gouvernance n'appartient pas plus aux élites bourgeoises ou embourgeoisées - telle la monarchie française surtout à partir de Louis XIV - que l'identité d'un pays s'identifie à une seule de ses communautés ethniques, religieuses, que l'opinion publique soit le privilège d'une seule caste médiatique ou encore que l'appareil d'Etat devienne le pré carré et l'instrument d'un seul parti politique... 



Je pense que ce qui fait la noblesse d'une nation est de définir son identité par delà ses communautés constituantes respectées, comme les peuples de Russie par exemple qui se reconnaissent unis dans leur immense diversité humaine. De même, la popularité d'une noblesse tient à ce cette dernière se sacrifie pour la défense de ses peuples et qu'elle reste ouverte à eux pour ne pas dégénérer. Ainsi à l'exemple de la chevalerie médiévale (survivance de l'aristocratie antique) peuple et noblesse fusionnent dans une même sans jamais se confondre.

Dans le Donbass, loin des pouvoirs "hors sol" occidentaux et leurs gouvernements aux dérives totalitaires méprisant leurs peuples, nous disposons à Donetsk et Lugansk de gouvernements républicains qui malgré leur pouvoirs forts imposés par la guerre et ses conséquences socio-économiques, n'en conservent pas moins cette qualité d'être réellement représentatifs de leurs citoyens. 
Chaque jour, pour ne parler que de Donetsk où je vis, les appareils de l'Etat défendent de leur mieux les droits, la sécurité et les libertés individuelles et collectives mais surtout, via les représentants du gouvernement et les élus du peuple, les syndicats et organisations populaires, les rassemblements publics divers, la gouvernance républicaine s'efforce d'être sincèrement à l'écoute des problèmes et inquiétudes autant que des ambitions et émotions collectives. Ainsi par exemple le mouvement "Notre choix : Russie" initiée au cours de l'été 2019 par une réaction populaire aux accords de Minsk qui laissent entendre une nouvelle préemption du Donbass par l'Ukraine et auquel le gouvernement s'est rallié.

Pour conclure, je citerai le philosophe et historien des idées Alain de Benoist, car ce qu'il souligne ici est à l'oeuvre dans le Donbass au sein de Républiques qui s'avèrent réellement populaires dans l'esprit respecté de vraies "demos kratos" et non dans la forme superficielle et éphémère trahie de fausses démocraties occidentales comme celle qui sévit aujourd'hui à Kiev.


Erwan Castel

« Ma conviction a toujours été que les valeurs aristocratiques et les valeurs populaires sont fondamentalement les mêmes ou se complètent naturellement, et qu’elles s’opposent les unes comme les autres frontalement aux valeurs bourgeoises. 

Par valeurs aristocratiques j’entends le sens de l’honneur, le courage, la fidélité à la parole donnée, l’exigence vis-à-vis de soi, le désintéressement, le sens du sacrifice et de la gratuité. 

Les valeurs populaires, elles aussi liées à la terre, les recoupent en grande partie, en y ajoutant ce que George Orwell a résumé d’une belle expression : la “décence commune” (common decency). »

Alain de Benoist, "Mémoire vive"

Posts les plus consultés de ce blog

Attentats à Lugansk !

Volontaire français sur le front

L' UR 83P "Urki" au combat