"Suis ton coeur"
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Dans une tranchée de Promka sue le front de Yasinovataya (photo Guillaume Chauvin) |
Au sortir d'un deuxième séjour en réanimation (cette fois pour soigner les derniers problèmes des blessures au ventre), j'ai reçu de la part d'amis de Donetsk la proposition d'écrire un article sur mon parcours de vie et engagement dans le Donbass pour une revue universitaire.
C'est avec plaisir mais aussi intérêt que j'ai accepté cette "commande", non pas pour parler de ma personne et son parcours de vie mais pour tenter, sans prétention aucune, de trouver dans mes passions vécues une substantifique moelle qui pourrait interpeller des personnes et particulièrement des jeunes se lançant à l'aventure de ce monde en pleine mutation post-moderne. En voici la version française initiale de cet article qui sera publié prochainement en langue russe dans la gazette universitaire Don NTU.
Je ne prétends pas apporter des réponses mais plutôt essayer de susciter modestement des questionnements ontologiques au moment où s'avère vital, pour sauver la civilisation et notre avenir, d'imaginer un nouveau paradigme libéré définitivement des dogmes liberticides et esclavagistes du passé et du présent.
Samedi 7 décembre 2019
"Suis ton coeur"
Ce matin de septembre 2019 sur le front de Novoazovsk, brisant le silence de la tranchée, un petit « clic » devait précipiter mon engagement dans le Donbass et ma vie dans une longue parenthèse de douleurs et de pensées. Une fraction de seconde plus tard un petit monstre jaillissait de terre, enveloppant mon impuissant bond en arrière d’une nuée brûlante de lumière, de chaleur et d’éclats d’acier.
« Putain de mine ! »
La suite est un torrent d’actions et de réactions fulgurantes dont le souvenir restera à jamais gravé dans ma mémoire. Mes camarades de la brigade Piatnashka, en m’évacuant avec une rapidité et un professionnalisme extraordinaires m’ont sauvé la vie, tout comme les services d’urgences des hôpitaux de Novoazovsk et de Donetsk où je suis toujours aujourd’hui, plongé dans un cycle infernal d’opérations chirurgicales.
Depuis l’explosion de cette mine ukrainienne, le temps semble être figé dans cette expérience douloureuse. Et pourtant je ne regrette rien de ce long parcours qui m’a conduit jusqu’aux tranchées du Donbass pour défendre cette belle République Populaire de Donetsk, qui à mes yeux et mon cœur est autant fidèle à son passé qu’exemplaire pour notre avenir européen.
Je suis né il y a 56 ans et je fus nourri dans mon enfance aux laits des traditions françaises, européennes mais aussi et surtout bretonnes, car mon clan est de cette péninsule celtique occidentale, « parfois vaincue mais jamais soumise » et qui reste sous les vents de l’océan et de l’Histoire farouchement attachée à ses traditions identitaires. Je rêvais alors de chevaliers défendant les forêts et les légendes européennes.
Aujourd’hui je me définis comme un européen de nationalité bretonne et citoyenneté française mais surtout comme un nomade profondément enraciné dans ses traditions et ses valeurs héritées et acquises au cours de 4 vies successives, radicalement différentes les unes des autres mais qui je le pense gardent comme dénominateur commun la passion désintéressée et le service à la personne:
Officier français
Fils d’officier je m’engageais traditionnellement à l’aube de mes 20 ans sur les traces de mon père, au milieu d’une Europe déchirée par la « guerre froide ». Être officier reste toujours à mes yeux une des plus belles vocations et figures sociétales car au-delà des savoirs faire multiples qui lui sont imposés et des limites humaines qu’il doit sans cesse repousser, il est avant toute chose l’incarnation des valeurs nationales et civilisationnelles qu’il défend au milieu de ses hommes jusqu’au péril de la vie.
Malheureusement en France, si les hommes et les femmes en uniforme restent de grande valeur, l’armée en revanche dans les missions qui lui sont confiées, n’est plus que l’ombre de ses drapeaux où sont inscrits en lettre d’or les noms des batailles qui ont forgé sa gloire. Aujourd’hui dans cet Occident post-libéral soumis aux avidités de l’oligarchie internationale, les armées ne sont plus que des « sociétés publiques de sécurité » protégeant les intérêts des grands capitaines d’industrie, comme par exemple ceux qui pillent encore et toujours l’Afrique ou ceux qui, dans les wagons de l’OTAN, mettent à feu et à sang les derniers pays libres du Moyen Orient.
Séparatiste breton
Après 12 ans de service actif, l’officier parachutiste que j’étais, s’en allait, via la Birmanie, vers un « retour aux sources » au milieu des landes bretonnes et y poser un sac à dos chargé de questions existentielles. C’est à cette période de ma vie que je me suis échappé du carcan de la propagande occidentale dans laquelle j’avais grandi et étudié. Je me dépouillais progressivement des oripeaux du catholicisme romain, du centralisme jacobin, du libéralisme économique, de la vanité occidentale, tous arcanes d’une pensée unique protéiforme qui tente depuis des siècles de soumettre les peuples d’Europe à l’esclavage d’élites devenues aujourd’hui ploutocrates et apatrides.
Pendant ces années 90, tandis que s’effondrait l’empire soviétique, je me plongeais dans l’histoire des idées et des traditions européennes, convaincu que cette vieille Europe, dont Nietzsche prédisait qu’elle ne se construirait « qu’au bord du tombeau », ne pourra survivre qu’en s’engageant sur la voie d’un fédéralisme authentique où ses peuples natifs retrouveraient leurs souverainetés identitaires. Et tandis que j’exerçais le métier d’animateur sportif de « Gouren » cette lutte bretonne multimillénaire, je devenais également militant culturel et séparatiste politique !
Guide amazonien
En 2000 je vis un nouveau besoin de boucler mon sac vers d’autres horizons pour aller encore plus loin dans mes rêves et la recherche de moi-même. Et je deviens progressivement guide expédition en forêt amazonienne au cœur de cette merveilleuse Guyane Française que j’avais découvert lors de mes années militaires. Là je réalise une immersion ontologique au sein de la Nature primordiale et nourricière mais aussi au milieu des peuples venus, de gré ou de force, bâtir l’histoire de cette « France équinoxiale » et qui ont su conserver un rapport filial et sacré avec elle. Autochtones amérindiens, descendants d’esclaves en fuite «Bushi Nenge », réfugiés asiatiques « hmongs », descendants d’esclaves libérés « créoles », migrants en provenance des Caraïbes, du Brésil ou des autres pays latino-américains….
Depuis ce paradis terrestre amazonien où mon corps et mon âme se renforçaient des diversités naturelles et humaines côtoyées, je continuais à lire et relire pour aiguiser ma pensée métapolitique De Benoist, Heidegger, Marx, Rousseau, Douguine, Schmitt, Jünger, Montherlant, Arendt, Michéa et autres philosophes et penseurs écartés ou oubliés par la « bien pensance » dominatrice. A cette époque j’observe toujours les spasmes occidentaux post-modernes secouant ma vieille Europe, mais aussi le Moyen Orient : « révolutions colorées », crise économique, « printemps arabes », crises migratoires etc.
C’est alors qu’intervint la révolution du Maïdan…
Volontaire dans le Donbass
Dès novembre 2013, je pressens la gravité de la contestation opérée sur le Maïdan et la main invisible étasunienne manipulatrice excitant les foules afin qu’elles renversent le pouvoir en offrant l’Ukraine à la boulimie libérale occidentale. Je me lance alors dans la réinformation puis ouvre un blog « Soutien à la rébellion du Donbass », qui comptabilise aujourd’hui près de 1 500 000 lectures, pour tenter, à mon modeste niveau, de libérer la vérité des griffes de la propagande occidentale.
Lorsque le massacre d’Odessa est perpétré le 2 mai 2014, mon travail d’information devient quotidien et lorsque Lugansk est bombardé 1 mois plus tard, je décide de rejoindre le Donbass pour mieux témoigner et participer physiquement à sa résistance. Le temps de boucler mon carnet de commandes et clôturer mon entreprise individuelle de guide amazonien, je m’envole pour l’Europe en décembre 2014, puis pour le Donbass via la Russie 1 mois plus tard.
Depuis février 2015, j’ai été engagé successivement sur les fronts de Debalsevo, Marinka, Dokuchaievsk, Promka aux seins de différentes unités jusqu’à la brigade Piatnashka, où je sers en tant que sniper depuis 2017.
Lorsque je suis en repos, je pars dans le quartier d’Oktyabrsky où je loue une petite maison proche du front. Dans ce quartier martyrisé j’essaye modestement d’aider chaque mois amis et voisins grâce au réseau de soutien qui s’est développé autour de moi au fil des années : réparations de maisons bombardées, aides financières, prise en charge de soins médicaux etc.
Aujourd’hui, depuis mon lit d’hôpital j’essaye de poursuivre mon travail d’information et de soutien attendant impatiemment le jour où je pourrais me remettre concrètement au service de la République Populaire de Donetsk.
Mon engagement dans le Donbass, commencé il y a bientôt 5 ans, est à ce jour la plus intense tranche de vie que j'ai vécu, traversant à la fois l'expérience métapolitique, militaire, humaine, sans oublier celle de d'écriture. Je ne regrette rien de cet engagement aux confins de l'Europe et la Russie, et le peuple russe du Donbass qui m'a fait l'honneur de m'accueillir avec chaleur est à mes yeux et mon coeur l'exemple le plus élevé de la reconquête identitaire historique des peuples encore vivants de leurs traditions et leur histoire, face aux pouvoirs absolutistes de pensées uniques esclavagistes.
La République Populaire de Donetsk est porteuse d'une légitimité et d'une noblesse immenses car elle est le fruit d'un élan populaire apolitique et supra communautaire qui en 2014 a refusé l'humiliation imposé aux russes d'Ukraine par les putschistes du Maïdan.
Cet élan populaire, toujours intact et invaincu malgré la guerre et le temps, est selon ma modeste expérience l'expression vivante de ce "sens commun" populaire ("common decency") décrit par Orwell et qui trouve ici pour s'épanouir le terreau idéal qu'est en conscience chez les peuples de Russie cette "idée d'empire" survivant à ses différentes métamorphoses historiques (impériale, soviétique et fédérale), et qui caractérise l'identité et l'âme de cette grande "terre du milieu" éternellement unie dans sa diversité.
Maintenant je m’aperçois que ma narration dépasse la longueur initialement prévue, et tout en m’en excusant auprès des amis qui m’ont fait la gentillesse et l’honneur de m’inviter dans les pages de cette belle revue, je vais m’efforcer de conclure en offrant aux jeunes ce que je retiens de mon engagement protéiforme depuis ces 40 dernières années.
Certes je pourrais, sur un ton paternaliste, vous évoquer les valeurs civilisationnelles ou identitaires pour lesquelles un homme doit se battre pour protéger ses libertés individuelles et collectives. Je pourrais aussi vous évoquer l’importance des diversités naturelles et humaines qui sont le socle de l’adaptation et de la survie de toutes les formes de vie sur notre belle Terre… Que la nuance des peuples, forgée par les causalités successives des différences environnementales puis culturelles est la plus grande richesse de notre humanité… Que l’accomplissement d’un individu ne peut se réaliser qu’à force travail et discipline mais également amour et patience, etc.
Tout cela, gens du Donbass, vous le savez déjà car vous en faites quotidiennement la démonstration depuis ces 5 longues et terribles années de guerre où vous défendez jour après nuit vos traditions et libertés russes.
Ce que je veux essayer d’évoquer ici en guise de conclusion, c’est qu’il est vital que vous protégiez et développiez tout au long de votre vie votre liberté de penser et votre sens critique et ceci en plongeant avec curiosité et passion dans l’histoire des idées, non pas celles qui sont balisées par les dogmes religieux, politiques ou économiques (fussent-ils les meilleurs) mais celles des penseurs libres maitrisant l’historicité la plus lointaines des idéologies et de leurs évolutions. Et la connaissance ne doit pas écarter l’intuition, bien au contraire, cette dernière doit à son contact se développer dans votre conscience comme une liane s’appuie sur l’arbre pour conquérir la lumière.
Chaque individu est une feuille, mais ne peut vivre et se régénérer en dehors de sa branche qui est son peuple, lequel ne peut croître en dehors de son arbre civilisationnel, mais le plus invisible élément et pourtant le plus vital d’entre eux sont les racines lointaines des traditions qui nourrissent de force, d’espérance et de spiritualité les peuples s’élançant vers l’inconnue de leurs destinées. Chérissez et protégez tout comme vos enfants, les coutumes, la langue et l’histoire de votre peuple, et pas seulement celles des livres qui sont une interprétation figée d’un héritage parcellaire de l’identité, mais aussi et surtout les traditions orales qui circulent au sein de vos familles depuis la nuit des temps.
Enfin et surtout, conservez intacts dans vos cœurs vos rêves de jeunesse, car ils sont à la fois le bouclier et le glaive, le navire et le port, la soif et la source qui vous aideront à accomplir le long chemin de votre vie avec dignité et honneur. Vous devez cheminer loin des cupides, des courtisans et des imposteurs pour qui le paraître et les honneurs sont tellement plus important que l’être et l’Honneur qu’il finissent par tarir l’âme de l’Homme et le réduisent en esclavage. Car ces rêves de jeunesse ne vous appartiennent pas, ils sont le fruit de votre inconscient collectif hérité et vous indiquent le vrai chemin à suivre… mais souvent aussi le plus difficile ! En suivant votre cœur vous accomplirez vos rêves d’enfant et vous réveillerez l’adulte idéal qui sommeille en eux.
C’est pour tout cela aussi que je remercie le peuple du Donbass, car par ses sacrifices courageux, ses traditions défendues, sa Liberté partagée, il a permis au petit breton que je suis de vivre un de ses plus beaux rêves de jeunesse, celle d’un peuple partant à la reconquête de lui-même.
Merci de votre attention
Erwan Castel
Avec Staï, le lynx le compagnon de "Mamaï", notre commandeur de Piatnashka, tué au combat en 2018 |