Un vent de Liberté
Ce 10 novembre 2019, un nouveau pays s'est embrasé dans cette Amérique du Sud qui n'en finit pas d'être secouée et tiraillée depuis plus de 50 ans entre la tentation libérale et le rêve sociale. Après les colonialismes, les révolutions marxistes, les dictatures fascistes, les régimes socialistes alternant avec les régimes néo-libéraux, le continent de Tupac Amaru et Simon Bolivar est à nouveau le théâtre de d'éruptions populaires envahissant les rues du Chili, de Bolivie, d'Equateur, du Venezuela, de Colombie tandis que de nouveaux changements de régimes se réalisent comme en Argentine par exemple.
Certes on peut observer encore et toujours ces séismes latino-américains dans une vision bipolaire et politicienne opposant une gauche sociale et populaire à une droite libérale et élitiste, mais je pense qu'aujourd'hui les manifestations populaires observées en Amérique du Sud sont également et même avant tout symptomatiques d'une défiance générale des peuples vis à vis de ceux qui sont sensés les représenter.
Et à ce titre, qu'elles soient instrumentalisées comme à Kiev ou récupérées comme à Athènes par des forces politico-économiques diverses, les foules qui descendent dans les rues de Paris, de Hong Kong, de La Paz ou Santiago expriment dans des identités et des revendications diverses un ras le bol commun vis à vis de toutes les élites politiciennes en général - et de leurs chiens de garde médiatiques - qui sont de plus en plus déconnectées de leurs réalités quotidiennes et exercent des pouvoirs de plus en plus, mensongers, corrompus et autoritaires.
Et l'exemple bolivien est à ce titre révélateur car nous y observons un président Morales, malgré une gouvernance auréolée d'une réussite sociale et économique indéniables, perdre sa légitimité populaire pour s'être accroché au pouvoir jusqu'à commettre des irrégularités électorales (une défaite référendaire dont il ne tient pas compte et une commission électorale partiale qui organise une opacité dans le suivi des résultats précédant sa victoire). Ici il convient de souligner que "irrégularités" ne signifie pas pour autant "fraudes électorales", lesquelles n'ont toujours pas été prouvées. Aussi, au lendemain de la 4ème victoire présidentielle de Evo Morales (avec 10 points d'avance sur son premier opposant), une foule instrumentalisée par l'opposition est descendue dans la rue pour contester les résultats du scrutin, tandis que les principaux membres du gouvernement abandonnaient le navire sous la pression d'une frange de l'armée et de la police acquise à l'extrême droite.
Ici il est important de souligner que c'est bien un coup d'état qui a été réalisé en Bolivie, emmené par des opposants appartenant à une extrême droite communautariste et ethnocentrée possédé par un racisme obscurantiste excité par le réseau des églises évangélistes, tous soutenus par les USA et les occidentaux qui voient dans l'éviction de Morales l'occasion de faire débarquer les capitaines d'industrie affamés de pétrole et de lithium entre autres matières premières dont regorge le pays. La volonté de réaliser un coup d'Etat libéral est accélérée lorsque Morales, s’apercevant (mais un peu tard) qu'il a trop tiré sur la corde du pouvoir, appelle à une nouvelle commission électorale suite à un audit international qui préconise d'invalider les résultats et de rejouer ce premier tour des élections présidentielles. Pour l'oligarchie internationale et ses pions boliviens il ne fallait pas que Morales retrouve son équilibre et sa légitimité.
Aussi, malgré sa vive critique de la personnification du pouvoir engagée par Evo Morales, le peuple bolivien dans sa majorité accepte encore moins la réalité d'un coup d'Etat et depuis 10 jours organise sa résistance, du parlement qui refuse la démission du président et la légitimité du gouvernement provisoire de Jeanine Añez aux populations indigènes qui affluent vers la capitale pour réclamer son retour.
Aujourd'hui la guerre civile menace en Bolivie, mais aussi au Chili et en Equateur, tandis qu'en Colombie où les FARC ont décidé de rompre des accords de paix non respectés par Bogota, la contestation enfle contre ce gouvernement néo-libéral aux ordres de Washington.
Personnellement je vois dans toutes ces manifestations populaires, plus anti-étatiques que politiques, l'expression de ce "sens commun" populaire décrit par Georges Orwell et qui s'inscrit en dehors de toute forme de dogmatisme religieux, politique ou ethnique, contrairement aux idéologies et actions d'asservissement contre lesquelles s'effectuent ses réveils historiques.
Il s'agit selon moi du commencement de la fin des absolutismes étatiques qui apparaissent il y a environ 10000 ans au Proche Orient avec les premières sociétés urbaines agricoles qui, en remplaçant les sociétés traditionnelles nomades, imposent un paradigme nouveau et artificiel fondé sur le règne de pensées uniques et universalistes, qu'elles soient religieuses, économiques ou politiques.
Les peuples veulent retrouver à légitimement des définitions sociétales basées sur leurs traditions et non sur l'argent et des politiques ascendantes restant sous leur giron au lieu de subir un pouvoir descendant de palais inaccessibles. Ce qui est demandé, ce n'est pas un changement de politique mais un changement systémique, voire même un changement de paradigme.
Et il est probable qu'à l'heure d'internet les peuples latino-américains, tout comme le peuple du Donbass, nous montrent l'exemple d'une émancipation politique réelle et d'une vraie reconquête de leurs souverainetés. Mais quoi de plus logique pour ce continent dont les multiples dictatures de l'Histoire n'ont pas réussi a effacer des mémoires ce rapport à la Liberté qui fut le berceau de son indépendance et de son identité civilisationnelle moderne.
Aussi, malgré le sang et les larmes qui coulent à nouveau dans ce merveilleux continent je terminerai par une chanson d'espoir et de révolte, illustrée par les manifestations qui en ce moment libèrent le Chili de la dictature de la marchandise !
Erwan Castel