La mafia ukrainienne
"On sait ce qu'on perd mais on ignore ce qu'on gagne"
Depuis le coup d'état organisé par les USA sur le Maïdan en 2014 la situation de l'Ukraine ne cesse d'empirer dans tous les domaines sociétaux. Aujourd'hui, après 3 ans d'effondrement on peut observer que les raisons qui avaient été invoquées pour renverser le Président Ianoukovitch, non seulement s'avèrent être des prétextes fallacieux pour manipuler la foule, mais surtout restent plus que jamais la réalité d'une Ukraine pourrie et corrompue jusqu'à la moelle.
Source de l'article : Les-crises.fr
La fausse excuse de la “corruption”
pour le coup d’État en Ukraine
par Robert Parry
Source : Consortium News, le 02/11/2016
Le 2 novembre 2016
Exclusif : Le “changement de régime” soutenu par les États-Unis en Ukraine – le lancement de la Nouvelle Guerre froide avec la Russie en 2014 – a été rationalisé par la nécessité de débarrasser l’Ukraine de la corruption, mais les responsables cherchent après coup à se remplir les poches.
Par Robert Parry
Si l’Ukraine devient la poudrière précipitant la Troisième Guerre mondiale avec la Russie, le peuple américain pourrait alors regretter le jour où leur gouvernement a donné un coup de pouce au renversement en 2014 du président ukrainien, supposé corrompu (pourtant démocratiquement élu), à la faveur d’un coup d’État dirigé par des parlementaires ukrainiens qui ont depuis annoncé avoir amassé, en moyenne, plus d’un million de dollars chacun, principalement en espèces.
Le New York Times, qui avait quasiment joué le rôle d’attaché de presse pour le coup d’État de février 2014, a pris bonne note de cette corruption manifeste parmi les dirigeants issus du coup d’État et soutenus par les États-Unis, bien que ce soit au travers d’un reportage dissimulé dans les profondeurs du journal (page A8). Le sujet principal de ce reportage surprenant résidait dans la défiance des bureaucrates ukrainiens envers les banques de leur pays (ceci expliquant le pourquoi d’autant d’argent en espèces).
Le président de l’Ukraine, Petro Poroshenko, parlant au Conseil de l’Atlantique en 2014. (Photo credit: Atlantic Council) |
Pourtant, l’Ukraine est un pays submergé par une pauvreté généralisée, aggravée par les “réformes” néo-libérales mises en œuvre depuis le coup d’État, diminuant les pensions de retraites, exigeant que les personnes âgées travaillent plus longtemps, et réduisant les subventions pour le chauffage des citoyens ordinaires. Le salaire moyen en Ukraine est de 214 dollars par mois.
Dès lors, un esprit curieux pourrait se demander pourquoi – au milieu de toutes ces difficultés – les dirigeants issus du coup d’État s’en sortent si bien, mais le correspondant du Times Andrew E. Kramer évoque prudemment la possibilité que ces dirigeants seraient au moins aussi corrompus, si ce n’est plus, que le gouvernement élu que les États-Unis ont aidé à renverser. Le président élu Victor Yanoukovitch avait été cloué au pilori pour son train de vie luxueux parce qu’il avait un sauna dans sa résidence.
L’article de Kramer a essayé mercredi d’expliquer les liasses de billets comme un signe que « beaucoup de législateurs et de dirigeants devant inspirer la confiance au public dans les institutions économiques et bancaires de l’Ukraine ne croient guère que leur propre richesse serait en sûreté dans les banques du pays, en raison des réglementations financières récemment imposées…
“Le Premier ministre Volodymyr Groysman, par exemple, a déclaré posséder plus d’un million de dollars d’économies en espèces – 870 000 $ et 460 000 euros – apparemment en fuyant le système bancaire bringuebalant de l’Ukraine. Le haut fonctionnaire en charge des banques du pays, Valeriya Gontareva, qui est responsable de la stabilisation de la monnaie nationale, la hryvnia, conserve la plus grande partie de son argent en dollars américains – 1,8 millions de dollars.”
Un récapitulatif des déclarations déposées par la plupart des 450 membres du Parlement, compilées par un analyste, Andriy Gerus, a révélé que les parlementaires détenaient collectivement 482 millions de dollars en « avoirs monétaires », dont 36 millions étaient conservés sous forme de liquidités…
“Certains politiciens semblent avoir abordé la déclaration comme une sorte d’amnistie, révélant tout ce qu’ils avaient gagné durant des décennies de transactions tordues, dans un effort pour se blanchir. Un ministre a déclaré une cave à vin constituée de bouteilles valant des milliers de dollars chacune. Un autre fonctionnaire a déclaré la possession d’une église. Un autre s’est vanté de posséder un billet pour l’espace avec Virgin Galactic…”
“Une autre théorie qui fait le tour de Kiev – où les gens reconnaissent généralement le génie inventif et vénal de leurs politiciens – suggère que les fonctionnaires gonflent leurs déclarations” afin de cacher de futurs pots-de-vin dans leur trésorerie déclarée et leur offre ainsi des excuses plausibles pour des voitures de luxe et des bijoux hors de prix.
Accès à plus d’argent
Ironiquement, l’adoption de la loi exigeant la divulgation de ce qui semble être une corruption généralisée parmi les parlementaires de Kiev a débloqué des millions d’euros d’aide nouvelle de l’Union européenne qui a ensuite profité à ces mêmes politiciens apparemment corrompus.
Le président déchu Viktor Yanoukovitch. |
Cependant, parce que le “changement de régime” de 2014 en Ukraine a été partiellement orchestré par des responsables américains et européens autour de la propagande sur le thème de la corruption du président élu Yanoukovitch – il possédait ce sauna après tout – la corruption incessante du régime d’après le coup d’État a rarement été reconnue, vérité dérangeante oblige. Bien sûr, des hommes d’affaires exerçant en Ukraine se sont plaints de l’aggravation de la corruption depuis le renversement de Yanoukovitch.
De même, cette réalité a été autorisée à être divulguée seulement occasionnellement dans les médias grand public américains, qui préfèrent nier qu’un coup d’État soit arrivé, pour imputer à la Russie tous les problèmes en Ukraine, et pour louer les “réformes post-coup d’État” qui visaient les pensions, les allocations de chauffage et autres programmes sociaux pour les citoyens du quotidien.
Une des rares contradictions au discours de louanges est apparue dans le Wall Street Journal du 1er janvier 2016, observant que “la plupart des Ukrainiens disent que la promesse de la révolution de remplacer le règne des voleurs par le règne de la loi a échoué et que le gouvernement admet qu’il y a encore beaucoup à faire.”
En fait, les chiffres suggèrent quelque chose de pire. De plus en plus d’Ukrainiens considèrent la corruption comme le problème majeur de la nation, y compris une majorité de 53% en septembre 2015, contre 28% en septembre 2014, selon les enquêtes de la Fondation Internationale pour les Systèmes Electoraux.
Alors que la vie déjà difficile devient encore plus difficile pour la plupart des Ukrainiens, les élites continuent de prélever toute la crème qui surnage, y compris l’accès aux milliards de dollars de l’aide étrangère occidentale qui a permis de maintenir l’économie à flot.
Il y a, par exemple, le cas de la Ministre des Finances Natalie Jaresko, qui était considérée par beaucoup d’éditocratres comme le visage des réformes en Ukraine, avant de quitter le gouvernement en avril 2016 à l’issue d’une défaite d’une lutte de pouvoir.
Le fait est que Jaresko n’était guère un modèle de réforme. Avant de devenir simultanément citoyenne ukrainienne et Ministre des Finances en décembre 2014, elle était une ancienne diplomate américaine, à qui avait été confiée la gestion d’un fonds de 150 millions de dollars, financé par le contribuable américain, devant aider au démarrage d’une économie basée sur des investissements en Ukraine et en Moldavie.
Le salaire de Jaresko était plafonné à 150 000 dollars par an, un salaire enviable pour beaucoup d’Américains – sans parler des Ukrainiens – mais ça ne lui a pas suffit. Aussi avait-elle engagé diverses manœuvres pour contourner ce plafond et s’enrichir en empochant des millions de dollars de bonus et de frais.
Au final, Jaresko récupérait plus de deux millions de dollars par an, après avoir fait déléguer la gestion du “Western NIS Enterprise Fund (WNISEF)” à sa propre entreprise privée, Horizon Capital, et s’être fait attribuer de généreux bonus lors de cessions d’actifs, alors même que globalement le WNISEF perdait de l’argent, selon des documents officiels.
L’ex Ministre des Finances d’Ukraine Natalie Jaresko. |
Par exemple, Jaresko a touché 1,77 millions de dollars de bonus en 2013, selon les documents déposés par le WNISEF auprès du fisc américain. Dans les documents financiers déposés auprès du gouvernement ukrainien, elle a indiqué des revenus de 2,66 millions de dollars en 2013 et 2,05 millions en 2014, autrement dit elle a amassé une petite fortune personnelle en investissant l’argent du contribuable américain officiellement au bénéfice du peuple ukrainien.
L’hémorragie financière du WNISEF était sans importance, ce fonds pesait 150 millions initialement mais ne valait plus que 89,8 millions pour l’année fiscale 2013, selon les documents déposés auprès du fisc américain. Le WNISEF a communiqué que les bonus de Jaresko et autres directeurs de l’institution relevaient de la réalisation “réussie” de certains investissements, même si le fonds dans son ensemble perdait de l’argent.
Même si les techniques d’enrichissement de Jaresko étaient repérées par le fisc américain et d’autres déclarations officielles, les grands médias américains ont ignoré cette histoire, pour mieux pouvoir affirmer que le processus de “réformes” en Ukraine était entre de bonnes mains. [Voir l’article de Consortiumnews.com intitulé “Comment la Ministre des Finances ukrainienne est devenue riche“.]
Appel de Biden
Préoccupé par la corruption incessante, le vice-président Joe Biden, qui a un intérêt personnel en Ukraine, a donné des conférences au Parlement ukrainien sur la nécessité de mettre fin au copinage.
Mais Biden a eu son propre problème de copinage en Ukraine parce que, trois mois après le renversement du gouvernement de Yanoukovitch, la plus grande entreprise privée de gaz en Ukraine, Burisma Holdings, a nommé son fils, Hunter Biden, à son conseil d’administration.
Le vice-président Joe Biden. |
Burisma, une obscure société basée à Chypre, a également engagé des lobbyistes bien connectés, dont certains ont des liens avec le secrétaire d’État John Kerry, y compris son ancien chef de cabinet du Sénat, David Leiter, selon les divulgations fournies par le groupe de pression.
Comme l’a rapporté le Time, “la participation de Leiter à l’entreprise renforce une équipe d’américains politiquement introduits qui comprend également un nouveau membre du conseil, Devon Archer, un partisan démocrate et ancien conseiller de la campagne présidentielle de John Kerry en 2004. Archer et Hunter Biden ont tous les deux travaillé comme partenaires commerciaux avec le gendre de Kerry, Christopher Heinz, associé fondateur de Rosemont Capital, une société d’investissement dans des entreprises.
Selon le journalisme d’investigation en Ukraine, la propriété de Burisma a été attribuée à la Banque Privat, contrôlée par l’oligarque milliardaire escroc Ihor Kolomoysky, qui a été nommé gouverneur de l’Oblast de Dnipropetrovsk par le régime de “réforme” soutenu par les États-Unis, une province d’Ukraine centro-méridionale (bien que Kolomoisky ait finalement été évincé de ce poste dans une lutte de pouvoir pour le contrôle d’UkrTransNafta, l’opérateur public de l’oléoduc en Ukraine).
Lors d’un discours au parlement d’Ukraine en décembre 2015, Biden salua le sacrifice des quelques 100 manifestants qui moururent pendant le putch de Maïdan en février 2014 qui évinça Yanoukovitch, en se référant aux morts avec l’expression élogieuse “Les Cents Merveilleux”.
Mais Biden ne fit pas de référence merveilleuse aux personnes, estimées à dix mille, la plupart d’ethnie russe, qui ont été assassinées par l’Opération Anti-Terreur encouragée par les USA et financée par le régime issu du coup d’État contre les Ukrainiens de l’Est qui résistaient contre l’éviction violente de Yanoukovitch. Biden n’a pas plus relevé que les Cents Merveilleux étaient des combattants de rue partisans d’organisations néo-nazies ou d’extrême-droite.
Mais après avoir fait ses délicieuses références aux Cent Merveilleux, Biden a livré son amère recette, un appel au parlement pour continuer à mettre en œuvre des réformes du Fonds monétaire international, y compris les demandes pour que les personnes âgées travaillent plus longtemps.
Biden a déclaré : « Pour que l’Ukraine continue à faire des progrès et à garder le soutien de la communauté internationale, vous devez faire plus. La grande partie de l’avancement de votre programme au FMI – ceci exige des réformes difficiles. Et elles sont difficiles. »
“Permettez-moi de souligner entre parenthèses ici, ce que tous les experts de notre département d’État et tous les groupes de réflexion viennent vous dire, vous savez, ce que vous devriez faire est de traiter le problème des pensions de retraites. Vous devriez vous en occuper – comme si c’était facile à faire. Mince, nous avons des problèmes en Amérique à ce sujet et nous sommes en train de le régler. Nous avons des problèmes. Voter pour repousser l’âge de la retraite signifie écrire votre mort politique dans de nombreux endroits.
« Ne négligez pas que ceux d’entre nous qui servent dans d’autres institutions démocratiques ne comprennent pas combien les conditions sont difficiles, combien il est difficile de voter pour respecter les engagements souscrits par le FMI. Il exige des sacrifices qui pourraient ne pas être politiquement opportuns ou populaires. Mais ils sont essentiels pour mettre l’Ukraine sur la voie d’un avenir qui est économiquement sûr. Et je vous exhorte à rester aussi dur que cela. L’Ukraine a besoin d’un budget qui soit conforme à vos engagements auprès du FMI.”
Cependant, aussi difficile que cela puisse être pour le Parlement ukrainien de réduire les pensions, de réduire les subventions au chauffage et de forcer les personnes âgées à travailler plus longtemps, ce sacrifice politique ne semble pas s’appliquer aux parlementaires pour faire eux-mêmes ces sacrifices financiers."
Robert Parry
Le journaliste d’investigation Robert Parry a dénoncé bon nombre d’affaires de l’Irangate pour The Associated Press et Newsweek dans les années 1980.
Source : Consortium News, le 02/11/2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr.
Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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