Une propagande soporifique et dangereuse


Depuis bientôt 4 ans maintenant que front du Donbass est figé dans une guerre de positions meurtrière et épuisante le roulement des véhicules d'assaut a été remplacé par celui des propagandes qui à coup de menace et d'alerte entretiennent le feu de la guerre dans les esprits de leurs populations fatiguées par ce conflit qui, s'il ne connaît pas heureusement l'intensité de la dernière guerre mondiale mondiale en atteint désormais la durée épuisante.

La République Populaire de Donetsk, vit depuis 2015, par les aboiements de ses propagandistes affidés au rythme de sempiternelles menaces d'offensives ukrainiennes et d'attaques chimiques qui jamais ne se concrétisent, malgré des indices de plus en plus probants tendant à prouver que ce projet appartient plus à la réalité du régime de Kiev qu'à un fantasme partagé. 

Plusieurs correspondants m'ont demandé par le passé pourquoi je ne relayais que certaines alertes comme par exemple le menace apparue en décembre dans le contexte de la crise de Kertch et la préparation au combat des unités ukrainiennes du secteur de Mariupol. La réponse est simple : j'essaye de faire le tri entre une situation réellement inquiétante qui nourrit l'hypothèse d'une attaque et une logorrhée propagandiste banale comme celle qui cette semaine veut nous faire croire qu'un simple soldat d'une unité d'infanterie (128ème brigade de montagne) connait les secrets de la prochaine offensive concoctée à l'Etat-major ukrainien du lieutenant-général Naïev. 

Je pense en effet qu'annoncer abusivement des menaces ad vitam aeternam sans séparer le bon grain de l'ivraie est in fine contre-productif et même dangereux car plus personne n'y croit et réagit de plus en plus mollement aux alertes à répétition et sans conséquence. Tout le monde a en mémoire le conte populaire rapporté dans les fables d'Esope du jeune berger et mauvais plaisant qui, à la lisière criait sans cesse "au loup" pour taquiner les habitants de son village qui se précipitaient à son secours. Or un jour lassés par les mauvaises farces du berger ceux ci ne répondirent pas à son appel, tandis que le loup sortait réellement du bois pour le dévorer.

Concernant les alertes à une offensive ukrainienne diffusées par les autorités de la République Populaire de Donetsk, voici les principales qui ont rythmé la vie sur le front ces dernières années : 
  • Le 23 août 2015 alerte à une offensive ukrainienne précédée par une attaque terroriste organisée en "false-flag" pour la légitimer,
  • le 16 novembre 2015, suite à une invasion ukrainienne d'une zone grise, une nouvelle menace d'offensive ukrainienne est annoncée
  • le 7 décembre 2015, suite à des nouvelles opérations en zone grise et des bombardements ukrainiens importants , une offensive ukrainienne est annoncée,
  • le 24 janvier 2016, de nouveaux bombardements ukrainiens sont interprétés comme des préparatifs à une offensive majeure de Kiev,
  • le 20 décembre 2016, une offensive d'envergure ukrainienne est annoncée dans le secteur de Debalsevo suite à des évacuations de populations civiles observées,
  • le 5 février 2017, suite au transfert important d'armes lourdes ukrainiennes sur le front une nouvelle offensive ukrainienne est évoquée 
  • etc...
Et rien qu'au cours des 6 derniers mois cette menace d'une offensive ukrainienne a continué à faire l'objet d'alertes de plus en plus paroxysmiques :
  • Le 20 août 2018, au motif qu'elle annulerait les élections présidentielles en Ukraine où le candidat et Président sortant est en très mauvaise place,
  • le 01 septembre, la date de l'offensive ukrainienne attendue est annoncée pour le 14 septembre, suite à des vidéos de drones ennemis capturés,
  • le 15 septembre, la date est reportée au 14 décembre pour une offensive dans le secteur de Mariupol déclenchée par un false-flag chimique,   
  • le 17 décembre, cette fois c'est le 24 ou 25 décembre qu'un groupe d'assaut ukrainien fort de 20 000 hommes lancera l'offensive sous Gorlovka...
Certes on pourra dire qu' "il vaut mieux prévenir que guérir" et que "commander c'est prévoir" mais, pour le vivre au quotidien, sur le front ou dans les quartiers bombardés de Donetsk et loin des officines propagandistes et masturbatoires, je maintiens que ces alertes à répétition sont contre-productives, soporifiques et donc dangereuses. 

Que la politique de communication des autorités choisissent de diffuser ces alertes, c'est une décision qui leur appartient et loin de moi la prétention de critiquer les personnes qui obéissent à cette stratégie d'information. Cependant je trouve que pour que le renseignement diffusé soit crédible et correctement reçu il appartient de lui donner une cotation qui est le reflet du niveau de sa fiabilité et sa véracité.


Préciser, c'est protéger l'information

En effet, dans le domaine du traitement du renseignement, militaire ou autre, il est primordial de respecter une procédure préalable à sa diffusion éventuelle et surtout de lui donner une cotation pour décliner son vrai niveau d'alerte, et ne pas mettre dans le même sac les espionnages physiques ou informatiques, les observations aériennes et terrestres multiples, les hypothèses d'état major, la déclaration d'un quidam sans responsabilité, ou le bruit de couloir entendu dans un ministère ukrainien.

Ainsi pour donner une cotation à un renseignement et un niveau à son alerte consécutive, il convient de le croiser avec la fiabilité de la source et la véracité de son contenu. Ainsi se dégage une grille de cotation allant du renseignement "A1" (totalement fiable et corroboré par d'autres sources) au renseignement "F6" (fiabilité et véracité ne pouvant être estimées). 

A partir de là, l'alerte consécutive doit-être déclinée sous des niveaux différents et adaptés et dont certains ne méritent même pas une diffusion publique et encore moins sous la mention "urgent" ou "flash" comme on peut le voir trop souvent depuis 4 ans. Car l'impact psychologique sur la population autant que sur les troupes, que peut engendrer le fait de "crier au loup" de la même manière et à longueur de temps, peut se traduire par de la lassitude, de l'inattention et même de la défiance.


Le double tranchant de la propagande

La propagande nous disent les dictionnaires "est un concept désignant un ensemble de techniques de persuasion, mis en œuvre pour propager avec tous les moyens disponibles une idée, une opinion, une idéologie ou une doctrine et stimuler l'adoption de comportements au sein d'un public-cible". En ce sens, me définissant comme un "informateur engagé" je fais de la propagande tout en m’efforçant d'y décrire uniquement le "vrai" et surtout en déclarant ce parti pris haut et fort mais sans prétention (contrairement à des "journalistes" auto-proclamés qui sont affidés à la doxa d'un pouvoir qui paient leurs salaires). 

Mais si, dans son exercice, une propagande de guerre n'est pas transparente, imaginative et pédagogique, au lieu d'exciter le sentiment patriotique et éduquer le peuple, elle provoque une lassitude qui finit même par miner sa confiance.

En fait j'ai l'impression que la politique de communication de la République ne sait pas bien discerner à la fois le public et l'information quotidiennement jetées en pâture sur des médias officiels dont l'audition décroit d'années en années. Compter quotidiennement et à l'unité près le nombres d'obus de 20 mm ou de grenades à fusil qui ont été tirés sur le front n’intéresse vraiment plus personne. Une vidéo de tir ou de bombardement est autrement plus convaincante que ces litanies monotones de chiffres virtuels, mais encore faudrait-il que les propagandistes aux accréditations militaires immaculées, sortent le cul de leurs fauteuils et justifient le titre présomptueux de "reporter de guerre" dont ils s'affublent pour se donner l'importance qu'ils n'ont pas.

Tout en restant fidèle à la politique éditoriale de la République Populaire de Donetsk, pour laquelle j'ai pris les armes en février 2015, je mets un point d'honneur à conserver le sens critique de ma liberté de pensée surtout quand il dénonce une pratique contre-productive et dangereuse d'une communication qui risque de porter une responsabilité importante si demain une offensive ukrainienne surprend nos lignes de défense.


Car le "loup" est bien là, aux lisières de la République ! 

En effet, les critiques que j'émets ici, encouragées par des observations personnelles et quotidiennes le sont principalement contre la forme  des communiqués officiels et non le fond de leur message car, pour ce qui est de l'offensive ukrainienne évoqué comme un fil rouge de la propagande républicaine, elle est aujourd'hui plus qu'hier une menace réelle qui pèse sur la ligne de front du Donbass, comme l'ont encore évoqué des responsables ukrainiens eux-mêmes comme le président Porochenko qui prétend que son armée est désormais prête pour une guerre contre la Russie, ou Byriukov le conseiller du ministre de la Défense qui promet de nouvelles provocations de la marine ukrainienne.


Plutôt que de bassiner le public civil avec cette menace quotidienne d'offensive ukrainienne, il serait préférable d'augmenter concrètement la défense civile de la population, par des entraînements aux évacuations, aux premiers secours, mais aussi à la manipulations des armes et des équipements de protection etc. 

Et de même, pour les unités militaires en charge de la défense de la République, ce sont pas ces alertes répétées qui vont accroître leur vigilance mais un entrainement poussé et régulier garantissant leur discipline et accroissant leur capacité opérationnelle, seules capables de prévenir réellement une offensive ukrainienne.

Début 2018, le général Guerassimov, Chef d'Etat Major des forces armées russes a déclaré lors d'une conférence organisée à l'Académie d'état-major général : 

“Il va de soi que chaque conflit armé a ses traits distinctifs. Les conflits du futur se caractériseront par une large utilisation des armes de haute précision et d'autres types d'armes innovants, robotique comprise. Les sites économiques et le système de gouvernement ennemi seront détruits en premier lieu. Outre les sphères traditionnelles, la lutte armée sera activement menée dans le domaine médiatique et dans l'espace".

Encore faut-il que pour cette mission il faut que les Etats se donnent dotes de ressources techniques et humaines compétentes et modernes capable de s'adapter, d'imaginer, et de conduire de nouvelles stratégies de communication audacieuses.

Dans cet état d'esprit et réalité de la guerre post-moderne il serait interessant et même urgent que les autorités locales, au lieu de réaliser des ripostes à l'identique d'une propagande de guerre ukrainienne désuète, envisagent de doter la République Populaire de Donetsk, de vrais médias professionnels et indépendants et bénéficiant d'une formation professionnelle au métier de journaliste, car à part quelques rares reporters qui en ont la mentalité et l'éthique, la plupart de celles et ceux qui sont en charge de l'information ressemble plus à des perroquets, pour ne pas dire "chien de garde" quand on voit leur propension, qu'à de vrais communicants responsables, maîtrisant les outils de l'information, la psychologie des foules et l'éthique de leur mission.

Erwan Castel


Sources références : 

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