Bye bye Surkov !


Après avoir démissionné une première fois du gouvernement russe où il occupait le 3ème poste en temps que "Vice président chargé de la modernisation", Vladislav Surkov avait été remisé en septembre 2013 comme "Conseiller de la présidence de la Fédération de Russie pour les questions relatives à l'Abkhazie et à l'Ossétie du Sud", ces 2 républiques sécessionnistes pro-russes nées du conflit géorgien de 2008, puis stabilisées et reconnues par Moscou. Mais lorsque dans cette même région pontique, en réaction au séisme du Maïdan, les populations russes du Donbass se soulèvent et s'autoproclament à leur tour Républiques indépendantes, Surkov se voit confier également le dossier brûlant de cette région en guerre contre le nouveau régime de Kiev.

Mis en retrait de ses fonctions depuis 1 mois Surkov voit "sa" démission finalement confirmée par Poutine ce 18 février 2020.

Lorsque je suis arrivé en Russie puis dans le Donbass fin janvier 2015, des amis appartenant à cette première vague de l'opolcheny (milice) qui fonda courant 2014 la rébellion et les républiques du Donbass me décrivaient alors  Surkov comme un danger pour la Novorossiya, car son penchant libéral menaçait de trahir notre idéal au profit d'intérêts financiers oligarchiques. Par la suite je devais découvrir que cette opposition pro-occidentale russe surnommée"cinquième colonne" gravite atour d'une mouvance politique russe protéiforme et plus ou moins libérale qui tente un grand écart utopique et surtout suicidaire entre un patriotisme russe et un libéralisme économique. 
Et les méthodes des courtisans arrivistes gravitant autour de ce courant libéral économique russes comme les affairistes de la bande à Xavier Moreau par exemple montrent bien qu'il ne diffère en rien du néo libéralisme occidental dont il partage en cas de divergence la primauté des intérêts personnels sur le bien commun et les valeurs qui le protègent. Depuis 2015, l'expérience vécue dans le Donbass m'a confirmé que toute forme de libéralisme politique, économique, culturel qu'il soit "soft" ou "hard" conduit inexorablement tout système qui l'adopte tels des ruisseaux descendant la montagne des intérêts personnels vers le marais putride de la dictature de la marchandise asservissant les libertés des peuples.

Le départ de Surkov s'inscrit bien sûr dans le premier grand coup de balai opéré par Poutine lorsqu'il déclenche la démission du gouvernement Medvedev, cet autre néo libéral prêtant souvent un oreille complaisante aux chants des sirènes occidentales. Désormais le Kremlin affiche une ligne politique plus radicale face aux agressions croissantes du mondialisme, tout en réformant la constitution dans une vision encore plus démocratique. Et le maintien à leurs postes de combat des patriotes intègres tels Choigou (Défense) ou Lavrov (Diplomatie) est une preuve de ce renforcement antilibéral russe.

Vladislav Surkov est remplacé par Dmitry Kozak, au moment où plus personne ne doute que Zelensky ne diffère de Porochenko que dans une moindre consommation quotidienne d'alcool car, trahissant les promesses qui l'ont faire élire président de l'Ukraine, il n'est rien d'autre qu'une nouvelle marionnette kiévienne poursuivant servilement la même stratégie hégémonique occidentale dirigée contre la Russie et ses alliés. 

Cela ne veut pas dire pour autant que la Russie va changer radicalement son cap politique et que l'intégration du Donbass dans la Fédération va s'accélérer, mais je pense que Moscou renforce désormais son système immunitaire contre le virus libéral... 

comme tout bouclier qui protège le bras tenant la lance !

Erwan Castel

Voici le point de vue de Karine Bechet Golovko sur le personnage :

Lien de l'article : Russie Politics


Pourquoi le départ de Surkov 
ne va pas changer le cours de la politique en Russie


Volodine, Kirienko, Surkov, trois visions de la gouvernance
Karine Bechet Golovko

Le Président russe Vladimir Poutine a signé l'oukase mettant fin aux fonctions de conseiller présidentiel de Vladislav Surkov, le cardinal gris du Kremlin, peu après que celui-ci ait fait annoncer son départ. Il est vrai que son étoile ne brillait plus depuis quelque temps, son poids s'est fortement réduit avec les années et l'intérêt qu'il portait à la crise ukrainienne était très léger par rapport à l'époque glorieuse de la conception de la politique intérieure, aujourd'hui dévolue à Kirienko. L'époque du père de la "démocratie souveraine" est passée, à tel point qu'il serait plus juste de se demander non pas en quoi son départ va changer la politique russe, mais en quoi le changement de politique en Russie a logiquement conduit à son départ.

Vladislav Surkov est une personnalité complexe - tout comme son parcours. Il est né en 1964 dans la région de Lipetsk et a terminé l'Université des sciences et des technologies de Moscou (MISIS). Dans les années 80, il commence sa carrière en s'appuyant sur les oligarques.Tout d'abord Khodorkovsky, pour qui il travaille en dirigeant le département de publicité d'une de ses Fondations pour la jeunesse (1987), ensuite il passe dans le secteur financier - toujours avec Khodorkovsky - à Menatep (1991-1996), tout en se positionnant dans la publicité et la communication. Ces réseaux sont utiles, il devient alors à cette période consultant du Gouvernement russe (1992). Ensuite en 1997, il passe sous un autre oligarque important, Fridmann, pour en 1998 faire une furtive apparition dans les milieux de la télévision. Commence alors en 1999 sa carrière fulgurante à l'Administration présidentielle avec Poutine.

Son heure de gloire commence à cette époque. Il fait partie des idéologues qui ont mis en place le parti politique Edintsvo (L'Unité), en opposition à Primakov, une figure-clé de la lutte contre le néolibéralisme en Russie, dont manifestement l'alternative souverainiste et nationale ne devait pas alors prendre le dessus. Il en découlera ensuite Edinaya Rossiya - et le néolibéralisme que l'on connaît aujourd'hui.

Il fut un excellent policy maker : il a aidé à la mise en place de partis spoilers afin d'absorber le vote contestataire, le vote social ou souverainiste incompatible avec le cours choisi. Il a également participé à la mise en place d'une gestion de la société civile, sur le même modèle, avec par exemple  la création du mouvement de jeunes "Nachi" ("les nôtres"), affirmé de tendance patriotique. 

Cela lui était possible par son poste de gestion de la politique intérieure à l'Administration présidentielle, comme vice-président de l'Administration à partir de 1999. Pour autant, s'il est un excellent joueur, son approche post-moderniste et déconstructiviste l'a naturellement conduit à s'écarter de la réalité socio-politique du pays. Il est difficile de tenir une population éduquée pendant longtemps dans l'illusion. En 2011, un mouvement de rejet profond et sincère s'empare de la population, c'est Bolotnaya. Cette vague va emporter pour un temps Surkov, qui sera positivement remplacé par Volodine (aujourd'hui à la tête de la Douma). En revanche, le vide politique instauré, en partie grâce au jeu de Surkov, en partie avec l'échec des libéraux à incarner une alternative nationale (échec qui se répète inlassablement jusqu'à nos jours), permet au pouvoir de conduire des réformes salutaires, de rendre les élections propres, de calmer la population et de stabiliser la situation. Volodine cesse de jouer avec l'opposition et la situation se calme, s'assainit.

Après quelques mois, Surkov passe au Gouvernement (en décembre 2011), où il ne laisse pas de traces sensibles. En 2013, il quitte ses fonctions du Gouvernement, après une contestation ouverte. Il revient alors à l'Administration présidentielle, en charge de l'espace post-soviétique et de ses confits. Avec le conflit en Ukraine, il a repris de l'importance, mais n'a plus été en mesure d'influencer, comme aux années 2000, la politique intérieure. A ce poste, les conflits en cours sont gelés.

Certaines tentatives de retour ont été faites, notamment par des publications. Il proposait de passer de la théorie de la "démocratie souveraine" à une conceptualisation de la gouvernance de Poutine avec le "Poutinisme", mais sans grands résultats. Nous avions traité ici de certains de ses textes. Vous pouvez retrouver ses déclarations en 2017 sur l'hypocrisie vieillissante de la civilisation occidentale et en 2018 sur le destin de la Russie, qui est la solitude, mais pas l'isolement.

Avec son départ, beaucoup se demandent ce qui va changer. En fait, rien. Il est parti parce que la situation a changé. Et elle a radicalement changé avec l'arrivée de Kirienko à l'Administration présidentielle (2016), avant la dernière élection présidentielle de Poutine (voir notre analyse sur le sujet ici). Kirienko a radicalisé le cours néolibéral et du mode de gouvernance et sur le fond des politiques menées, s'appuyant certes sur les "acquis" laissés par Surkov. Mais la différence fondamentale entre les deux vient du rejet du politique par Kirienko (alors que Surkov est fondamentalement un joueur politique) et son orientation quasi-fanatique vers le management.

Dans cette configuration, Sourkov n'a pas/plus sa place. Il a apporté tout ce qu'il pouvait apporter. Le porte-parole du Kremlin, Peskov, l'a d'ailleurs délicatement et fermement enterré politiquement en disant de lui que c'est "quelqu'un de talent" et que le talent trouve toujours sa place quelque part ...

Quelque part ... Etant politique, mais postmoderniste, il est trop éloigné et des conservateurs, qui le voient comme une force destructrice, et des nouvelles forces néolibérales portant héroïquement le management, qui le voient comme trop conservateur. Il est trop ou pas assez, son temps est passé, mais la Russie repose sur ses acquis. Certains, ceux qui soutiennent le néolibéralisme, les apprécieront positivement, ceux qui auraient préféré une alternative étatiste à la Primakov les regretteront. Dans tous les cas, quelle que soit la manière dont on l'apprécie, c'est une figure importante qui sort. Peut-être une deuxième époque aussi qui s'en va de la Russie postsoviétique.

Karine Bechet Golovko

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