Vers une radicalisation des opérations militaires

Le 29 mars, des négociations se sont déroulées à Istambul entre la Russie et l'Ukraine ouvrant la porte aux spéculations ukro-atlantistes les plus fantaisistes certaines annonçant déjà un retrait des forces russes des secteurs de Kiev et Kharkov par exemple.

Si bien sûr il faut saluer tout dialogue œuvrant sur le chemin de la paix, il convient de raison garder, car les deux acteurs du conflit restent campés pour le moment sur leurs positions: garanties de sécurité collective et reconnaissance de la Crimée et du Donbass pour la Russie, intégrité territoriale et alliances occidentales pour l'Ukraine même si Zelensky a admis réfléchir à une neutralité militaire du pays.

orientation des opérations militaires

Sachant que dans la majorité des négociations autour des conflits précédents les frontières qui y sont définies sont souvent les lignes de démarcation du moment, les combats du Donbass risquent de devenir cruciaux au cours des prochaines semaines, chacun cherchant à apporter sur la table de ses diplomates les atouts de ses victoires militaires. 

Confirmant cette impression, l'Etat major russe a annoncé porter désormais ses efforts dans la libération des territoires des Républiques de Donetsk et Lugansk encore occupés par les forces ukrainiennes, et de son côté on voit bien que Kiev a donné l'ordre à son corps de bataille du Donbass de se battre jusqu'à la dernière goutte de sang comme à Marioupol par exemple.

  • "Il y aura des batailles féroces la semaine prochaine dans la zone JFO (dans le Donbass) et elles détermineront le cours du processus de négociation", à déclaré ce 30 mars Arestovich, un conseiller du bureau du président ukrainien.

Aujourd'hui, alors que la bataille de Marioupol s'achevant est actée par une victoire russo-républicaine, de nouvelles batailles décisives sont en cours autour de Donetsk et au Nord de Kramatorsk, secteurs décisifs entre lesquels s'échelonne aujourd'hui le gros des forces ukrainiennes dans le Donbass.

Mais pour le lecteur, il ne faut pas imaginer pour autant que les opérations militaires russes vont se rétracter vers le Donbass, car non seulement elles ne renoncent pas à leurs objectifs en Ukraine, mais continuent au contraire leurs bombardements intenses des forces ukrainiennes et s'imposent une pause opérationnelle pour réaliser des relèves d'unités, poursuivre la sécurisation des zones conquises  et même renforcer leur dispositif comme par exemple devant Nikolaïev (à l'Ouest de Kherson).

Bombardement russe par Lance Roquettes Multiples
de postions militaires ukrainiennes sur le front de Kiev
dans la nuit du 29 au 30 mars 2022.
Bombardier ukrainien Sukhoï 24 abattu dans
le secteur de Rivne (Ouest du Dniepr).

Malgré cela, il est cependant évident que l'Etat Major russe, tout en gardant une nette supériorité stratégique est confronté à une résistance ukrainienne plus forte que prévue. Dire le contraire relève de cette malhonnêteté et cette stupidité qui sont les 2 carburants des courtisans et des larbins propagandistes. Les principaux problèmes que j'observe du côté russe, mais qui sont loin d'être insurmontables sont :
  • Une résistance des unités ukrainiennes et Marioupol en est un exemple, illustrant à la fois de bonnes préparation, résistance, combativité et tactiques, 
  • Une résistance du pouvoir ukrainien qui bénéficie d'un soutien occidental exacerbé et d'une propagande de guerre très efficace (contrairement à celle des russes),
  • Des voies d'approvisionnement longues et fragilisées par le contrôle ukrainien de grands carrefours routiers et ferroviaires (Kharkov, Nikolaïev...) résistant à leurs encerclements,
  • Une immobilisation d'effectifs de combat importants autour des villes encerclées de plus en plus nombreuses,
  • Un manque d'effectif pour sécuriser les zones contrôlées mais où opèrent toujours des groupes de diversion et sabotage ukrainiens,
  • Un manque de couverture aérienne permanente, rapide et sécurisée à l'Ouest du Dniepr pour frapper systématiquement les convois apportant les aides de l'OTAN vers le front,
Moscou, qui évidemment ne peut abandonner ses objectifs dont les enjeux sont existentiels pas plus que "perdre la face", ce qui ne ferait que renforcer le nationalisme atlantiste ukrainien, n'a donc pas d'autre choix que "de mettre les bouchées doubles" en s'adaptant aux difficultés rencontrées et en se donnant des priorités qui créditent son "Opération Z" de victoires autant militaires que politiques et surtout à court terme, car le temps ici joue contre la Russie.

Et je pense que plus la Russie tardera a mettre en œuvre des moyens radicaux et massifs pour détruire les forces ukrainiennes et quels que soient les dommages collatéraux, plus ces dernières renforceront leurs moyens via les perfusions occidentales, leurs cartes diplomatiques et mettront en danger les objectifs initiaux des opérations militaires. Il manque selon moi au moins 300 000 combattants du côté russe et surtout une stratégie de destruction plus globale des infrastructures logistiques et de commandement ukrainiens.

C'est certainement dans cet esprit que l'Etat major russe à décidé de se concentrer sur le Donbass, car la destruction totale du corps de défense ukrainien du Donbass priverait Kiev de sa principale force offensive encore opérationnelle et pourrait même l'amener à capituler ou au moins accepter sans conditions les principes de sécurité collective demandés par Moscou. A condition que les forces armées russes détruisent totalement les réseaux logistiques et de renseignement de l'OTAN dans l'Ouest ukrainien...


Dans le Donbass, le terrorisme ukrainien continue


Du côté ukrainien, et malgré des pertes importantes infligées depuis 3 semaines par les appuis feu russes, on observe une augmentation sensible des bombardements ukrainiens, y compris sur les zones résidentielles qui sont soumises à des destructions quotidiennes meurtrières jusqu'au coeur des cités. 

Dans des quartiers résidentiels où il n'y a ni combats, ni positions militaires, les forces ukrainiennes continuent d'appliquer des bombardements à l'arme lourde et de plus en plus souvent au moment des pics des activités socio-économiques.

30 mars 2022 au matin, un violent bombardement de
l'artillerie lourde ukrainienne frappe des résidences du 
microdistrict de "Textile", au Nord- Ouest de Donetsk.
A11h, le bilan provisoire faisait déjà état de 2 civils tués, 
de 4 autres blessés graves et plusieurs disparus .
Le bombardement ukrainien a été réalisé avec des
obusiers lourds de 122mm positionnés à Peski, 
touchant de plein fouet le toit d'un immeuble.

Pour avoir une petite idée de l'intensité des bombardements ukrainiens sur Donetsk et juste pour cette matinée du 30 mars dont voici leur chronologie:
  • 06h30, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Kirosky depuis les positions de Peski..10 obus de 122mm tirés.
  • 08h05, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..4 obus de 122mm tirés.
  • 08h15, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..8 obus de 122mm tirés.
  • 08h29, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..6 obus de 122mm tirés.
  • 09h12, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..5 obus de 122mm tirés.
  • 09h27, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Georgievka..9 obus de 152mm tirés.
  • 09h37, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le village d'Aleksandrovka depuis les positions de Novomikhaïlovvka..5 obus de 122mm tirés.
  • 09h37, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le village de Trudovsky depuis les positions de Novomikhaïlovka..5 obus de 122mm tirés.
  • 09h45, bombardement au Lance Roquettes Multiple de 122mm " Grad" sur le district de Kirovsky depuis les positions de Georgievka..20 roquettes de 122mm tirés.
  • 10h14, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Kirosky depuis les positions de Krasnogorovka..6 obus de 122mm tirés.
  • 10h18, bombardement ukrainien au Lance Roquettes Multiple de 122mm " Grad" sur le district de Petrovskky depuis les positions de Peski..15 roquettes de 122mm tirées.
  • 10h20, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..6 obus de 122mm tirés.
  • 10h35, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..8 obus de 122mm tirés.
  • 11h02, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..2 obus de 122mm tirés.
  • 11h43, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Yasinovataya depuis les positions de Avdeevka..5 obus de 122mm tirés.
  • 12h02, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Staromikhaïlovka depuis les positions de Krasnogorovka..8 obus de 122mm tirés.
  • 12h45, bombardement ukrainien à l'obusier lourd sur le district de Petrovsky depuis les positions de Krasnogorovka..6 obus de 122mm tirés.
Soit sur le secteur de Donetsk pour cette matinée du 30 mars,
84 obus de 122mm, 9 obus de 152mm et 35 roquettes de 122mm !

Pour répondre aux personnes qui souvent me partage leur incompréhension de voir de l'artillerie ukrainienne toujours opérationnelle après plus d'un mois de bombardements russes, je leur réponds sur 2 points :
  • Les unités d'artillerie pour prévenir leur détection et les ripostes qu'elle déclenche opèrent dispersées sur des positions de tirs éphémères d'où elles ne tirent qu'une dizaine d'obus maximum avant de disparaître dans la nature, des hangars etc d'où elles rejoignent ensuite de nouvelles positions de tir.
  • Même lorsqu'elles sont géolocalisées en action, la plupart des batteries d'artillerie ukrainiennes s'avèrent être disposées au milieu de zones résidentielles ou sites industriels dangereux que les unités ukrainiennes utilisent comme bouclier dissuadant les tirs de contre-batterie éventuels.
Cela dit, les ressources de renseignement militaire russe ainsi que leur capacité de réaliser des frappes "chirurgicales" réussissent à appliquer des ripostes, et en milieu d'après midi la réponse aérienne russe continuait à faire trembler la ligne de front au Nord et à l'Ouest de Donetsk, tandis que l'artillerie entrait à son tour dans des tirs de contre batterie sur les points de tir ukrainiens identifiés. 

2 chasseurs bombardiers russes Sukhoï 25 
passant au dessus de Donetsk pour livrer 
leurs "cadeaux" aux positions ukrainiennes

Kiev va vouloir contrebalancer sa défaite de Marioupol

A mon humble avis, l'Etat Major russe va essayer de prolonger la libération de Marioupol en brisant le plus vite possible dans le Donbass le dernier corps de bataille ukrainien encore réellement dangereux, car ailleurs les forces ukrainiennes dont les ressources logistiques et offensives ont été majoritairement détruites depuis un mois peuvent difficilement sortir de leurs refuges urbains (mais, contrairement aux fantasmes des propagandistes pro-russes, ce n'est pas impossible). 

En revanche, dans le Donbass et bien qu'entamées par les bombardements et les combats, les forces ukrainiennes de l' "Opération des Forces Conjointes", qui ne l'oublions était forte de 150 000 hommes environ début février et composées des meilleures unités d'assaut de Kiev, disposent encore d'une forte capacité offensive et pourraient par conséquent tenter une opération de force pour contrebalancer la perte de Marioupol et défier une armée russe qui vient d'annoncer vouloir "mettre le paquet" dans le Donbass. 

Une fois encore je ne pense pas que l'Etat Major ukrainien tente un coup de force en terrain libre car les forces russes, via leur aviation, artillerie et blindés, y disposent d'une trop grande supériorité numérique et technologique. 

En revanche la tentation d'une revanche urbaine est envisageable sur une ville moyenne comme Gorlovka par exemple ou pourquoi pas en essayant de reprendre en périphérie du Donbass, Izioum au Nord qui est la base arrière des offensives sur le secteur de Kramatorsk ou Kherson à l'Ouest qui est le pivot des opérations militaires russes sur le front Sud. Pour de telles opérations, dont le but serait d'obtenir un succès compensatoire militaro-politique, l'armée ukrainienne serait obligé d'y jeter toutes ses dernières capacités offensives. 

Mais si Kiev veut récupérer quelques cartes en main sur la table des négociations, il n'y a guère d'autre choix que de se lancer dans une offensive risquée mais encore possible avant que n'explosent les derniers dépôts logistiques sous les bombardements russes.

Et ce soir, au moment de finir l'article, j'apprends que le district de Petrovsky au Sud-Ouest de Donetsk vient encore d'être la cible de l'artillerie ukrainienne qui vient de tirer sur ses  quartiers entre 18h05 et 18h15, 50 roquettes de 122mm  "Grad" de 122mm. 

"C'est quand un monstre se noie qu'il fait les plus grosses vagues !"

Erwan Castel


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