Dans le brouillard de l'an neuf
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Le brouillard qui enveloppe le front de silence et d'inconnue illustre bien la situation générale d'un monde vacillant vers la guerre par une tectonique géopolitique qui semble être devenue incontrôlable et folle.
Mon journal de guerre use les carnets les uns après les autres et le succès étonnamment agréable des extraits que je publie sur les réseaux sociaux, m'encourage à poursuivre l'expérience.
Lundi 1er janvier 2018
La nuit a laissé la place à un brouillard épais nimbant le paysage ravagé par la guerre d'une inconnue à la semblances de cette année 2018 qui semble vouloir s'enfoncer encore plus dans le chaos organisé.
En regardant les grains de cette terre noire du Donbass qui s'accrochent aux plis de la reliure de mon carnet, j'ai une pensée particulière pour mon père, disparu il y a 3 ans exactement et dont le souvenir, avec le temps, émerge encore plus à la surface de ma mémoire.
Vers où ces carnets voyageront-ils après la tourmente du Donbass ? Cela fait partie des questions qui sont ellrs aussi dans le brouillard d'un avenir inconnu.
Pour le moment, seul le présent compte et aspire toutes mes pensées et actions actives et réactives, heure après heure, exacerbé par des sens qui sur le front restent en éveil...
À mon poste lors de cette garde de jour très voilé, j'écoute entre les grifonnages de mon carnet et les observations périscopiques, les bruits qui traversent le brouillard et nous informent des activités ennemies ou de celles plus lointaines de la ville occupée de Avdeevka.
Bruit de tronçonneuse, de chenilles d'un blindé ukrop se déplaçant entre 2 positions, aboiements de chiens errant au milieu des ruines, ronronnement d'une usine ou centrale encore en fonctionnement...
Ce premier jour de l'année nous offre un brouillard épais que personnellement je navais jamais encore observé depuis que je suis déployé sur ce front de Promka. Au delà des 50 mètres, le paysage semble se diluer dans une ouate d'un blanc sale et opaque. Même la lumière peine à pénétrer ce monde fantasmagorique où les ruines au milieu desquelles nous nous battons, ressemblent encore plus à des fantômes.
En revanche, les sons y circulent avec aisance comme s'ils glissaient et rebondissaient sur cette matière pourtant impalpable. Et l'on entend distinctement les coups de pioches signalant l'avancée des tranchées des ukrops, leurs invectives et bordées d'injures lancées par dessus elles à notre encontre, nous les "séparatistes" "moskal" et mauvais "terroristes" qui ne léchons pas.... les bottes (restons polis) de l'Oncle Sam. Même les effluves d'une radio ukrainienne crachant à proximité nous parviennent au milieu de l'après midi.
Vers 16h30, une nuit, qu'il encourage à venir plus vite, se joint au brouillard et nous invite à plus de vigilance encore, la boue étouffant les pas et les silhouettes n'apparaissant qu'au dernier instant devant nos postes de tir...
L'humidité a remplacé temporairement le froid hivernal, et la glèbe du Donbass recommence à alourdir les pas des hommes, tandis que le silence lui, alourdi ce brouillard qui ne cesse d'épaissir malgré des tirs qui régulièrement le déchirent.
Finalement, sans trop d'imagination, cette atmosphère particulière de cette petite ligne de front de Promka est bien à la semblance de ce monde post moderne qui au seuil de cette nouvelle année est lui aussi étranglé par le brouillard des inquiétudes d'une folie humaine d'où peuvent surgir brusquement la mort et le chaos.
Erwan Castel
Les autres extraits de ce journal du front peuvent être retrouvés ici : Journal du Front