30ème rotation
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Après une période d'alerte due à un regain d'activité de groupes de reconnaissance ukrainiens sur le front au Nord de Donetsk, nous sommes repartis vers le front de Yasinovataya au milieu d'une couche de neige fraîche et craquante. Si les tirs des forces ukrainiennes ont augmenté, ils restent cependant dans une fréquence assez basses et majoritairement limités aux armes légères de l'infanterie.
Déjà fin janvier...
Il y a 4 ans, je bouclais mon sac à dos, le billet d'avion Paris-Moscou en poche, conscient de l'importance de cet engagement, mais sans imaginer que sa durée serait aussi longue. 2019 sera la fin de la guerre, par la diplomatie ou les combats, car les populations sont lasses de cette hémorragie qui chaque jour apporte son lot de sang et de larmes.
Sur le front, les milices tiennent le coup et je reste étonné d'admiration devant cette ténacité morale et cette résistance physique au milieu de cette guerre enlisée dans la morosité de tranchées tantôt boueuses, tantôt gelées, tantôt poussiéreuses où les hommes semblent prisonniers de la terre sous la danse des étoiles.
Ce matin, au milieu des sacs gonflés par le matériel, les vivres et les équipements d'hiver, le jeune chat "Blin" furetait en ronronnant, sans se douter encore qu'il allait embarquer une fois encore vers une nouveau safari aux rongeurs qui poussés par le froid pullulent dans les recoins de "forteruine"... A notre arrivée, il jaillit tel un diable de sa boite, à la fois mécontent d'avoir été bringuebalé dans un sac pendant plus d'une demi heure, et excité de retrouver son terrain de chasse ou fusent déjà au milieu des gravats des souris apeurées.
Devant nous, les positions ukrainiennes sont recouvertes d'un lourd manteau de neige, percé par les yeux sombres et plissés de leurs meurtrières. Ici et là des écharpes de fumée ivres s'échappent des bosses et des plis formés par les parapets des tranchées et les dômes des casemates alourdis sous des sacs de protection éventrés par les balles. Pas un bruit n'est perceptible, des hommes jusqu'aux oiseaux, il semble que la vie se soit nichée dans les plis de la terre.
Au milieu de ce décor connu, archi connu jusqu'au moindre bloc de béton éclaté, nous reprenons nos gardes au créneaux, scrutant l'horizon proche avec la même attention qu'au premier jour, mesurant à chaque volute de buée s'échappant de nos cagoules que l'endurance de l'attente, silencieuse et sans éclat, est certainement ce qui éprouve le plus et forme une autre face du caractère du soldat, autant que l'épreuve fulgurante du feu.
Vivement le printemps, celui de la nature, de la victoire, de la paix et du retour au foyer !
Erwan Castel