Une impasse pour tout le monde
Entre la guérison de la paix et la mort de la guerre,
la souffrance d'un peuple
3 années après le coup d'état du Maïdan, le Donbass est toujours coincé entre l'enclume russe qui résiste au marteau occidental, dans une guerre hybride qui plonge dans une souffrance sans fin cette population russe de Donetsk et Lugansk, exemplaire par son courage et sa résilience héroïques.
Bien sûr, on peut lire les diatribes excitées des propagandistes qui de chaque côté du front fanfaronnent et de moquent de la partie adverse en prédisant depuis bientôt 3 ans son effondrement prochain. Or, force est de constater que cette crise ukrainienne, provoquée par l'hégémonie insatiable d'un Nouvel Ordre Mondial à l'agonie, telle une infection qui ne veut ni guérir ni gangrenée est dans un enlisement total, sporadiquement ponctué par quelques éruptions militaires ou politiques.
Cet enlisement, on a l'impression qu'il est voulu ou en tous cas entretenu chacun prenant soin de ne pas accepter le bouleversement géopolitique actuel mais cependant sans risquer une escalade qui amènerait avec le jeu des alliances une nouvelle guerre mondiale en Europe.
Trois événements récents illustrent ce pourrissement de la situation :
- La reconnaissance des passeports des républiques par la Russie mais "temporairement" le temps de la résolution politique du conflit. Certes c'est un pas très important mais aussi très prudent et qui reste avant tout symbolique;
- Le blocus du Donbass engagé par des mouvements nationalistes radicaux, vétérans de l'ATO, Svoboda, Prayvi Sector..., que Kiev dénonce véhément mais laisse faire tranquillement pour pourrir encore plus le processus de paix ;
- L'action décisive des instances internationales (OSCE, Minsk, STKKK) pour faire réparer et évacuer l'usine DFS bombardée ou occupée par l'ATO montre une capacité à éviter une explosion mais sans parvenir (ou vouloir ?) à éteindre le feu;
Sur le plan militaire, les Républiques sont également coincées, dans un rapport de force désavantageux, elles ne peuvent lancer de grandes contre attaques dans la profondeur et doivent rester dans une position défensive, attendant de piéger une offensive stratégique ennemie dans de nouveaux "chaudrons". Mais de son côté Kiev qui a pourtant déployé tous les moyens nécessaires sur la ligne de front semble vouloir retarder cette offensive et se contente de réaliser des bombardements harcelants et des attaques très limitées dans la profondeur et la durée, provocations tactiques et grignotages de terrain mais qui font attention de rester dans le cadre d'une guerre de position.
Du côté diplomatique, c'est une vraie cacophonie, l'Ukraine pleure la Crimée, vitupère dans le Donbass, accuse la Russie de tous ses maux mais se garde bien de l'attaquer. La Russie soutient les Républiques mais sans intervenir réellement pour faire basculer la situation et leur permettre de libérer les territoires occupés. Les USA soutiennent Kiev concernant la Crimée tout en refusant une escalade militaire dans le Donbass, et les aides économiques et militaires suffisent juste à garder la tête du noyé hors de l'eau. Quant aux occidentaux, tout cherchant une désescalade avec Moscou ils prolongent les représailles économiques contre elle et poursuivent la militarisation des pays européens frontaliers au profit de l'OTAN etc...
Le front ces derniers jours s'est tendu à l'extrême mais ne rompt toujours pas, ses grands acteurs internationaux entretenant soigneusement sur le terrain une situation entre une guerre catastrophique et une paix inacceptable
La situation ukrainienne en générale et dans le Donbass en particulier semble être arrivée au fond d'un impasse à moins que ce ne soit au bord d'un nouveau gouffre européen...
En attendant, c'est un joli méli-mélo de chaud et de froid, de contradictions, blocages, incohérences, échecs, d'aboiements et de peurs que Karine Bechet-Golovko essaye de nous démêler ici :
Erwan Castel, volontaire en Novorossiya
Source de l'article : Russie Politics
Donbass: L'échec attendu du cessez-le-feu
Par Karine Bechet-Golovko
"Malgré la énième réunion du groupe de travail sur la résolution politique de la crise ukrainienne aboutissant à une énième proposition de retrait des forces armées dans le cadre de ces accords de Minsk et malgré le soutien de la France, de l'Allemagne et de la Russie dans le cadre du format Normandie, évidemment l'Ukraine n'a pas retiré ses chars et continue allègrement à bombarder le Donbass avec une moyenne stabilisée autour d'un millier de fois en 24h. La solution politique est aujourd'hui une impasse.
Les républiques du Donbass, lors de la conférence de presse au sujet de la mise en oeuvre du cessez-le-feu, avec l'OSCE et sans l'Ukraine qui a refusé d'y participer, ont précisé que DNR et LNR attendent la confirmation par l'OSCE du retrait des chars ukrainiens pour retirer eux-aussi leurs forces armées. La démarche est logique dans la mesure où l'armée ukrainienne et les bataillons nationalistes punitifs lancent des offensives de diverses envergures et tentent de faire tomber les défenses des combattants du Donbass, le retrait unilatéral serait du suicide.
Cette confirmation n'est pas arrivée, alors que le 20 février, les forces devaient revenir en arrière de la zone démilitarisée. L'Ukraine s'était tout d'abord engagée, puis n'a pas donné l'ordre et finalement tout a fini comme chaque fois, les combats ont continué. Comme le décrit E. Bassourine dans son rapport du 21 février 2017, l'Ukraine a violé 1150 fois en 24h les accords de Minsk en tirant sur les localités du Donbass, sur les populations civiles qui y vivent encore parfois lorsqu'elle ne sont pas retournées dans les caves. Que ce soit à Spartak, Kominternovo, Donetsk, Zaïtsovo, Leninskaya...
Tout cela montre l'impossibilité d'une sortie politique de ce conflit, essentiellement en raison de la faiblesse du poids des pays européens. Le conflit en Ukraine pourra, semble-t-il, se régler de trois manières:
1) Par l'écrasement physique du Donbass,
ce qui s'appelle un génocide. Cela suppose la volonté politique des Etats Unis de prendre le risque d'une confrontation avec la Russie. Car nous ne sommes plus dans les années 90 et la Russie ne regardera certainement pas tranquillement ce qui se passe à ses frontières. L'intervention du député V. Nikonov dans l'émission 60 minutes, disant ouvertement que la Russie pourrait très bien, selon les circonstances, ne pas s'arrêter à une simple reconnaissance des passeports mais cette fois s'impliquer réellement dans une aide militaire ouverte, l'a laissé présager.
2) Par un nouveau coup d'Etat à Kiev.
Le premier a fonctionné car il a été financé, préparé et téléguidé par les Etats Unis en s'appuyant sur la faiblesse réelle du régime et en utilisant le mécontentement réel de la population. Mais finalement, les oligarques sont toujours au pouvoir, la corruption se porte à merveille, l'économie nationale n'est plus indépendante mais sous perfusion des organismes internationaux, le niveau de vie a drastiquement baissé, la criminalité a inversement proportionnellement augmenté, des partis politiques ont été interdits, des médias fermés, l'opposition réprimée. Objectivement, la population n'est, au minimum, pas plus heureuse aujourd'hui qu'elle ne l'était en 2014 et les nationalistes trouvent que le cours oligarchique de cette gouvernance ne va pas assez loin dans l'idéologie fascisante. Mais personne ne structure ni ne finance ces mouvements, donc il n'y aura pas de nouveau coup d'Etat. Tant qu'une décision en ce sens n'aura pas été prise à l'extérieur, d'un côté ou de l'autre. N'en déplaise aux émerveillés de la démocratie des réseaux sociaux.
3) Une solution politique peut être trouvée pour l'Ukraine, mais pas en Europe, encore moins en Ukraine.
Une rencontre entre les Présidents russe et américain, qui sont les seuls pays à avoir une réelle influence sur le cours des évènements, pourrait aboutir à une sortie de crise réelle. Mais vue la position tenue par les Etats Unis sur la crise ukrainienne, qui tend à faire de la Russie une partie à cette guerre civile et exige l'abandon de la Crimée, un accord politique entre ces deux pays, qui soit suffisamment fort pour renverser la situation, est aujourd'hui peu probable.
L'Ukraine sent très bien cette impasse et tente de capitaliser sa position sur la scène internationale, surtout au Conseil de sécurité de l'ONU. Le ministre ukrainien des affaires étrangères revient d'ailleurs sur l'idée d'une restriction du droit de véto et donc d'une réforme du Conseil de sécurité - ce qui aboutirait à la fin de cette institution déjà mal en point. Cette idée ressort régulièrement et elle est rejetée par les Etats Unis, la Chine et la Russie. Seules la France et la Grande Bretagne envisagent la possibilité pour les Etats de renoncer volontairement à leur droit de véto, lorsqu'il s'agit de mettre rapidement un terme à des crimes de masse. L'Ukraine estime que la Russie, partie prenante au conflit ukrainien, ne devrait pas avoir le droit de voter les résolutions concernant cette question, donc d'utiliser son droit de véto. Or, si l'on envisage la "participation" de la Russie au conflit ukrainien, ce mode de "participation" concerne également les autres membres du Conseil de sécurité qui soutiennent l'Ukraine et/ou participent dans les différents formats internationaux devant permettre une sorite de crise. Finalement, dans cette logique, l'on en arrive à la situation la plus absurde qui soit: laisser à la Chine, qui elle n'est aucunement impliquée, la possibilité de résoudre objectivement ce conflit. Toutefois, je ne pense pas que l'Ukraine envisage cette alternative.
Quoi qu'il en soit, la situation se précise. L'alternative politique de Minsk était une illusion et cela devient clair pour chacun, même si l'invocation de l'application des accords de Minsk reste un mantra incontournable, faute d'avoir trouvé autre chose. Tout aussi incontournable est l'escalade militaire du conflit, sans toutefois déboucher sur une véritable confrontation armée. L'Ukraine ne peut se permettre un génocide, les Etats Unis ne sont pas encore prêts à une confrontation avec la Russie, qui, elle, a besoin de geler ce conflit.
Finalement, cette crise ukrainienne est très révélatrice de l'état de notre monde, déstabilisé et ne sachant quelle voie prendre, enclin aux grandes déclarations mais ayant peur des véritables engagements."
Karine Bechet-Golovko