Du "pessimisme de la raison à l'optimisme de la volonté"
Au milieu du tintamarre mensonger de toutes les propagandes manichéistes de plus en plus ridicules, nous sommes un nombre croissant à vouloir défendre coûte que coûte la Vérité, convaincus que si elle détruit au passage nombre de fantasmes (et tant mieux !) elle nourrit surtout la force d'âme des amoureux de la Liberté et cette relation de confiance entre les peuples et leurs responsables, qui sont toutes deux plus que jamais vitales au milieu des tempêtes de l'Histoire.
Karine Bechet Golovko est docteur en droit public, analyste de la politique et géopolitique russes, partageant sa vision pertinente et surtout indépendante pour mieux pouvoir servir en son âme et conscience ces peuples de Russie pour lesquels elle vit et travaille à Moscou.
J'ai souvent partagé ses analyses sans ambages ni langue de bois, sans courtisanisme ni fantasme, et je la remercie de nous offrir mieux que je ne saurais le faire une pensée que le partage pleinement mais dont mon expression personnelle est bridée par mon actuel devoir de réserve de membre des forces armées de la République Populaire de Donetsk.
Voici concernant la situation de ces opérations spéciales "en panne" son point de vue éclairant et qui illustre bien cette pensée de Gramsci : "il faut allier le pessimisme de la raison avec l'optimisme de la volonté"
Erwan Castel
Source de l'article : Russie Politics
"Cela fait longtemps que les guerres ne se déclarent plus dans les règles de l'art, elles se font. C'est ainsi que l'OTAN a directement et personnellement conduit l'offensive de Kharkov, ce qui marque la fin objective de la prudente "Opération militaire spéciale" pour la Russie. A moins que les dirigeants actuels pensent que la bataille de Stalingrad ait pu être une opération très spéciale. Le recul aussi rapide que significatif de l'armée russe dans la région de Kharkov, qui signe ainsi sa première grande défaite militaire depuis très longtemps, doit être analysé. Dans une guerre, les batailles se perdent, mais il est fondamental d'en tirer les leçons - pour ne pas perdre la guerre. Quelques éléments politiques d'analyse.
Hier, l'armée russe est quasiment sortie de la région de Kharkov, gardant encore un petit territoire à l'Est de la région et tentant de stabiliser le front sur la rive gauche de la rivière Oskol. Les villes importantes comme Balakeia, Koupiansk ou Izium sont repassées sous contrôle ukrainien (et les répressions ont commencé malgré l'évacuation des civils). Ainsi, le front revient aux portes du Donbass d'un côté et débarque de l'autre à la frontière russe (région de Belgorod), suite à la perte de la ville frontalière de Volchansk.
Le ministère russe de la Défense, après un long silence de plus de deux jours, déclare furtivement qu'il s'agit d'un "repli stratégique" :
"Les troupes russes opérant près de Balakleya et Izyum seront redéployées en renfort dans la direction de Donetsk afin d'atteindre les objectifs prédéfinis de l'opération militaire spéciale"
Et qui vous dit, avec cette logique, qu'il vous sera alors plus facile de défendre le Donbass, voire ensuite la Russie ?
Contrairement à ces déclarations, l'on a immédiatement eu Kadyrov, lui, remontant le moral des troupes, comme il se doit, et promettant que tout serait fait pour reprendre le territoire, pendant que Peskov déclare que le Kremlin n'a aucun commentaire à faire, puisque cela ressort du ministère de la Défense. Il est vrai que justement ces jours-là une grande réunion avec Poutine avait lieu concernant le développement du tourisme intérieur, les plages de Sotchi étant surchargées. L'on retrouve aussi Medvedev, tout frais dans son nouveau rôle, mais étonnamment résistant depuis février, déclarant que tous les buts seront atteints et s'en tient mordicus à la capitulation de l'Ukraine.
Et l'on retrouve enfin des paroles de vérité, et donc de courage, venues de DNR. Eux ne font pas de la comm, ils font de la politique, ils défendent leur terre et communiquent dessus. C'est la différence et cela se sent. Le vice-ministre de la communication de DNR, Danyil Bezsonov, reconnaît la perte de la ville stratégique d'Izium en ces mots courageux :
"Oui, nous avons quitté Izyum, ainsi que d'autres villes de la région de Kharkov. Bien sûr, c'est mauvais. Bien sûr, c'est le résultat d'erreurs de haut commandement. Mais il n'est pas nécessaire de chercher des significations cachées là-dedans. Il ne s'agit pas de négociations, ni de trahison. On se bat juste du mieux qu'on peut. À tous les niveaux. Quelque part mieux, quelque part pire."
Quelques remarques intermédiaires : il ne s'agit pas d'un retrait stratégique, mais d'une défaite ; une défaite due à des erreurs de commandement, c'est-à-dire qui pose des questions systémiques d'évaluation de la situation et de position politique, et oblige à s'interroger sur la longue réforme de l'armée, selon les recommandations globalistes, de ces 20 dernières années.
"L'essentiel est d'admettre ses erreurs et d'en tirer les bonnes conclusions. Mais il faut reconnaître ses erreurs et ne pas parler d'un plan astucieux pour attirer des Ukrainiens naïfs et sûrs d'eux dans le chaudron de Voronej. (...)
L'encerclement du groupe russe à Izyum aurait été un désastre. D'un point de vue militaire, la décision de se retirer est absolument correcte dans les circonstances merdiques actuelles."
La décision est bonne, mais comment en est-on arrivé à devoir prendre une décision aux conséquences aussi mauvaises, parce que toute autre eût été encore pire ?
C'est bien à cette question qu'il faut réfléchir.
Il faut absolument ici noter l'implication directe de l'OTAN dans cette bataille de Kharkov, ce qui explique la première déroute de l'armée russe.
"Volchansk est occupé par les troupes de l'OTAN. Exactement comme ça et rien d'autre. L'on écrit à partir de là-bas, qu'il n'y a pratiquement pas de nazis ukrainiens dans la ville. Beaucoup de noirs et d'anglophones. Exactement la même situation dans Cossack Lopan."
Et les combats sont dirigés par des officiers de l'OTAN, selon les interceptions de communications. D'ailleurs, le NYT publie lui-même un article confirmant la direction de l'armée ukrainienne par l'OTAN et la préparation de l'offensive avec le renseignement américain cet été. Et n'oublions pas cette nouvelle technique, celle de la sur-utilisation des "mercenaires". Personne n'a vu leur contrat, personne ne sait s'il s'agit réellement de mercenaires (la quantité ici est quand même surprenante) ou s'il s'agit d'une implication directe - mais discrète - des militaires des pays membres de l'OTAN sous couvert de mercenariat. Comme cela été justement remarqué dans la région de Kharkov :
"Il y a des mercenaires dans les rangs des unités des forces armées ukrainiennes, qui sont actuellement impliquées dans la région de Kharkov. Ce sont des citoyens des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France et d'autres pays membres de l'Alliance de l'Atlantique Nord. Ils sont pas seulement dans les formations de combat des Forces armées ukrainiennes, ils commandent la bataille dans les unités, qui sont en action offensive"
Donc, l'OTAN est bien entrée en guerre contre la Russie à Kharkov. Sans déclarer la guerre, mais la faisant. Ce qui rend la tâche beaucoup plus difficile à la Russie. Car comment réagir ? Et c'est une question stratégique que les élites dirigeantes devront régler rapidement, s'ils ne veulent pas avoir à régler la question de la capitulation - de leur capitulation. Les conséquences seraient fatales pour eux personnellement, puisque le sort de Milosevic ou de Hussein leur est déjà réservé, comme on l'a appris sur LCI :
Et surtout, la Russie n'y survivrait pas - comme entité étatique. Des voix se lèvent déjà dans l'opposition radicale pour "décoloniser la Russie", c'est-à-dire achever le processus commencé en 1991 de démembrement de ce (trop) grand pays millénaire. Les Ukrainiens, de leur côté, s'emballent et le Secrétaire du Conseil national de sécurité, Alexeï Danilov, parle, je cite, d'une "capitulation totale de la Russie et de sa nécessaire démilitarisation avec l'aide de nos partenaires occidentaux". Et de préciser :
"Notre tâche est de faire en sorte que la Russie n'ait même pas le désir de penser qu'elle peut attaquer ses voisins, en particulier de la manière dont elle l'a fait par rapport à notre pays"
Dans ce contexte, hier, Macron téléphone à Poutine et entre dans le jeu de la "capitulation douce et raisonnable " :
"À cette occasion, il a condamné la poursuite des opérations militaires russes en Ukraine et a rappelé son exigence qu’elles cessent au plus vite, que s’engage une négociation et que soient rétablies la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine."
Le soir même, l'armée russe a réagi et pour la première fois a réellement touché des infrastructures stratégiques avec des missiles depuis les eaux de la mer Noire et de la Caspienne. Ainsi, les centrales électriques de Kharkov et Zmiev dans la région de Kharkov, la centrale de Pavlograd dans la région de Dniepropetrovsk et la centrale thermique de Krementchoug dans la région de Poltava ont été touchées. Plusieurs régions sont restées en partie sans électricité, les trains ont été stoppés, le métro à Kharkov aussi et internet a bugué. L'électricité a été aujourd'hui partiellement rétablie, puisque l'armée russe n'a touché qu'une partie de la capacité énergétique de l'Ukraine.
Hier soir aussi, le discours médiatique commençait à changer. Soloviev déclarait que les gens attendaient une réaction forte de l'armée russe. Sur la chaîne Telegram "Poutine v Telegram" l'on annonçait un changement radical de la stratégie de l'armée russe désormais. Espérons que cette fois-ci, cela ne s'arrêtera pas à la communication, avec quelques vidéos officielles montrant des blindés roulant sur des routes.
Quels sont les buts de la Russie ?
Quelle est la volonté politique des élites russes ?
Peut-on encore parler sérieusement "d'Opération militaire spéciale", quand il s'agit d'une guerre conventionnelle ?
Pourquoi la Russie ne peut pas se permettre une mobilisation générale maintenant ?
Pour autant, dans le configuration actuelle, une mobilisation générale serait une erreur. Tout d'abord, parce que la structure de l'armée russe aujourd'hui ne semble pas apte à gérer cette masse (formation, équipement, logistique, etc.). Mais surtout, parce que cela mettrait la Russie dans une position de faiblesse par rapport aux pays de l'OTAN. Ils sont entrés, certes, physiquement sur le champ de bataille et sont de facto devenus parties au conflit, mais formellement ils ne sont pas en guerre contre la Russie, il n'y a pas de mobilisation. Dans tous les cas, la Russie est dans une position déséquilibrée par rapport à eux, car elle, elle doit reprendre, protéger et administrer un territoire et une population, eux peuvent simplement détruire pour repousser et écraser autant que possible - ce qui nécessite moins d'hommes et plus de technologies, même s'ils approvisionnement largement le champ de bataille en hommes aussi. Dès le début, la Russie a joué à juste titre la carte de la normalité - la vie en Russie, pour les gens, doit rester "normale". Pourtant, il serait bon de ne pas en abuser, car sans l'acceptation d'un véritable patriotisme (qui fait manifestement peur à une partie des élites dirigeantes, tant qu'elles n'ont pas pris de décision stratégique quant au territoire ukrainien), il sera difficile de ne pas provoquer une rupture au sein même de la société, ce qui serait fatal au pays. Pour l'instant, l'unification de l'armée (qui joue au post-modernisme avec l'armée "privée" Wagner et ses unités, les bataillons de Kadyrov présentés séparément, les différentes chapelles combattantes) et le renforcement du nombre de militaires professionnels (qui a déjà été modestement annoncé) sont une priorité.
La défaite de la Bataille de Kharkov doit libérer la capacité de penser et de concevoir un avenir propre au pays. C'est par la déglobalisation des esprits, qu'une véritable victoire sera possible. Retrouver sa liberté et assumer ses décisions, c'est le meilleur moyen de soulever le peuple et de l'avoir derrière soi. Alors, la Russie est invincible."
Karine Bechet Golovko